Dans la ville de Bradford où vit Bana Gora, la population musulmane est bien intégrée. Sur les 523 000 habitants que compte cette ville moyenne du Yorkshire, dans l'ouest de l'Angleterre, un tiers est convertie à l'islam et prie régulièrement dans les quelque cent mosquées que compte la ville. À une exception près : les femmes, elles, doivent se contenter de prier à la maison.
Cela pourrait bientôt changer. Au mois de mai, Bana Gora, présidente du Muslim Women's Council (MWC), a officiellement présenté son projet lors de la conférence Daughters of Eve : celui de créer à Bradford une mosquée tenue par les femmes. Si les prières seront dirigées par un imam masculin, la gestion de la mosquée, elle, sera exclusivement assurée par des femmes. Hommes et enfants, chiites et sunnites y seront également admis. Une première en Grande-Bretagne.
Interrogée par The Guardian, Bana Gora explique l'importance d'accorder aux musulmanes un lieu de prière qu'elles géreront par elles-mêmes. "Durant toutes ces années où j'ai grandi dans le district de Bradford, nous ne sommes jamais allées à la mosquée avec mes soeurs. Nous priions à la maison. Et pourquoi n'allions-nous pas à la mosquée avec notre frère et notre père ? Parce que cela ne se faisait pas. Les femmes ne vont pas à la mosquée, nous disait-on. Pourtant, du temps du Prophète, les femmes y avaient exactement le même accès que les hommes."
Dans cette mosquée nouvelle génération, les femmes auront, au même titre que les hommes, accès à l'enseignement de l'islam et pourront y aborder la question de la radicalisation. Des services leur seront aussi proposés : aide à l'éducation, soutien en cas de divorce ou de deuil, conseils parentaux ou juridiques ... L'objectif d'une telle mosquée ? Créer un lieu de culte où les femmes se sentent en confiance et peuvent aborder sans crainte les questions religieuses, mais aussi faire de la mosquée un lieu de partage et d'échange entre hommes et femmes.
"L'aliénation que les femmes ressentent a des conséquences profondes sur les générations plus jeunes, auxquelles on enseigne que l'islam traite les hommes et les femmes comme des égaux spirituels, affirme Bana Gora. Or, la pratique qui sépare hommes et femmes dans les mosquées contredit ces principes."
Alors que les consultations pour la construction de la mosquée ont commencé courant juin pour une probable ouverture en 2018, le Muslim Women's Council se heurte à l'objectif d'élus locaux. Parmi eux, l'élue travailliste Naz Shah s'oppose fermement au projet défendu par Bana Gora, craignant qu'une mosquée qui leur serait dédiée ne les stigmatise davantage au sein de la communauté musulmane. Dans une tribune publiée le 31 juillet sur le site du Guardian , elle invoque ainsi une "mauvaise approche" de la pratique de la religion parce que "la communauté et la foi sont bien plus fortes quand hommes et femmes musulmans travaillent en partenariat d'égal à égal". "Je ne veux pas voir encore plus de ségrégation en fonction du genre, ni voir l'implication des femmes devenir marginale. On a besoin de bons exemples de mosquées et de médersa ("écoles" en arabe) qui incluent à la fois les hommes et les femmes."
Pas de quoi faire vaciller la détermination du Muslim Women's Council. "Si nos membres locaux élus démocratiquement se prononcent contre une structure gouvernée par des femmes, alors j'ai de sérieuses préoccupations quant à la façon dont ils s'engagent envers les électeurs locaux qui ont voté pour eux [...] Ce sont ces mêmes électeurs locaux, des femmes, qui viennent à nous et nous demandent cet espace. Nous suggérons qu'ils s'engagent peut-être plus auprès des électeurs et écoutent ce qu'ils demandent avant de faire de pareilles déclarations", a déclaré Bana Gora.