Les mois qui suivent la naissance d'un enfant sont un bordel sans nom. Organisation à la maison, sommeil, hormones, certitudes sur la parentalité, ses piliers et son déroulement : tout fout le camp. Et à côté de ça, on doit se remettre d'une épreuve corporelle qui a pu laisser des traces. L'accouchement et, plus généralement, les 6 à 9 mois de grossesse qui viennent de se terminer, faut-il le préciser.
Notre apparence a changé - forcément, on a créé un humain - notre organisme doit accuser le coup et, aussi naturel soit le processus, cela prend du temps et de l'énergie.
Au milieu de tout ça, il y a nous, il y a moi et ("Don't forget me, I'm doctor B", les vrai·es sauront) surtout les autres. Ces autres qui jugent bon d'y aller de leur commentaire sur notre silhouette quand en fait, on est déjà suffisamment épuisée mentalement et physiquement par l'enfant et sa nouvelle existence, pour avoir à se soucier de ce que pensent nos proches, nos moins proches et la société.
Alors certes, plus l'époque avance, plus rares se font les voix qui nous balanceront en pleine face : "Dis donc, t'as pris du poids, tu vas faire du sport pour le perdre ?" ou "Ah tiens, t'as pas encore retrouvé ta ligne ?" ou encore "Pourquoi ton ventre est encore si gros ? Ça fait longtemps que t'as accouché, non ?". Quoique, les exemples restent beaucoup trop fréquents.
Par ailleurs, certaines réflexions pensées comme un compliment peuvent se faire, en réalité, d'insidieux messages qu'il serait tout aussi bon de cesser. Notamment, les félicitations à peine dissimulées lorsqu'une femme rentre de nouveau dans ses jeans quelques semaines après le terme.
Il m'a fallu du temps pour déconstruire d'où venait le sentiment de fierté que j'éprouvais quand on m'intimait qu'on n'aurait "jamais deviné que j'avais accouché il y a trois semaines". Ça me procurait un plaisir fou, le fait de pouvoir enfiler mes anciennes fringues rapidement sans avoir à investir dans des tailles plus grandes. C'était même devenu une obsession. Le poids sur la balance, le mètre autour des cuisses. Les exercices de sport pour "retrouver mon corps". Etrange d'ailleurs, cette expression, quand on sait qu'il n'est parti nulle part, bien au contraire.
Et puis, petit à petit, j'ai compris. J'ai réalisé que plus j'aimais qu'on me le fasse remarquer, plus je craignais qu'on ne me le fasse plus remarquer. J'ai réalisé que, de manière aussi bienveillante ces mots avaient-ils été prononcés dans la bouche de mes ami·es, aussi sincères aient été mes "merci !", tout cela était véritablement problématique tant ils revenait à placer la minceur comme but ultime et critère absolu de beauté. Et forcément, à installer une pression lancinante dans mon esprit pour que mon tour de taille ne bouge pas d'un poil.
En associant le fait d'avoir maigri ou "pas grossi" à quelque chose de positif, on implique que l'inverse serait négatif. Rien de révolutionnaire à cette analyse, qu'on se le dise, puisque le phénomène prend racine dans deux fléaux notoires : la permanente réduction des femmes à leur apparence, et la grossophobie.
"Bien sûr, cela ressemble à un compliment, et c'est généralement le cas", écrivait ainsi une jeune femme dans une chronique anonyme publiée sur le site de la version britannique de Stylist. "Mais il est certain qu'en ces temps quelque peu éclairés, nous pouvons voir que féliciter une personne d'avoir perdu du poids peut être tout aussi malsain que de la culpabiliser si elle n'en perd pas."
Et d'épingler : "La raison pour laquelle cela ressemble à un compliment est que, en tant que femmes, nous avons été conditionnées à croire que l'apparence de notre corps est l'une des choses les plus importantes et les plus déterminantes pour nous." Touchée.
"Ce commentaire sur la perte de poids trahit le fait qu'en tant que société, nous ne pouvons nous empêcher de noter mentalement la silhouette d'une femme, que nous pensions être positif·ve ou non", poursuit encore l'autrice. "Il trahit le fait que mon poids de grossesse sera observé par mon entourage, qu'il augmente ou diminue. Cela trahit ce jugement inhérent, une perpétuation des idées néfastes du corps dit 'parfait'".
De quoi laisser entendre aux femmes concernées une incohérence dévastatrice : le monde a un droit de regard et de critique sur nos corps, mais c'est à nous qu'incombe la responsabilité de les façonner selon ses désirs.
Pour finir, si ce biais est intériorisé et inconscient chez de nombreuses personnes, il n'en demeure pas moins blessant et nocif. Surtout, il doit être adressé et combattu. Reste à vouloir entreprendre le travail nécessaire. En 2022, il serait peut-être grand temps d'arrêter de dire aux femmes, enceinte ou non, si leur poids relève du compliment ?