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Fanfictions : quand les femmes trempent leur plume dans l'encre de leurs fantasmes
Publié le 27 juillet 2015 à 14:51
Par Anaïs Orieul
Romans, films, séries, mangas... Qu'importe la source d'inspiration, pourvu qu'elle soit détournée. Chaque année, elles sont ainsi des millions de jeunes auteures en herbe à inventer un autre destin à leurs histoires préférées grâce à la fanfiction. Pourquoi cet univers est-il dominé par les femmes ? Qu'est-ce qui leur plaît là-dedans ? Des experts nous répondent.
Anna Todd, l'auteure de la saga "After" Anna Todd, l'auteure de la saga "After"© Sipa
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Deux ans après la sortie du dernier tome de sa trilogie érotique 50 nuances de Grey, E.L. James fait son grand retour en librairie. Dans son nouveau livre intitulé sobrement Grey, l'auteure britannique reprend l'histoire du début mais en la déroulant à travers le regard du héros sadomasochiste. Oubliez le récit à l'eau de rose conté par Anastasia, à en croire certains sites spécialisés anglo-saxons, en quelques pages le roman démontre à quel point le célèbre Mr. Grey a tout du prédateur sexuel. Et pourtant, cela ne devrait pas empêcher des millions de jeunes femmes de s'arracher ce nouvel opus tant attendu. Mais qu'est-ce qui peut bien leur plaire là-dedans ? Pour le savoir, il faut remonter à la source du phénomène : la fanfiction.

Cette activité extrêmement populaire aux États-Unis consiste à réécrire une oeuvre existante ou à s'inspirer d'un produit médiatique ou d'une personne pour créer une nouvelle histoire autour d'eux. Romans, séries, films, mangas, et même célébrités... Les auteurs de fanfictions détournent les protagonistes et leur offre un nouveau destin. E.L. James a ainsi commencé à se faire connaître grâce à une fanfiction autour de la saga ado Twilight, et elle est loin d'être la seule à être passionnée par ça. Sur Wattpad , l'un des plus gros sites communautaires dédiés entièrement à ce hobby, on trouve actuellement plus de 30 millions de fanfictions. Et s'il est difficile de savoir qui se cache derrière les 45 millions d'inscrits, on estime que le public est principalement jeune et féminin.

Avant de propulser 50 nuances de Grey en tête des ventes, les femmes sont donc déjà très présentes à la racine du mouvement. Selon Sébastien François, sociologue spécialiste des pratiques des fans, on peut même voir du féminisme dans cette appropriation de la fanfiction. Car aux origines, c'était bel et bien les hommes qui se passionnaient pour le sujet et s'amusaient à réinventer la vie des héros de Star Trek, Spock et le capitaine Kirk :

"Jusqu'à l'éclosion de la fanfiction moderne (années 60-70 aux États-Unis), les représentants actifs sont surtout des hommes. Ce sont eux qui sont présents aux conventions de science-fiction et qui contrôlent les fanzines. Mais en commençant aussi à écrire des fanfictions, les femmes ont trouvé un moyen d'exister au milieu des fans. Elles ont trouvé une filière à elles et ont commencé à trouver leur place dans ce monde qui avait une représentation assez masculine. Avec les fanfictions, les femmes prennent un certain pouvoir. Malgré le passage des fanfictions sur internet, on voit que le poids des femmes dans ce domaine a perduré. Elles n'écrivent pas seulement, ce sont aussi elles qui créent et gèrent les sites hébergeurs, sans parler bien sûr des grosses machines comme Wattpad."

E.L. James, auteure de la saga "Fifty Shades of Grey" © Sipa
Sentimentalisme, sexe et domination

Véritable phénomène de pop culture, E.L. James n'est pas la seule auteure de fanfiction à avoir réussi à couper les fils avec ses écrits de base pour s'orienter vers une oeuvre plus concrète. Au rayon best-sellers, on retrouve ainsi d'autres jeunes femmes devenues de véritables stars grâce à leurs écrits. Il y a par exemple Anna Todd, 26 ans au compteur, Texane et fan du boys band anglais One Direction. Repérée sur Wattpad grâce à sa fanfiction inspirée du chanteur Harry Styles, elle est aujourd'hui l'auteure d'une saga romantique et érotique en 5 tomes nommée After. En France, les ventes de ses livres dépassent actuellement le million d'exemplaires. Enfin, on peut également citer Christina Hobbs et Lauren Billings, les deux amies qui se cachent derrière le pseudonyme Christina Lauren et la série érotique en 4 tomes Beautiful Bastard inspirée quant à elle de... Twilight.

À chaque fois, le schéma semble se répéter : les fanfictions qui tapent dans l'oeil des éditeurs parlent d'amour, de sexe, mais surtout, elles mettent en scène une héroïne soumise et un héros abusif, voire légèrement psychopathe (Christian Greypar exemple). Qu'est-ce qui peut bien pousser Anna Todd et ses consoeurs à imaginer des personnages féminins qui renvoient automatiquement une image de la femme faible et malléable ? Pour Sébastien François, ces histoires grivoises sont avant tout une façon pour les auteures mais aussi les lectrices plutôt jeunes (moyenne d'âge 18 ans) d'apprivoiser leur corps et le sexe. Quand les héroïnes d'After et 50 nuances de Grey sont initiées à des jeux sexuels, ce n'est finalement pas son propre corps qu'on engage. Le sociologue explique aussi que c'est pour cette raison qu'il y a tant de fanfictions écrites par des jeunes filles mettant en scène des hommes homosexuels :

"Ça permet d'aller vers un certain type de fantasme qui n'est pas présent dans les produits originaux. Par exemple, les relations sexuelles sont décrites de manière très explicites, et peuvent tirer vers la pornographie. Des études datant des années 80 disent que ce serait un moyen d'avoir d'autres représentations de la sexualité et des relations amoureuses. Il y a beaucoup de femmes hétérosexuelles qui écrivent des histoires avec des personnages homosexuels et ce serait un moyen de se projeter dans d'autres types de relations. Certains chercheurs parlent de 'relations entre ego' parce qu'en mettant en scène deux hommes, la femme dépasse le rapport d'inégalité qu'il peut y avoir entre un protagoniste homme et un protagoniste femme. Des auteurs disent aussi que c'est un moyen de manipuler les corps masculins".

De son côté, Anne Blondat, attachée de presse chez Hugo Roman (After, Beautiful Bastard), estime que les héroïnes de fanfictions tant décriées pour leur soumission et leur naïveté ne sont pas si nunuches que ça. "Il faut un personnage fort et un personnage faible. Mais il faut aussi que le personnage qui apparaît faible en apparence soit finalement le plus fort des deux, qu'il ait une force de caractère que lui-même ne soupçonne pas au début. Et au contraire, il faut que l'autre personnage ait finalement une ou plusieurs faiblesses qui se cachent derrière un aspect dur et contrôlé", explique-t-elle.

Enfin, pour elle comme pour Sébastien François, il faut aussi peut-être arrêter de décrier la fanfiction et les romans qui en découlent. Ces histoires ne seraient au final rien de plus que des relectures des grands classiques de la littérature romantique du 19e siècle (Jane Austen, les soeurs Brontë...). Le sociologue indique : "50 nuances de Grey par exemple, reprend les codes du roman sentimental en y ajoutant simplement du sadomasochisme". Et d'ajouter très sérieusement : "S'il y a aussi des romans avec des héroïnes soumises, c'est aussi le choix des auditeurs. Ils auraient pu tomber dans un autre genre de fanfiction, mais ils n'ont pas choisi n'importe quoi. Il faut faire attention aux textes qui sont mis en avant par le phénomène, et éviter de croire que c'est représentatif de l'ensemble des fanfictions".

Mais où sont passés les hommes ?

Si les hommes ont été les premiers à s'intéresser à l'art de la fanfiction, ils ont aujourd'hui presque entièrement déserté le navire. La raison de ce changement est finalement assez évidente : les filles lisent plus que les garçons et elles sont également plus encouragées à écrire. Pierre Merckle, sociologue et spécialiste des pratiques culturelles des adolescents, confiait ainsi à Slate.fr en février dernier : "Les fanfictions étaient un genre prisé par les garçons dans les années 1990, à une époque où les usages créatifs du web étaient techniques. Pour publier un texte, cela nécessitait des compétences informatiques, alors plus répandues chez les hommes. Cela s'est renversé lorsque les nouvelles plateformes de blogs ont développé des interfaces à l'utilisation intuitive. Par ailleurs, la fanfiction relève d'un procédé assez classique, le récit d'invention. C'est un exercice scolaire, apprécié des professeurs de français et des jeunes filles, qui y excellent tout particulièrement".

Sébastien François estime quant à lui que les hommes pratiquent la fanfiction mais d'une autre façon. Ils privilégieraient ainsi le montage vidéo à l'écriture : "Les garçons semblent plutôt intéressés par la mise en scène de vidéos très spécifiques. Ce sont des vidéos qui mélangent des scènes de l'univers de départ mais qui les montent d'une certaine façon pour essayer de prolonger l'histoire. Ça a beaucoup été fait avec Harry Potter ou Le Seigneur des Anneaux par exemple. Il y a donc un partage des rôles qui s'est imposé avec ces différentes filières dans laquelle on existe plus que dans une autre".

Si l'appropriation de la fanfiction par un public majoritairement féminin n'est plus à démontrer, elle incite pourtant au débat. En début d'année, la professeure d'anglais et de fanfiction Anne Jamison estimait ainsi que si ce genre est décrié, c'est bel et bien à cause du sexe de ses auteures et de son public. "S'il y avait davantage d'auteurs masculins, on ne questionnerait sans doute pas sa légitimité littéraire", avait-elle ainsi déclaré à L'Express.

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