Lilian Mathieu : Le mouvement abolitionniste a changé de sens : si aujourd’hui il s’agit de voir disparaître la prostitution, il prônait à l’origine l’abolition de la réglementation qui l’entourait. En France, jusqu’en 1960, les prostitués devaient s’enregistrer auprès de la police et effectuer des contrôles médicaux. Mais avec la signature de la convention abolitionniste de l’ONU, la prostitution est devenue une activité privée qui n’était soumise qu’à deux réserves : le proxénétisme et le trouble à l’ordre public. Aujourd’hui, le mouvement a atteint son but et étend simplement son objectif : pour lui, la prostitution est de toutes façons insupportable, il faut donc l’abolir.
L. M. : Non, elle aura simplement pour effet de la déplacer comme l’a fait le délit de racolage. C’est son double inversé : l’objectif est le même mais au lieu de pénaliser les prostituées, on pénalise le client. Le résultat de cette méthode, c’est que la prostitution a lieu en sous-bois, sur les bordures d’autoroute, elle devient plus clandestine, et il est beaucoup plus difficile pour les travailleurs sociaux de les aider. Enfin, dans le calcul qui nous est présenté, il n’est pas précisé ce que feront les prostitués et étant donné l’état du marché du travail, il est peu probable qu’elles fassent autre chose.
L. M. : Si les abolitionnistes ont gagné au milieu du XXe siècle, c’est justement parce que les maisons closes n’étaient pas non plus une solution : il y avait des problèmes d’hygiène, de sécurité. Ce dont les prostitués ont besoin aujourd’hui, c’est de l’arrêt de la répression du racolage et d’une véritable politique sociale avec un accès aux soins et aux prestations sociales facilités. Quand elles seront moins dans l’urgence de la survie, alors elles pourront prendre de la distance vis-à-vis de la prostitution et décider si elles souhaitent autre chose.
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