Depuis la révolution islamique, danser est une activité illicite en Iran. À la chute du Shah et à l'arrivée au pouvoir de l'Ayatollah Khomeiny en 1979, la Compagnie de Ballet national iranien, fondée en 1958, est dissoute. Les danseurs étrangers qu'elle employait ont dû fuir le pays. Quant à leurs homologues iraniens, ils se sont retrouvés face à trois choix : abandonner leur passion et trouver un autre emploi, quitter l'Iran à leur tour ou entrer dans la clandestinité pour continuer à danser.
Si certains danseurs iraniens ont trouvé refuse en Suède où a été montée en 1998 la compagnie Les Ballets Persans, beaucoup ont choisi de continuer à danser à leurs risques et périls dans leur pays. Ada fait partie de ceux-là.
Âgée de 28 ans, cette danseuse raconte à Broadly comment son amour de la danse l'a faite malgré elle entrer dans la clandestinité. Obsédée depuis son enfance par Le Lac des Cygnes, elle assiste à son premier cours de ballet à 20 ans. "Je ne suis pas du genre à prendre des risques et je ne suis jamais allée à une soirée illégale à l'université, raconte la jeune femme, mais les cours de danse valaient le coup de se mettre en danger."
Parce que la danse est considérée comme un péché passible d'emprisonnement et qui pourrait lui valoir son expulsion de l'université, Ada refuse de dire à ses parents qu'elle apprend en secret à danser. Dans les faits, les autorités "tolèrent" les cours de danse, à une condition : que les professeurs qui ont sont les instigateurs leur versent des pots-de-vin suffisants.
Les sous-sols abandonnés d'hôpitaux, des immeubles de bureaux vacants... La petite troupe de danse qu'a rejointe Ada est constamment obligée de changer de cachette pour éviter son arrestation. Généralement, les cours se déroulent sans musique pour éviter que celle-ci n'alerte les voisins. "À tout moment, il y a un risque que la police arrive et nous arrête tous, explique Azar, l'ancienne professeure de danse d'Ada. Je continue de dire à mes étudiants que je ne peux pas garantir leur sécurité, même si je tâche d'être très prudente. J'accepte seulement les étudiants qui ont été recommandés par d'autres élèves. Je ne cherche pas à remplir toutes mes classes en faisant de la publicité, comme un autre enseignant qui distribue des flyers dans la rue."
Broadly s'intéresse aussi au parcours de Nassrin, une ancienne danseuse devenue l'un des seuls fournisseurs de chaussons de danse de Téhéran. Avant la Révolution islamique, les danseurs professionnels et amateurs avaient la possibilité d'acheter leurs pointes et chaussons dans de nombreux commerces, qui proposaient des modèles variés et de haute qualité. Trente-cinq ans plus tard, les marchands de chaussures de Téhéran ont déserté la capitale ou ont changé de métier. Pas Nassrin. Sur Instagram , la cordonnière présente son travail et démarche de nouveaux clients. Les risques ? Elle préfère les balayer d'un revers de main. "Je fais des chaussures de danse. Ils ne peuvent pas interdire la fabrication de chaussures..."
Si pratiquer la danse reste dans les faits toujours interdit, Nassrin et Ada ont l'impression que quelque chose est en train de changer en Iran. Ada explique que lorsqu'elle a commencé la danse il y a huit ans, les gens étaient beaucoup plus inquiets à l'idée d'être arrêtés. Aujourd'hui, elle affirme que tout le monde s'est habitué au rythme des arrestations policières. Les danseurs doivent encore garder leur entraînement secret, les enseignants à compter le rythme dans des salles silencieuses et les vendeurs de chaussons de danse à cacher leur activité. Mais, affirme Ada, les occasions de danser en public sont de plus en plus nombreuses, même si danser devant des hommes quand on est une femme reste illégal.