Sorti le 11 octobre dernier, Le Consentement, l'adaptation par Vanessa Filho du récit de Vanessa Springora, relate comment l'adolescente Vanessa (Kim Higelin), passionnée de littérature, va se retrouver dévorée par Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve), dans le Paris des années 80. Pour nous, bien plus qu'une simple transposition, c'est un grand film féministe au service d'un discours intelligent sur l'emprise et les violences patriarcales.
Le film fait réagir. Beaucoup réagir.
Certains médias féministes l'encensent (comme nous), d'autres non. Les voix sont parfois très critiques, comme celle de la romancière Christine Angot. Sur Inter, l'autrice interroge frontalement la mise en scène qu'elle dit "David Hamiltonienne" des scènes de sexe : "Comme il fallait que l'actrice soit majeure pour qu'on puisse la dénuder, l'image devient l'alliée objectif de Matzneff, qui n'en demandait pas tant, et qui doit bien se frotter les mains".
Oui, c'est dur. Mais fruit de ces réactions exacerbées : le film suscite la curiosité. Beaucoup, là encore. La preuve ? Le consentement a connu un grand boom de ses chiffres en salles lors de sa deuxième semaine : une augmentation de 40% d'entrées notifiées en France. Et ce avant même... De tripler son score en troisième semaine. Oui oui, une surprise totale en terme d'évolution.
Mais comment l'expliquer au juste ?
"C'est une courbe de chiffres à méditer, vu le profil pas strictement 'cinéma d'auteur", la presse qui est divisée à propos du film, la programmation circuits de l'oeuvre", observe-t-on volontiers sur Twitter.
Jusqu'à se demander : faut-voir l'effet d'une promo discrète mais efficace ?
D'un bouche à oreille public propice à contrer les réticences - légitimes au vu du sujet et des séquences particulièrement crues du film de Vanessa Filho ? Les effets du retentissement populaire encore palpitant trois années après du livre de Vanessa Springora, lecture féministe indispensable ?
Tout cela à la fois peut être.
Mais pas que. En fait, Le consentement depuis plusieurs semaines fait l'objet de reviews et de vidéos sur TikTok. Courtes, comme le format typique propre au réseau social favori des jeunes générations l'exige. Le film, qui révèle la jeune comédienne Kim Higelin dans le rôle de Vanessa Springora, protagoniste de ce récit, semble fasciner les utilisatrices et utilisateurs de TikTok ou en tout cas beaucoup les faire réagir. Il devient carrément phénoménal...
C'est ce qu'explique d'ailleurs la vidéaste cinéphile Mélanie Toubeau de l'excellente chaîne La manie du cinéma sur YouTube : "Pourquoi le film Le Consentement a vu une envolée de ses entrées en salles de +40% ?"
"Entre autres grâce à une trend TikTok où des jeunes se filment avant et après avoir vu le film. Les gens se filment avant et après avoir vu le film, avec le son de la bande-annonce... Et ça fonctionne DE FOU.".
"Je trouve ça DINGUE si c'est en effet une communication aussi 'simple' qui permet ce décollage", poursuit la vidéaste. "Je serais très curieuse de savoir justement quelle est la moyenne d'âge de ces +40%. Et est-ce que ce trend s'est développé tout seul ou les distrib/agence y sont pour quelque chose ? Beaucoup de commentaires reviennent type : 'J'ai envie de le voir'...".
Un film choc... Qui devient une trend TikTok. Fou ?
Il est vrai que le phénomène, en France tout du moins, et à proprement parler pour un film français, détonne. En vérité, les trend TikTok analogues ont bien davantage trait au cinéma d'horreur d'ordinaire. La moindre sortie un brin "buzzesque" s'érige en "tendance" à grands coups de "choc", "traumatisant", "le plus terrifiant"... Ici, le "buzz" concerne une oeuvre coup de poing, aux séquences certes insoutenables mais terriblement crues, réelles.
Il faut outrepasser le simple cadre du "film glauque", justement.
Se dire que ce n'est pas seulement ce postulat de séance "insoutenable", quand bien même le qualificatif suscite une "curiosité morbide" comme le dit l'adage, qui joue. Non : Le consentement aborde des enjeux puissamment d'actualité. A travers le cas de "l'affaire Matzneff", Vanessa Filho embrasse quantité de thématiques : les violences sexuelles, la culture du viol, la prédation, le phénomène d'emprise, la représentation de la sexualité à l'écran...
Et bien évidemment, la notion de consentement.
Autant de thémas qui se retrouveront dans quantité de séries à succès, sur Netflix et ailleurs, de podcasts tout aussi fédérateurs, de fictions qui s'érigent en marqueurs - on pense à Promising Young Woman, à rattraper sur la plateforme de France TV. Mais tout ce qu'aborde Vanessa Filho dans son film, et la manière complexe dont elle le met en images, rejoint également l'état d'esprit des threads les plus réflexifs et féministes de Twitter.
A l'aspect frontal de ces threads fait d'ailleurs écho celle des séquences, très dures, que réalise la cinéaste. Vanessa Filho ne prend pas de gants. Ces scènes exigeant de très gros "trigger warning" sont comme des gifles.
En abordant une époque passée, Le consentement aborde la nôtre.
Et en mettant en scène une génération "d'avant", celle des années 80, Vanessa Filho met en scène celle de maintenant : explicitement avec Kim Higelin, 22 ans, symboliquement avec la richesse de son discours, et sa mise en scène, qui vient bousculer le public de la manière la plus inconfortable, tout en épinglant des sujets qui, régulièrement, surgissent et re-surgissent dans l'actualité.
"Avec une simple recherche TikTok, on trouve des vidéos à 2 millions de vues qui parlent du film... La presse ciné, Youtube, tout ça est en train de se faire dépasser !", observe sur Twitter la co-animatrice du podcast Arrêt Caméra. Ou quand des enjeux profondément générationnels rejoignent un changement de paradigme médiatique. Un succès mérité ? La jeune audience semble le penser.