Culture
Qu'est-ce qui fait vibrer Imany ?
Publié le 9 septembre 2021 à 15:24
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Elle a pris le temps pour façonner son nouveau projet, "Voodoo Cello", superbe album où elle s'entoure d'un octuor de violoncelles pour réinterpréter Madonna, Ed Sheeran ou encore Jacques Brel. Nous avons rencontré Imany pour parler de ses inspirations, de ses colères et de ses espoirs.
Imany et son nouvel album, Voodoo Cello Imany et son nouvel album, Voodoo Cello© Eugenio Recuenco
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En 2016, le monde entier fredonnait son irrésistible Don't be So Shy et succombait au timbre rauque d'Imany. S'en sont suivies des tournées, avec leur tourbillon de concerts, de nuits trop courtes, de fatigue accumulée. Imany a beaucoup donné. Trop sans doute. Et elle a craqué. Après cette pause forcée, la chanteuse essorée a pris le temps. Pour elle, pour sa famille, pour sa musique. Elle a tendu l'oreille aussi, en quête de sonorités qui la referaient frissonner.

Pour son nouveau projet, Voodoo Cello, elle a voulu s'entourer de huit violoncelles, rien de plus. Et a sélectionné avec un soin infini douze chansons qui raconteraient son monde, où colères, amour et espoir s'entrelacent. Jacques Brel, Ed Sheeran, Elton John ou encore Madonna... Des tubes planétaires sertis de cordes qui se métamorphosent et se transfigurent sous l'effet des vibratos et de sa belle voix soul. "Le principe d'une bonne cover, c'est que la chanson devient la vôtre", sourit-elle lorsque nous la rencontrons. Mission accomplie. Plus qu'un album de reprises, son Voodoo Cello baroque résonne et vibre puissamment.

Nous avons échangé avec la chanteuse sur ses choix audacieux, sur la nécessité de donner de la voix et sur ses envies de quarantenaire libre et toujours aussi engagée.

Terrafemina : Pourquoi avoir attendu 5 ans pour sortir un nouvel album ?

Imany : J'ai fait une grosse tournée de trois ans. Et lorsque j'ai arrêté de tourner, j'étais enceinte. Il a bien fallu que je sorte ce bébé (rires) ! A vrai dire, je m'étais usée la santé durant toutes ces années. Au final, j'ai fait un burn-out. Je n'ai pas eu d'autres choix que de me poser et me reposer.

Comment expliques-tu cet épuisement ?

I.: Je venais d'avoir mon premier enfant, qui a été difficile à avoir, puis j'ai enchaîné la sortie de l'album The Wrong Kind of War et les dates de concert alors que mon bébé n'avait que trois mois. Le single Don't Be So Shy avait explosé dans le monde entier et il y avait beaucoup de demandes auxquelles je voulais répondre. Mais je n'avais plus 25 ans...

C'était dur, je n'avais pas de breaks. On se laisse vite submerger. Je dormais mal, je m'alimentais mal, je posais à peine mes valises que je repartais déjà, je n'avais plus de vie sociale... Il y a eu une usure physique et psychologique. Et ça a craqué.

Pour ce nouvel album, tu t'es entourée de huit instruments identiques, des violoncelles. Pourquoi ce choix ?

I.: Depuis des années, je parle de faire un projet avec des instruments à cordes. Mais j'imaginais plus à un quatuor à cordes et voix. J'avais adoré Vitamin Quartet et trouvé génial d'entendre du Tupac version classique. Puis un ami musicien m'a conseillé d'aller voir le concert d'un octuor de violoncelles. Au bout de quelques secondes, je me suis dit que c'est ce que je voulais faire. D'autant que j'ai toujours adoré le violoncelle. C'était une évidence.

C'est un instrument finalement sous-estimé et pourtant très puissant.

I.: Oui, c'est vrai qu'on met toujours le violon en avant. Le violoncelle est l'instrument le plus proche de la voix humaine, celui qui a une tessiture très large : il va très haut et très bas. Et selon l'utilisation de l'archer, il peut être très animé. Parfois, ça sonne comme des sirènes, des guitares électriques, des flûtes ou un didjeridoo. Et parfois, on peut taper sur la caisse de résonnance pour faire de la percussion. Bref, tout ça, on ne peut pas l'avoir avec un violon !

Et il se rapproche d'ailleurs de ta propre tessiture.

I.: Oui, d'ailleurs, je me considère comme le 9e violoncelle sur cet album. Mais il descend quand même plus bas que moi...

La chanteuse Imany en 2021 © Eugenio Recuenco
Comment s'est fait le choix des reprises ?

I.: Très difficilement. Certaines chansons étaient une évidence, comme celle de Bonnie Tyler, Total Eclipse Of The Heart, un titre guilty pleasure que j'adore. Au départ, on avait choisi beaucoup de coups de coeur, mais il manquait des chansons qui parlaient d'engagement, de moi. Ça a été compliqué de n'en garder que douze.

Les textes ont donc joué un rôle important dans ta sélection. Quels messages voulais-tu faire passer ?

I.: Quand on fait un album de reprises, il faut pouvoir apporter de soi, une autre lecture. Je ne voulais pas trahir la mélodie, mais défendre le texte comme si j'avais écrit la chanson. Je fermais le yeux et je vivais le texte. Impossible de chanter à propos de la météo ! (rires)

Ces douze chansons ont-elles un point commun ?

I.: L'amour. Ca peut être l'amour romantique (Bonnie Tyler), le droit de s'aimer comme on a envie de s'aimer (Take Me To Church d'Hozier ou All The Things She Said de t.A.T.u.), l'amour de la nature et de la solidarité (Les voleurs d'eau d'Henri Salvador), la sororité (Wild World de Cat Stevens)... C'est le sujet central de notre vie, l'amour.

Quelle chanson t'est la plus personnelle ?

I.: Je les aime toutes pour des raisons différentes. Je pense que ça dépend des périodes. Par exemple, If you Go Away (version anglaise de "Ne me quitte pas" de Jacques Brel- ndlr) peut être très personnelle. Quand je la chante sur scène, je m'imagine une personne en face pour vraiment la vivre. Cela nous est tous arrivé un jour de demander à quelqu'un de ne pas partir...

Mais Black Little Angels d'Eartha Kitt est probablement ma préférée : elle est moins connue que d'autres, c'est une chanson mexicaine des années 30 et elle dit tout de l'époque dans laquelle on vit aujourd'hui, sur l'exclusion, l'inclusion... Elle me touche beaucoup.

La femme est au coeur de plusieurs chansons de l'album. Certains titres prennent même des airs d'hymnes féministes, comme I'm Still Standing d'Elton John.

I.: Quand on est une artiste, on met beaucoup de qui on est. Le All The Things She Said de t.A.T.u, on le joue vraiment en mode girl power sur scène, juste après Like a Prayer de Madonna. C'est ça qui est intéressant dans les reprises : si l'artiste s'y prend bien, on peut apporter une lecture supplémentaire à un titre existant. Parce que je suis une femme et que c'est moi qui le chante, les autres femmes vont entendre quelque chose de supplémentaire, comme pour I'm Still Standing. C'est ça qui est génial !

Te considères-tu féministe ?

I.: Oui. Je ne vois pas comment je pourrais être autre chose puisque le féminisme, ça ne demande ni plus ni moins que d'avoir les mêmes droits que les hommes.

L'année 2020 a été un tournant, avec la mort de George Floyd, la montée en puissance de Black Lives Matter. En France, le climat politique est absolument détestable, la parole raciste se libère. Cela te semble-t-il important en tant qu'artiste et qui plus est en tant que femme noire, de donner de la voix sur ces sujets ?

I.: Le boulot de l'artiste est de conter les temps auxquels il appartient. C'est Nina Simone qui le disait, Bob Dylan aussi et ils ont raison. Si les temps sont sombres et difficiles, il faut savoir le dire, le décrier, le dénoncer. C'est ma nature. Aujourd'hui, le problème est dans la fragmentation, dans la labellisation : "Je suis noire", "Je suis LGBTQ+"... Il est très important que l'on nomme ces catégories parce qu'elle existent, mais il ne faut pas tomber dans l'étiquetage, où l'on deviendrait des "marchés".

Je suis pour la convergence des luttes, que ce ne soit pas une lutte de Noir·e·s, une lutte de femmes... Si on converge, on va beaucoup plus loin et plus vite. En tant qu'artistes, nous avons une plateforme importante et cela permet de toucher des gens qui auront envie de changer les choses, du moins localement. C'est un privilège et il faut l'honorer.

Les artistes qui s'engagent deviennent pourtant de plus en plus rares.

I.: Je pense que le capitalisme a gagné : quand un artiste ouvre sa bouche sur les sujets qui fâchent, elle ou il se fait dézinguer sur les réseaux sociaux, on peut perdre des sponsors, on peut se faire "cancel" très vite. Les artistes peur de parler, sauf que cette peur ne mène nulle part. Ils devraient prendre des risques car l'enjeu est plus grand que nous.

Tu as d'ailleurs été l'une des premières à parler de l'endométriose.

I.: Je suis moi-même atteinte d'endométriose. Et lorsque la présidente de l'association ENDOmind m'a demandé si je voulais les aider, mon premier réflexe a été de refuser car cela atteignait mon intimité. Mais quand elle m'a expliqué qu'on était 4 millions de femmes à souffrir chacune de notre côté et que tout le monde s'en fout, cela m'a convaincue.

Se taire, c'est continuer à perpétuer cette injustice. J'ai la possibilité de parler de ce sujet considéré comme "sale", tabou. Aujourd'hui, cela avance. On parle avec le ministre de la Santé pour que l'endométriose soit déclaré comme maladie longue durée, qu'il y ait une meilleure prise en charge, pour que la chaîne de soin soit modifiée. Ce combat est galvanisant parce que ça avance tout le temps. On libère et on redonne du pouvoir à des femmes qui se sentent hyper seules et désespérées, on informe des hommes qui se savaient même pas ce que c'était. S'il y avait dans les instances de décisions et de recherche plus de femmes, ça avancerait beaucoup plus vite !

Tu as 42 ans. Est-ce que ce passage à la quarantaine a été un pivot ?

I.: J'ai eu ma fille à 39 ans. Cela coïncidait avec cette crise de la quarantaine dont tout le monde parle. Et je sens que ce projet d'album, qui arrive à la moitié de ma vie, tombe pile : il faut que je me fasse plaisir et que je prenne des risques. C'est une certaine forme d'empouvoirement.

Comme beaucoup de personnes, j'ai été la stagiaire de ma vie jusqu'à présent et aujourd'hui, je me sens légitime pour beaucoup de choses, comme m'occuper des arrangements, faire la direction artistique du projet et du spectacle. Je n'ai pas acheté de Porsche, mais voilà ma crise de la quarantaine (rires).

As-tu déjà été victime de sexisme dans le milieu de l'industrie musicale ?

I.: Pas brutalement et frontalement. Je suis la patronne et c'est plus difficile d'être sexiste avec celle qui signe le chèque. Mais quand j'ai commencé, oui. Des rendez-vous à 23h avec des producteurs dans les bureaux, des gens qui te disent de raccourcir ta jupe... Et même récemment, on m'a encore reproché de ne pas sourire. Ce genre de petites piques au quotidien, quoi.

Sens-tu une sororité se dessiner au sein de la sphère musicale ?

I.: Je trouve que cela a mis beaucoup de temps dans le milieu de la musique. Les femmes parlent plus aujourd'hui, mais beaucoup de gros dossiers qui ne sont pas encore sortis. Je serai intéressée par une sororité de fond : signer des tribunes, monter au créneau, que chacune raconte son parcours.

Il faut créer des réseaux de femmes qui s'entraident dans la musique, des femmes qui ouvrent les portes. Il faut aller encore plus loin que du déclaratif. Il faut être plus fortes ensemble, créer un espace pour nous, les femmes, pour s'entraider. Parce que ce mouvement de solidarité entre hommes, il existe, dans les plus hautes instances comme dans les plus basses.

Quelles sont les femmes qui t'ont le plus inspirée dans la vie ?

I.: Je dirais ma mère, parce que c'est une femme qui a une histoire dure et qui malgré tout est toujours là, debout, souriante, elle aime les gens, elle est généreuse et elle a la classe : elle met du rouge à lèvres pour descendre les poubelles ! C'est vraiment un exemple pour moi.

Et Nina Simone, une femme qui m'a inspirée pas tellement pour son parcours personnel qui a été assez chaotique, j'essaie d'éviter d'avoir le même parcours personnel qu'elle. Mais tout le parcours du combattant qu'elle a dû subir, elle est restée telle qu'elle était quoi qu'il arrivait. Et ça, pour une femme, c'est ce qu'il y a de plus dur.

Quel est ton dernier moment badass ?

I.: Entre essayer de créer un spectacle, lancer un album, aller chercher le gosse de 5 ans, s'occuper de la gamine de 2 ans, faire le coaching de sport le matin, faire à manger, régler les problèmes de plomberie, de fissures dans les murs, les egos des musiciens, etc... Et toujours survivre et garder le sourire, je crois que je suis badass depuis toujours !

Imany, album Voodoo Cello, disponible depuis le 3 septembre 2021

En concert au Théâtre du Châtelet le 15 novembre 2021

Mots clés
Culture interview Girl power musique News essentielles Femmes engagées feminisme sexisme empowerment
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