30 noms, 0 femmes. En dévoilant ce mardi sa liste des sélectionnés au Grand Prix, le festival de la BD d'Angoulême a choqué bon nombre de professionnels du neuvième art. Bien sûr, on trouve des grands noms dans cette liste. Alan Moore, Jean Van Hamme, Frank Miller, Christian Binet et même Stan Lee pour ne citer qu'eux. Mais pas de femme. Pas la moindre autrice. Nulle part. Pour les dessinatrices, scénaristes, éditrices et toutes celles qui font le monde de la bande dessinée, c'est plus qu'un affront, c'est un manque de reconnaissance total, un irrespect qui fait terriblement mal. Dans un communiqué, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme - qui regroupe 147 artistes – dénonce cette absence de mixité aberrante :
"Nous nous élevons contre cette discrimination évidente, cette négation totale de notre représentativité dans un médium qui compte de plus en plus de femmes. (...) Nous demandons tout simplement une prise en compte de la réalité de notre existence et de notre valeur. En effet, quel est donc le message envoyé aux autrices de bande dessinée et à celles en voie de le devenir ? On voudrait les décourager à avoir de l'ambition, à poursuivre leurs efforts, que l'on ne s'y prendrait pas autrement. On en revient à la notion de plafond de verre, toujours aussi désastreux : on nous tolère mais pas en haut de l'affiche. Les femmes en bande dessinée, doivent rester des 'auteurs confidentiels' par usage ?"
Le collectif rappelle également un fait qui en dit long : en 43 ans d'existence, le Grand Prix a été décerné à une seule femme, Florence Cestac en 2000. De son côté, Claire Bretécher, la créatrice d'Agrippine, a reçu en 1983 un Grand Prix spécial du 10e anniversaire, face au lauréat, Jean-Claude Forest.
En réaction à ce manque flagrant de parité, six hommes ont annoncé se retirer de la liste des nommés. Riad Sattouf, l'auteur des deux tomes de L'arabe du futur, a été le premier à réagir sur sa page Facebook, expliquant : "Il se trouve que cette liste ne comprend que des hommes. Cela me gêne, car il y a beaucoup de grandes artistes qui mériteraient d'y être. Je préfère donc céder ma place à par exemple, Rumiko Takahashi, Julie Doucet, Anouk Ricard, Marjane Satrapi, Catherine Meurisse (je vais pas faire la liste de tous les gens que j'aime bien hein !)... Je demande ainsi à être retiré de cette liste, en espérant toutefois pouvoir la réintégrer le jour où elle sera plus paritaire! Merci!"
Dans la foulée, Joann Sfar (Le Chat du rabbin) a également annoncé qu'il préférait se retirer via un poste Facebook : "Aucun auteur ne peut souhaiter figurer sur une liste entièrement masculine. Cela enverrait un message désastreux à une profession qui de toutes parts se féminise. Bien entendu, je demande que mon nom soit retiré de la liste des nommés. Je suis certain que l'ensemble des auteurs nommés auront la même réaction".
L'auteur américain Daniel Clowes leur a finalement emboîté le pas en publiant un message court mais incisif sur son site : "Je soutiens le boycott du Grand prix d'Angoulême et je retire mon nom de toute considération de ce qui est à présent un 'honneur' dénué de sens. Quelle débâcle embarrassante et ridicule". Ont suivi Etienne Davodeau, qui a fait part de sa déception sur Facebook, puis Charles Burns et Pierre Christin.
16h10 - EDIT
Quatre autres auteurs se sont retirés de la liste : Christophe Blain, Milo Manara, Chris Ware et François Bourgeon.
Contacté par Libération, Franck Bondoux, le délégué général du festival d'Angoulême, a tenté d'apaiser les tensions en expliquant que si manque de diversité il y a, c'est parce que l'univers de la bande dessinée s'est féminisé sur le tard : "Ce Grand Prix récompense un auteur pour l'ensemble de son oeuvre et sa carrière, or, l'histoire de la BD est essentiellement d'obédience masculine. On ne va pas instaurer des quotas. Le critère doit-il être absolument d'avoir des femmes ? Le festival reflète la réalité de cet univers". Interrogé ensuite par Le Monde, il va encore plus loin en assenant : "Si vous allez au Louvre, vous trouverez également assez peu d'artistes féminines".
Mais pour celles qui font partie de cet univers justement, l'argument historique est fourbe en plus de ne pas tenir la route. Mirion Malle, la dessinatrice du blog Commando Culotte, répond ainsi avec une certaine ironie : "Le dessinateur Zep a bien reçu le Grand prix en 2004 après une courte carrière et une seule oeuvre marquante, Titeuf". D'autant plus que selon elle, les autrices qui mériteraient d'être nommées aux côtés de leurs confrères ne manquent pas : "Alison Bechdel, Catel, Barbara Canepa, Debbie Dreschler, Julie Doucet, Chantal Montellier, Trina Robbins, Jeanne Puchol par exemple ont marqué l'histoire de la bande dessinée et ont eu pour la plupart du succès, ce qui constitue me semble-t-il le critère de sélection".
De son côté, Joanna Schiffer, du collectif des créatrices de bande dessinées contre le sexisme, assure au Monde : "C'est le serpent qui se mord la queue. Les femmes sont présentes depuis fort longtemps dans la bande dessinée. Le problème est qu'elles n'arrivent jamais au finish, on ne mise pas sur elles. La bande dessinée n'échappe pas à l'entre-soi qui règne dans les milieux artistiques et culturels, où les hommes s'élisent entre eux".
En attendant, la sélection 100% masculine du Grand prix du festival d'Angoulême se réduit petit à petit. 24 noms, mais toujours 0 femmes.