Dans l'imaginaire collectif, la pin-up s'apparente à une femme sensuelle, aux courbes voluptueuses, à la sexualité décomplexée et surtout blanche. On pense alors directement à des personnes comme Marilyn Monroe, Jayne Mansfield ou Bettie Page.
La première pin-up à voir le jour naît sous le crayon de l'illustrateur américain Charles Dana Gibson, en 1897, pour le magazine Life, sous le nom de "Gibson Girl". Caucasienne plutôt fine et pourvue d'atouts généreux, souvent vêtue d'un corset, ce personnage se dresse alors comme la personnification de l'idéal féminin américain.
Mais le phénomène de la pin-up connaît son apogée et prend surtout tout son sens au cours de la Première Guerre mondiale avec le développement des calendriers sulfureux de Brown and Bigelow. Par définition, "pin-up" signifie "épingler au mur". A cette époque, si les pin-ups s'inspirent de femmes réelles, ce ne sont que des peintures que les soldats accrochent au mur de leurs chambres. Des femmes-objets donc, représentant les désirs sexuels de l'homme qui l'affiche. Ce n'est qu'au cours des années 60-70 que ces femmes se montrent en photographie et commencent à se produire sur scène en jouant de leur physique pour divertir. En plus de séduire les hommes, elles s'imposent comme un idéal de beauté à suivre s'affichant en Une de tous les magazines - ce qui explique sûrement que peu (voire pas) de femmes noires y apparaissent. Il faut rappeler que, si l'adoption de la loi sur les droits civiques est signé le 2 juillet 1964 aux Etats-Unis, interdisant ainsi toute forme de ségrégation dans les lieux publics, les mentalités sont plus lentes à évoluer que les lois.
Pourtant depuis le milieu du 19ème siècle, des artistes afro-américaines intègrent les spectacles burlesques, au même titre que les pin-ups et musiciens, pour divertir la haute bourgeoisie et les soldats. Au début du moins, comme simple attraction vedette : les troupes blanches embauchaient des artistes noires - originaires pour la plupart d'Afrique - mais aussi asiatiques ou indiennes pensant amener un brin d'exotisme à leur prestation et jouant sur les stéréotypes racistes avec des thèmes comme la jungle ou le vaudou. Et, peu à peu, certaines femmes noires se démarquent, devenant même de véritables icônes et ne constituant pas seulement l'histoire du burlesque par leur couleur, mais aussi et surtout par leurs actes.
Peu voire pas d'ouvrages mentionnent l'histoire des ces femmes et de leurs luttes dans le monde du spectacle. Ou du moins on pense seulement à Joséphine Baker. Un black-out regrettable pour le Dr Sydney F. Lewis, chercheur sur la sexualité des femmes noires. Dans un billet d'humeur, il explique ainsi que, dans le livre Pictorial History of Burlesque tendant à retracer l'histoire du burlesque et faisant 342 pages, moins d'une dizaine font référence à des artistes noires. Même l'emblématique Joséphine Baker y est simplement référencée aux pages 96 et 268. Les termes "noir", "afro-américain", ou "femmes de couleur" ne sont même pas listés dans l'index. Tandis que l'ouvrage consacre 21 pages à Lili St. Cyr, 27 sur Sally Rand et un dossier de 43 pages sur Gypsy Rose Lee. Les pin-ups noires semblent ne jamais avoir existé.
Heureusement, une source importante - mais une des rares - retrace le parcours de ces femmes : le magazine JET. Hebdomadaire américain fondé en 1951, JET s'adresse avant tout à une population afro-américaine ne se retrouvant dans aucun autre média. Plus qu'un simple périodique, "Le magazine hebdomadaire de news nègres" devient un véritable symbole pour cette communauté.
Dans ces pages, on pouvait y retrouver des visages et des noms aujourd'hui encore inconnus mais qui, à l'époque, faisaient salle comble aux Etats-Unis et même à Paris. Elles étaient chanteuses, actrices pour certaines ou juste danseuses pour d'autres - de véritables figures précurseuses et lanceuses de tendances. Dans une interview diffusée sur l'INA, Joséphine Baker explique même que les pin-ups noires auraient apporté la mode du teint hâlé en France et que les femmes blanches s'imposaient de longues séances de bronzage pour leur ressembler, au péril de leur santé.
Jean Idelle est l'une d'entre elles. Considérée comme la première danseuse burlesque noire, elle est notamment connue pour son costume de plumes d'autruches blanches.
Malgré le racisme ambiant de l'époque, Jean devient, par son talent, une des actrices de son temps les plus en vogue des Etats-Unis et du Canada. Malgré sa popularité, la pin-up n'a cessé de craindre pour sa sécurité. Toujours en vie, elle raconte : "J'étais la seule noire dans un spectacle composé exclusivement de blanc. Ils avaient peur que quelqu'un veuille me tuer."
Lottie "The Body" Graves marqua, elle aussi, la scène du burlesque. Née à New York, elle reçoit dès son plus jeune âge une formation en danse classique et entame sa carrière dès l'âge de 17 ans.
Son surnom, "The Body", elle le doit notamment à ses formes voluptueuses, ses costumes toujours près du corps et scintillants mais aussi à ses pas de danse élaborés. Véritable personnalité, elle se lie même d'amitié avec de grands noms comme Fidel Castro, Louis Armstrong ou encore Aretha Franklin.
Outre leur image de sex-symbol, certaines de ces beautés participaient au monde des arts en tant que chorégraphe. C'est le cas d'Aida Overton Walker.
Née en 1880, elle est la première femme chorégraphe de burlesque noire. Figure de premier plan dans le domaine musical, elle est également danseuse, actrice et chanteuse. Par sa carrière d'artiste et son voeu d'exister malgré sa couleur de peau, Aida a ouvert les portes du show business à d'autres filles noires, notamment Joséphine Baker.
Mais ces noms ne sont que peu d'exemples parmi les plus célèbres pin-ups noires ayant existé, qui avaient un autre rôle que celui de clown. Plus que de simples sex symbol, ces femmes se sont révélés comme de véritables pionnières dans leur genre.