Société
Danielle Mérian : "Mon combat aux côtés des survivantes de l'excision"
Publié le 6 février 2019 à 12:02
Par Marguerite Nebelsztein
A l'occasion de la journée mondiale contre l'excision ce 6 février, Danielle Mérian, figure médiatique de l'après Bataclan, nous parle de son combat contre cette mutilation du clitoris.
La présidente de SOS Africaines en danger Danielle Mérian La présidente de SOS Africaines en danger Danielle Mérian
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Le grand public a découvert Danielle Mérian au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Une dame bon chic bon genre, à l'accent bourgeois des années 1960. Son discours, à contre-courant de ceux appelant à la vengeance, prônant l'adelphité avec les concitoyen·nes musulman·es, avait marqué les esprit. Elle nous avait ému·es.

Depuis, on a appris à connaître celle qui, en quelques secondes, avait remonté le moral en berne des Français.es après l'horreur.

Née en 1938, Danielle Mérian voit les photos que son père reporter ramène des camps de concentration. Profondément chrétienne, elle se battra pendant toute sa vie d'"avocat" aux côtés des victimes de la torture.

Elle explique la masculinisation de son nom de métier par un ordre des avocats pas vraiment porté sur l'égalité quand elle passa le barreau en 1962.

Militante à l'ACAT (Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture), mais aussi pour de nombreuses autres associations, elle se bat aujourd'hui, à 80 ans, pour les victimes de l'excision.

Danielle Mérian reçoit dans son magnifique salon, à deux pas du Bataclan dans le 11e arrondissement de Paris, juste avant l'organisation d'un dîner. Toujours occupée, elle fait partie de ces gens qui décident que la vieillesse, c'est dans la tête.

Elle raconte sa découverte tardive de l'excision et sa bataille contre ce fléau avec l'association SOS Africaines en danger.

Par le biais d'une levée de fonds en ligne, elle souhaite réunir assez d'argent pour acheter, rénover et équiper des bus pour sillonner les pays d'Afrique de l'Ouest ou l'excision se pratique encore, pour informer sur les dangers de ce qui mutile les fillettes et les femmes.

L'association organise également une soirée pour réunir de l'argent ce 6 février à Paris. Elle répond à nos questions avec Jean-Michel Vanzo, l'initiateur de ce projet en bus.

Terrafemina : Vous dites que vous avez découvert l'excision à 75 ans, pourquoi si tard ?

Danielle Mérian : J'ai découvert l'excision à 75 ans, je n'en suis pas fière. Parce que j'ai passé ma vie à combattre la torture institutionnelle, mais cette torture privée, je n'étais pas au courant.

Je ne l'explique pas. C'est la vie. J'ai toujours combattu tous les gouvernements, je combats d'ailleurs les gouvernements avec l'excision puisque, s'agissant des pays d'Afrique de l'Ouest, ils ont a peu près tous porté, soit dans les constitutions, soit dans la loi, l'interdiction de l'excision et l'interdiction du mariage des mineures. Et ils pratiquent une totale impunité.

A part le Burkina Faso, grâce à la femme du président, il y a une vraie campagne pour faire abandonner l'excision. Et d'ailleurs le docteur Mukwegue, qui a eu le prix Nobel de la paix, répare les femmes dans le Kivu. C'est un type exceptionnel, il va ouvrir une clinique à Ouagadougou pour la réparation du clitoris.

Il y a pas mal d'hôpitaux en France maintenant où il y a des chirurgies qui savent réparer le clitoris, formés par le docteur Foldes, qui m'a tout appris [NDLR : Pierre Foldes a créé une méthode pour réparer les clitoris].

Le docteur Foldes m'a expliqué que lorsqu'on coupe le gland du clitoris, le muscle se colle sur l'os du pubis, et quand la tête de l'enfant se présente à l'accouchement, la vulve ne bouge pas, c'est pour ça qu'il y a tellement de mortalité.

Comment êtes-vous devenue présidente de SOS Africaines en danger ?

D.M. : J'étais vice-présidente de l'association Parcours d'Exil, qui est un centre de soins aux torturé·es. En 2013, se sont présentées à la consultation du docteur Dutertre, qui est à la tête de ce centre, tellement de jeunes femmes guinéennes, peules, excisées et mariées de force... Des femmes qui couchent dans la rue parce qu'avant d'avoir une place dans un centre d'accueil des demandeurs d'asile, il se passe du temps.

Alors le docteur Dutertre s'est dit : "Je vais leur proposer de monter un groupe de parole". Et elles ont été extrêmement dynamiques, ces femmes, j'ai une grande admiration pour elles.

Elles ont immédiatement rédigé les statuts de SOS Africaines en danger, les "Africaines en danger" étant leurs fillettes restées au village.

Là-dessus, juste après, le docteur Dutertre nous a parlé de ce groupe de parole à l'assemblée général de Parcours d'exil. Il nous a expliqué que dans ce petit groupe de femmes, il n'y en avait aucune qui avait de statut, elles étaient toutes sans-papiers, elles ne pouvaient pas déposer les statuts à la préfecture.

Elle m'ont demandé d'être leur premier "président". Comme j'ai un tempérament de Bélier, j'ai foncé. Le docteur m'a présenté à ces femmes et nous avons eu un coup de foudre réciproque.

Mes adhérentes me disent toutes que leur accouchement a été tellement long, tellement atroce qu'il y a un moment, elles se disaient : "Si seulement je pouvais mourir pour que ça s'arrête". Je les appelle les survivantes.

Donc j'utilise le fait que je sois médiatisée pour parler à longueur de temps de mon combat contre l'excision.

Quel est le but de SOS Africaines en danger ?

D.M. : Notre objet, ça n'est pas de faire connaître l'excision en France. Ça, c'est l'objet de notre collectif Excision parlons-en qui a été créé par un jeune journaliste qui est tombé des nues au Caire en voyant que les chrétiennes étaient excisées.

L'objet de SOS Africaines en danger, c'est l'abandon de l'excision en Afrique. On a pris tout notre temps pour arriver à monter un programme, on est prêt, mais on ne peut pas le faire parce qu'on a pas assez de sous.

Chez SOS Africaines en Danger, nous voulons expliquer avec notre campagne en Afrique auprès des exciseuses et des parents, le mal qu'ils font parce qu'ils ne le connaissent pas.

Ils obéissent à une idée politique qui a plus de 6000 ans : la domination des femmes par les hommes. Puisque les pharaons ont créé l'excision. On le sait parce qu'on a retrouvé une momie excisée. Donc ça fait au moins 6000 ans que les hommes torturent les femmes.

Ce qu'ils savent, c'est que quand ils coupent le gland du clitoris, ils vont rendre les rapports sexuels pour la femme absolument atroces. Ainsi, madame ne trompera pas monsieur, qui lui est polygame. Cherchez l'erreur !

Nous voulons que nos médecins locaux aillent expliquer aux familles et aux exciseuses que c'est l'excision qui tue les femmes en couches.

Leur expliquer aussi que les règles des femmes excisées 8 jours par mois à ne pas pouvoir mettre le pied par terre tellement c'est atroce, pour l'économie d'un pays, c'est une catastrophe. Puisque la moitié des gens qui travaillent est handicapée un quart du mois.

Mais ils ne le savent pas, ils ne sont pas médecins.

On le fait parce qu'on l'a toujours fait. Les chrétiennes en Égypte sont toutes excisées. Jésus Christ n'a pas dit : "Mutilez-vous les uns les autres". Mais on le fait parce qu'on l'a toujours fait. Niveau zéro de la pensée. On ne bouge pas...

L'histoire d'une femme est très intéressante. Elle explique qu'elle vient d'une famille d'exciseuses depuis six générations. Et un jour, elle est allée voir son imam. Elle lui a demandé : "Dites-moi ce que dit le Coran", parce que certains musulmans sont dans l'incapacité de lire le Coran donc on peut leur raconter n'importe quoi.

Heureusement, l'imam était savant. Il lui a dit que le Coran ne parlait absolument pas de l'excision et que ses filles n'étaient pas excisées. La dame a arrêté du jour au lendemain. Elle croyait que la religion lui donnait l'obligation d'exciser.

Je n'ai que des musulmanes comme militantes. Malheureusement, leurs parents ne sont pas seulement musulmans. Ils sont animistes et pensent que les ancêtres ne seront pas contents si les filles ne sont pas excisées.

C'est ça qui est difficile, c'est qu'ils ont peur et n'ont jamais appris à penser librement.

Mes adhérentes ont découvert la liberté à Paris, et elles en jouissent, sans modération. Elles ont été dans une joie le 24 novembre à participer à la marche #NousToutes. Halala ! Des femmes qui n'avaient jamais pu participer dans leur pays respectif. Elles étaient enthousiastes.

Quelles sont vos autres activités ?

D.M. : On s'occupe de ces femmes ici, je fais énormément de choses comme d'être accompagnante à l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), parce que je connais par coeur l'histoire de ces femmes. Je suis écoeurée de voir que les unes ont le statut, les autres ne l'ont pas, c'est une véritable loterie.

Donc je m'en vais enseigner les officiers de protection. J'y vais avec notre petit fascicule. Je leur apprends plein de choses. Il y a par exemple une dame que j'accompagne et qui raconte : 'Ma mère est morte en couches, ma soeur est morte en couches'. Alors je leur dis : 'Vous savez pourquoi sa mère est morte en couches ?' Il me réponde que non ! Alors je leur explique et ils me disent tout le temps : "Ha, c'est ça l'excision ?!'. Oui bah, maintenant vous le savez.

Elles ont été excisées et ont réussi à fuir avec l'enfant. Celles qui n'ont pas pu essaient de les planquer.

Quand elles ont réussi à obtenir le statut de réfugiée en France, elles entament une démarche qu'on appelle de reconstitution familiale, et là, elles se heurtent à la mauvaise volonté de l'ensemble des ambassades de France où on obéit à un ordre qui vient de haut. Pour faire court : zéro visa.

Donc on viole la loi à longueur de temps et c'est un avocat qui vous le dit. Cela prend cinq ans pour obtenir des visa pour des enfants. Tous les prétextes sont bons pour les refuser et c'est une galère absolument épouvantable.

Ces femmes ont des raisons de se faire soigner. Parce que les cauchemars... En général, ce qu'elles fuient, ce sont les sévices de l'actuel mari. Je dis "l'actuel mari" parce que par exemple, ma vice-présidente, a eu le bonheur d'être deux fois excisée. Sa mère trouvait qu'il en "restait". Elle a failli y rester la deuxième fois à cause de l'hémorragie.

Elle a été deux fois mariée de force, parce qu'ils pratiquent le lévirat. Son père, pour une bouchée de pain, l'a vendue comme un morceau de viande à un vieux polygame, lequel l'a violée. Elle a perdu son mari imposé dans un accident automobile.

Elle se croyait libre. Quelle erreur.

On l'a remariée illico à un autre frère du vieux polygame, encore plus vieux que lui et rebelote. Et l'ensemble des sévices a été tel qu'elle a fui en confiant ses deux jumeaux à sa mère.

Vous avez ouvert une cagnotte pour réaliser un projet. Quel est-il ?

D.M. : Notre projet, c'est d'acheter des bus scolaires américains, de les transporter à Dakar, les transformer à la DDD, qui est la RATP de Dakar, qui a un magnifique atelier.

Cela coûte horriblement cher de transformer ces bus moitié dispensaire, moitié en cybercentre. Nous allons les habiller de liège pour lutter contre la chaleur.

Jean-Michel Vanzo : Cela nous en coûterait 20 000 euros par bus pour les équiper. Le budget nécessaire pour dix bus, dans dix pays pendant cinq ans, c'est un million d'euros.

On a aussi décliné un projet pilote qui sera décliné au Sénégal sur trois ans, et là le budget global et de 395 000 euros. On a identifié le budget minimum de lancement sur une année pour ce projet pilote : on est à 173 400 et nous avons récolté à ce jour 50 000 euros.

D.M. : J'ai parlé devant beaucoup de millionnaires qui m'ont beaucoup applaudie, mais de là à sortir leur portefeuille, c'est une autre chose...


Que pensez-vous de la politique de lutte pour les droit des femmes en France ?

D.M. : Qu'est-ce qui est fait, avec quel argent ? Parce que des femmes qui veulent faire des choses, il y en a plein, mais quel est le budget : zéro. Ou à peu près.

Quel travail effectuez-vous dans les écoles ?

D.M. : Je vais beaucoup dans les lycées depuis que j'ai publié Nous n'avons pas fini de nous aimer [co-écrit avec Tania de Montaigne chez Grasset en 2016]. Je le dis toujours devant des personnes qui ne connaissent pas l'excision et aux jeunes : je n'ai découvert l'excision qu'à 75 ans. Je dis aux jeunes qui ont 15 ans : 'Vous avez 50 ans d'avance sur nous, alors allez-y, parlez-en !'.

On a fait les mêmes exercices, en France et en Afrique, on a fait faire des devoirs avec des questions sur l'excision. Et les mômes au fin fond de la brousse disent : 'Ça n'est pas normal qu'une femme n'ait pas une vie sexuelle normale'.

Donc, l'avenir est à la jeunesse.

Pour participer au financement de la première tranche de 200 000 euros du projet de bus de Danielle Mérian et de SOS Africaines en Danger c'est par ici.

Mots clés
Société Monde afrique france Excision News essentielles clitoris Violences Femmes engagées droits des femmes
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