Jean-Paul Brighelli : C’est une aberration de taille. Je l’invite à venir en cours, afin de constater sa méconnaissance totale de ce qui se fait déjà dans les classes de collège, lycée et prépa. Primo, la ministre prend pour exemple Rimbaud et Verlaine, comme si tous les professeurs de France n’évoquaient pas déjà l’homosexualité des deux poètes, intrinsèque à leurs œuvres. Cette année, le recueil « Romance sans paroles » de Verlaine est au programme des prépas scientifiques : évidemment que nous racontons l’histoire d’amour des deux poètes ! De même, il n’y a pas un prof qui oublierait d’évoquer l’homosexualité d’Oscar Wilde, ou celle de Colette, lorsque ces anecdotes ont une incidence directe sur leur œuvre.
Mais la vraie question, que la ministre n’a pas dû se poser, n’est pas de savoir si un auteur est homosexuel ou non, mais si cela a un impact sur son œuvre. Quel est l’intérêt de connaître la vie sexuelle des auteurs ? Qu’est-ce que cela apporte au-delà de l’anecdote ? Ce n’est pas parce qu’il était homo que Gide a écrit « La Porte étroite » : dois-je dans ce cas évoquer quand même son orientation sexuelle ? Et alors, dois-je spécifier également à mes élèves que Victor Hugo était un très gros consommateur de femmes ? C’est absurde. De la même manière, si l’on étudie le Premier Empire, Cambacérès, archichancelier et proche de Napoléon, était connu pour avoir « le petit défaut », comme on le disait à l’époque. Devons-nous retenir ce point ou bien son œuvre législative ? Dans ce cas, je serais plutôt partisan de la doctrine « Don’t ask, don’t tell » : ne pas demander, ne pas révéler. Et reprendrais les paroles de Brassens dans « Les trompettes de la renommée » : « Manquant à la pudeur la plus élémentaire, dois-je, pour les besoins de la cause publicitaire, divulguer avec qui, et dans quelle position, je plonge dans le stupre et la fornication ? »…
J-P. B. : Bien sûr, on peut par exemple nommer Gide pour certains ouvrages, Sade, Oscar Wilde ou certains personnages historiques comme Philippe d’Orléans, ou encore le poète Claude Le Petit et Charles D’Assoucy, un ami de Molière. Mais il y a des dizaines et des dizaines d’auteurs dont l’homosexualité n’a aucune influence sur l’œuvre. Qu’est-ce que ça apporte alors de savoir que des homos ont brillé dans les Arts et les Lettres ? Je ne vois pas pourquoi leur vie privée ne le resterait pas. Qu’est-ce qu’en soi cela peut apporter sur l’acceptation de l’homosexualité de savoir par exemple que Rimbaud, qui était un petit voyou qui a brisé le cœur de Verlaine et a détruit cet homme, était homosexuel ? Est-ce une idée à faire passer en tant que telle ?
Si l’on commence à tout dire n’importe comment à n’importe qui, on va vers la catastrophe. Cela peut créer des dégâts auprès d’adolescents mal dans leur peau. La proposition bien-pensante de la ministre pourrait aboutir à des situations dangereuses, où les étudiants seraient sommés de se qualifier en fonction de leur orientation sexuelle.
J-P. B. : Tout ce qui a trait à la sexualité suscite automatiquement des ricanements gênés et moqueries chez les adolescents à qui l’on enseigne, et l’homosexualité ne fait pas exception. Il n’y a pas plus de tabou sur l’homosexualité que sur la sexualité tout court. Je pense qu’il serait surtout temps de repenser entièrement l’éducation sexuelle à l’école, qui reste pour l’heure l’apanage des cours de SVT et réduit la sexualité à la reproduction. Par ailleurs, ces cours ont lieu en 4e : ce n’est certainement pas l’âge où les enfants sont les plus réceptifs à ces questions. De même, on apprend dès la classe de CE2 le poème de Verlaine « Il pleure dans mon cœur ». Doit-on alors expliquer aux écoliers que l’auteur du poème se faisait sodomiser par Rimbaud ? Ou doit-on attendre qu’ils aient 18 ans pour leur donner ces détails ? Je préfère évidemment leur expliquer l’œuvre de façon plus explicite, quand ils sont en âge de comprendre. Je suis pour que le sujet de l’homosexualité vienne petit à petit, dans un discours général : le rôle de l’école est de donner une culture suffisamment large et un esprit de tolérance assez grand pour que le sujet soit tout sauf un tabou.
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