Monde
Emprisonnée et fouettée en Iran, cette styliste livre son terrible témoignage
Publié le 6 janvier 2017 à 16:08
Par Hélène Musca | Rédacteur
Tala Raassi connaît aujourd'hui un grand succès en tant que styliste et créatrice de maillots de bain. Mais la fashion designer a dû, pour en arriver là, fuir la répression du régime iranien, qui considère que porter du rouge à lèvres est passible de peine de mort.
Tala Raassi, créatrice de mode iranienne, raconte son combat Tala Raassi, créatrice de mode iranienne, raconte son combat© Instagram, talaraassi
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Parce nos vêtements sont le reflet de la considération –et donc des libertés- accordées aux femmes, la mode a toujours été cousue de fils de révolte. Et ce n'est pas Tala Raassi qui dirait le contraire. Car si elle crée aujourd'hui des maillots de bain aux lignes épurées et osées, la talentueuse jeune femme n'a pas toujours connu les paillettes et l'ivresse de la liberté.

En effet, Tala Raassi a grandi auprès de ses parents en Iran, dans l'irrespirable climat de répression et de terreur qui est malheureusement devenu le propre du pays post-révolution. Emprisonnée durant 5 jours et fouettée pour avoir assisté à une fête mixte, la jeune créatrice est revenue sur cette épreuve dans son autobiographie, afin de dénoncer la volonté d'écrasement et d'humiliation des femmes iraniennes.

40 coups de fouet et 5 jours de prison pour avoir assisté à une fête
Tala Raassi au concours de Miss Univers © Getty Images

Tala Raassi est née aux Etats-Unis, dans une banlieue de Washington, mais retourne en Iran avec ses parents à l'âge de deux ans. Elle a donc grandi à Téhéran, déchirée entre l'atmosphère sévère et religieuse qui règne dans le pays et son amour pour la culture occidentale. "On nous imposait tellement de restrictions ! Nos familles avaient grandi sous le Shah, avaient bu de l'alcool et fait la fête, tandis que j'ai grandi dans une société qui me forçait à me couvrir de la tête aux pieds", confie-t-elle au Daily Beast. Elle forge son oeil et ses rêves de mode en rêvant devant des émissions piratées : "Je regardais des émissions satellites illégales, comme Alerte à Malibu ou Beverly Hills. Je voulais imiter leur style", explique-t-elle encore.

En 1998, Raassi assiste avec des amis à une fête mixte. Dénoncés, ils sont arrêtés par la Basij, la police intérieure paramilitaire du régime. "On était persuadés qu'on n'irait pas en prison. Dans la voiture, on riait presque, on ne prenait pas ça au sérieux. J'étais persuadée que c'était impossible qu'ils nous arrêtent pour de vrai", raconte la jeune femme. Pourtant, Tala et ses camarades sont retenus en détention et condamnés à 40 coups de fouet pour les filles (50 pour les garçons), leur "punition" pour avoir assisté à une fête mixte, ce qui est formellement interdit en Iran depuis la révolution. Pour le régime ultra-religieux et conservateur, les fêtes mixtes sont en effet des lieux de débauche qui entraînent une promiscuité immorale entre les deux sexes. Aujourd'hui encore, elles sont sévèrement réprimées : 35 jeunes hommes et femmes fêtant l'obtention de leurs diplômes se sont vus condamnés à 99 coups de fouet pas plus tard qu'en mai dernier. Tala raconte même que pendant sa détention, elle a vu une femme en robe de mariée arrêtée qui avait été arrêtée pendant la cérémonie parce que le mariage était mixte.

"Le supplice mental est aussi terrible que la douleur physique"
Une femme iranienne, voilée "convenablement" © Getty Images

Raassi est alors enfermée dans une minuscule cellule, "entre les poubelles et les toilettes", et à côté d'une salle de torture : "On entendait des cris s'en échapper toute la journée", explique-t-elle. Elle décrit avec force de détails glaçants la torture mentale à laquelle elle a été soumise pendant ces cinq jours : "A chaque fois pendant l'appel à la prière, c'est-à-dire cinq fois par jour, les gardes nous alignaient. Ils nous annonçaient qu'on allait être fouettés, puis nous faisaient asseoir et attendre. C'était de la torture, on n'avait aucune idée de ce qui se passait. La nuit, on pouvait entendre les cris des femmes qui se faisaient violer. Parfois, ils les violaient avec des bouteilles de Coca-Cola".

Raassi a finalement été transportée dans un autre centre de détention avec ses amis, où on leur a exposé leurs fautes et la punition qu'ils encouraient. Un par un, ils ont ensuite été fouettés : "J'ai vu mes amis ressortir de la pièce avec le dos en sang, je les ai entendus hurler de douleur. Et puis ça a été à mon tour", dit-elle. Sa famille devait attendre à l'extérieur de la salle – et écouter ses cris de douleur. Elle a été attachée à un lit, puis fouettée 40 fois par une femme en tchador avec un fouet en cuir tressée trempé dans l'eau.

"Ça n'est pas comme se faire frapper ; ça brûle. Personnellement, j'ai trouvé ça extrêmement insultant et irrespectueux. Le supplice mental est aussi terrible que la douleur physique", commente la styliste pour Miranda Frum du Daily Beast. Son récit fait écho aux (trop) nombreux témoignages de femmes arrêtées par le régime et compilés sur "My Stealthy Freedom", une page créée en 2014 par la journaliste iranienne réfugiée aux Etats-Unis Masih Alinejad, qui se bat pour la défense des droits des femmes en Iran. Toutes décrivent toute un même sentiment de révolte face à l'injustice, la cruauté et l'humiliation des châtiments corporels qui sont toujours monnaie courante dans le pays.

La mode, cheval de bataille de Tala Raassi

Mais on ne pourrait résumer l'histoire de Raassi à ces sévices. Son succès a des allures de cri de protestation : la jeune femme a ensuite réussi à retourner aux Etats-Unis, où elle est devenue styliste et a lancé sa propre ligne de maillots de bain. Elle a été chargée de designer tous les maillots de bain pour l'immense compétition de beauté de Miss Univers et a raconté son histoire dans un livre autobiographique, Fashion Is Freedom: How a Girl from Tehran Broke the Rules to Change Her World... alors qu'elle est arrivée aux ETats-Unis sans savoir parler un mot d'anglais.

Elle a fait de la mode son cheval de bataille dans le combat pour la liberté des femmes. "Etre une styliste, en Iran, c'est aussi grave que d'être un trafiquant de drogues. C'est un sacrilège", a-t-elle expliqué au Sun. Malgré cela, elle explique que les femmes à Téhéran sont très coquettes, qu'elles s'habillent avec le plus grand soin sous leurs tchadors, qu'elles accordent beaucoup d'attention à leurs cheveux ou à leur maquillage. C'est une révolte silencieuse et personnelle, quand une femme peut être arrêtée à n'importe quel moment pour "indécence" par les 7 000 nouveaux indics dépêchés par le président Rohani pour surveiller les femmes "mal voilées".

Pour Raassi, ses créations sont sa manière de prendre le dessus sur la peur, l'humiliation et la répression qu'elle a connues en Iran. En attendant, lorsqu'on lui demande si cela n'est pas compliqué pour elle de créer des maillots de bain, elle répond très joliment... en parlant de la France, symbole par excellence de la liberté à ses yeux : "La liberté n'a rien à voir avec le nombre de vêtements que vous devez mettre ou enlever : c'est simplement d'avoir le choix de faire les deux. La dernière fois que j'ai été à la plage en France, j'ai vu des femmes en hijabs, couvertes de la tête aux pieds, marcher sur la même plage que des femmes en bikinis. Cette liberté de choix, c'est ce qui me fait sentir forte. J'ai appris à respecter les femmes qui ont choisi de se voiler à cause de leurs croyances religieuses et celles qui préféraient s'exhiber sans complexes dans des deux-pièces. Toutes ces femmes ont fait un choix, ont décidé de comment elles voulaient se présenter.".

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