C'est maintenant bien connu : derrière un écran, les langues se délient. Et ce n'est pas toujours pour le mieux. Sur la Toile, les utilisateurs se lâchent ; les insultes et les messages haineux et violents fusent. Et ce sont les femmes qui en prennent le plus pour leur grade. Difficilement modérables, les réseaux sociaux sont submergés sous un flot quotidien d'insultes sexistes, de propos misogynes, de menaces de viol, de body-shaming et autres charmants procédés destinés à rabaisser les femmes. Que les hommes en soient les auteurs ne nous choquent malheureusement plus ; mais on s'attendait moins à ce que les femmes s'adonnent tout autant qu'eux à cette campagne d'humiliation systématique à l'encontre de leur propre sexe.
En effet, les chercheurs du think tank Demos , de l'Université du Sussex se sont intéressés au trolling misogyne que subissent les femmes sur Twitter. Ils ont étudié l'occurrence des menaces de viol ainsi que des mots "pute" et "salope" sur Twitter, considérés comme des marqueurs forts de sexisme. De janvier à février, ils ont pu repérer 10 000 tweets sexistes, dont 12% contiennent des menaces de viol explicites. Et c'est là que le bât blesse : 50 % de ces tweets ont été écrits par des femmes . Les dirigeants de l'étude ont même découvert que 8 des 10 comptes les plus injurieux et abusif à l'égard des femmes étaient tenus... par des femmes. Et comme si cela ne suffisait pas, ils ont également noté un fait très dérangeant : ''Les femmes sont de plus en plus enclines à développer un langage utilisant les mêmes termes qui ont été, et sont toujours, utilisés pour les dénigrer''. Ce qui revient pour elles à se tirer une balle dans le pied.
Ce phénomène est loin d'être nouveau, et toutes les journalistes et femmes politiques pourront en témoigner : ce ne sont pas toujours les hommes les plus virulents. Emma Watson avait été massivement traité de "salope féministe" sur Twitter après son discours à l'ONU; Valérie Boyer a été la cible de harcèlement en ligne sexiste, notamment par des femmes très remontées. Et ce n'est que quelques exemples parmi tant d'autres. Les femmes se jugent avec violence, n'hésitant pas à se dévaloriser les unes les autres après s'être toisé de haut en bas. Et les règles qu'elles demandent aux hommes de respecter, elles les bafouent allègrement dès qu'elles lèvent les yeux au ciel parce que la petite serveuse blonde a un décolleté plongeant. Inlassablement, le serpent se mord la queue. On a beau lutter contre les hommes qui considèrent qu'une tenue vestimentaire provoquante autorise le viol, et que faire claquer l'élastique de culotte d'une journaliste n'est qu'une petite blague potache, cela semble vain si les femmes se répandent en commentaires assassins sur les réseaux sociaux pour descendre en flammes une femme "qui ne se respecte pas" parce qu'elle a mis une mini-jupe ou une "grosse pute" qui pose en bikini. Pourquoi s'attaquer ainsi à son propre sexe ? Ce n'est pas comme si les femmes manquaient de causes à défendre.
Les travaux du psychologue David Buss montrent que le sexisme des femmes entre elles révèle en fait une insécurité par rapport à des potentielles rivales. Lorsqu'elle se sent menacée, la femme, culturellement habituée à ne plus se battre contre un homme, sape le pouvoir de sa rivale en attaquant ses atouts. Elle utilise le slut-shaming pour répondre la rumeur d'une fille facile, qui ne cherche rien de sérieux et a eu beaucoup de partenaires ; elle peut aussi s'attaquer à son apparence physique, ses vêtements, son poids ... Dans son livre Evolution of Desire : Strategies of Mating , Buss expliquent qu'elles interprètent les attributs physiques d'autres femmes comme une invitation aux histoires sans lendemain, et peuvent donc mal réagir face à une femme "sexy". Les hommes font la même chose, mais en ciblant d'autres attributs comme l'argent ou le statut social de l'homme en face d'eux ; "Inconsciemment, on s'en prend aux indices de valeur reconnus par le sexe opposé : ressources financière et protection pour les hommes ("tu es pauvre"), fidélité sexuelle et attractivité physique pour les femmes ("tu es moche")", explique Le Figaro Madame.
Mais ce phénomène de sexisme de femmes envers leurs semblables n'est pas que le résultat d'un embarrassant réflexe de protection : c'est avant tout un symptôme très alarmant. Cela montre un enracinement profond du sexisme et de la culture du viol dans notre société : à force de baigner dans la misogynie, les femmes elles-mêmes adoptent un mode de pensée sexiste qui est devenu la "norme", et sont promptes à traiter une femme de "pute" pour une tenue vestimentaire . C'est une manière de se conformer, tout en se revalorisant, puisque "nous, on ne se comporterait jamais comme ça". Et c'est pour faire face à cet inquiétant mouvement que des parlementaires britanniques ont mis sur pied le projet Reclaim The Internet ("Récupérez Internet"). The Guardian décrit cette initiative comme un véritable "appel aux armes" contre le sexisme sur les réseaux sociaux. Et vu les résultats de l'étude Demos, c'était plus que nécessaire.