"Avec le confinement, un certain nombre de femmes, même si elles entament les démarches dans les temps, vont se retrouver en dehors du délai légal. Il nous faudra dans tous les cas rester vigilantes". Ces paroles pleines d'appréhension de la militante au Planning Familial Danielle Gaudry résonnent tristement aujourd'hui.
Alors que le coronavirus et tout ce qu'il implique (confinement, hôpitaux encombrés, personnel soignant débordé) a pu susciter bien des frayeurs concernant les limites de l'accès à l'IVG en France, la nécessité d'allonger les délais légaux du droit à l'avortement de 12 à 14 semaines de grossesse supplémentaires s'est rapidement énoncée en retour. Elle a même fait l'objet d'une proposition d'amendement de la part de l'ancienne ministre des Droits des femmes et sénatrice Laurence Rossignol. Oui mais voilà : cette proposition vient d'être déclinée par le Sénat.
Un rejet qui inquiète aussi bien l'opinion publique que les voix militantes. Car dès le mois de mars, Laurence Rossignol (encore) nous alertait avec éloquence : "Les professionnels de la santé sont inquiets. En cette période, il y aura de nombreuses femmes hors délai et des services perturbés. Le gouvernement lâche les femmes et les médecins !". Le vote du Sénat ne semble hélas pas rectifier le tir...
Et pourtant, il s'en est fallu de peu. 143 sénateurs et sénatrices ont délivré un vote favorable - ou, comme a pu l'écrire l'ancienne ministre, "ont pris en compte la détresse des femmes". Mais il a simplement manqué de treize voix pour que l'amendement passe. La faute, dixit la politicienne, "à l'aile la plus conservatrice du Sénat" - comprendre, une majorité de sénateurs dont la sensibilité tend vers la droite. Pour le Planning Familial, qui regrette cette décision, ce n'est pas (qu')une déception, c'est une régression : ce choix "ne permet pas une progression des droits des femmes en France", déplore le mouvement féministe d'éducation populaire.
La question du délai légal s'est très vite posée à l'heure du confinement. Car qui dit pandémie dit fermeture des frontières, et donc impossibilité pour les principales concernées de se rendre aux Pays-Bas ou en Espagne (par exemple) afin d'avorter. Ce qui a fait craindre à Laurence Rossignol "une hausse des avortements clandestins", comme elle a pu le déclarer du côté de Check News. Une situation critique pour les droits fondamentaux des femmes, malgré les insistances plus rassurantes des professionnels de la santé à ce sujet : oui, l'IVG est et doit rester "un soin d'urgence", même en cas de crise sanitaire.
Cependant, l'ancienne ministre des Droits des femmes tient à nuancer ses propos : elle indique également que ce refus de repousser les délais est "une demande des médecins" et qu'il ne faudrait pas "obliger [ces derniers] à se mettre hors la loi pour défendre la détresse des femmes". Mais cela ne doit pas nous faire oublier que la crise sanitaire "a eu un effet délétère sur l'accès à l'IVG et les grossesses non désirées", ajoute la sénatrice.
Des observations confirmées par Olivier Véran himself. Le ministre a tiré la sonnette d'alarme dès les prémices du mois d'avril : "Des remontées de terrain confirment qu'il y a une réduction inquiétante du recours à l'IVG. Il est hors de question que l'épidémie de Covid-19 restreigne le droit à l'IVG dans notre pays", a-t-il déclaré.
Et pourtant, quatre décennies après l'officialisation de la loi Veil, ce droit est encore (très) loin de susciter l'adhésion. "Le sujet de l'IVG, et du corps des femmes en général, est toujours difficile à aborder dans l'hémicycle", décoche en ce sens la sénatrice communiste Laurence Cohen (Val de Marne).
On ne peut qu'en s'en attrister à l'heure du "monde d'après".