Joëlle Desjardins-Simon : La contraception a donné une sorte d’illusion de la fécondité. A partir du moment où on pouvait ne pas avoir d’enfant quand on n’en voulait pas, il apparaissait logique qu’on puisse choisir quand on en souhaitait. On se trouve aujourd’hui dans une programmation, qui fait que le couple supporte de moins en moins l’attente et s’adresse de plus en plus vite à des centres de procréation médicalement assistée. Quand les femmes sont jeunes et qu’il n’y a pas une urgence absolue, je pense qu’il est fondamental de se donner du temps, de s’autoriser à parler, à réélaborer avec des mots ce qui a pu s’embrouiller dans notre histoire d’enfant pour nous empêcher de devenir père ou mère. Cela permet quand on le peut, de différer un certain nombre de protocoles médicaux, qui restent intrusifs et douloureux pour le couple et particulièrement pour la femme.
J.D.S : L’hypothèse que je fais dans mon livre est que l’inconscient est capable de bloquer dans le corps un certain nombre de processus qui devraient se dérouler de façon naturelle. L’infécondité, très douloureusement vécue, surgit en fait comme le symptôme de ce qui s’est verrouillé à l’insu de chacun dans son désir de devenir père ou mère, de donner la vie, de transmettre une histoire. Si les blocages viennent du côté de l’inconscient, la médecine parfois ne peut pas aider. Au lieu de les dénouer en apportant une réponse médicale à la demande d’enfant, elle peut renforcer dans le corps les résistances à la procréation.
J.D.S : C’est une des grandes découvertes que j’ai fait dans mon travail : le fait que l’infécondité doit être toujours prise dans la dynamique d’un couple. Je raconte souvent l’histoire de ce couple qui a fait dix ans de démarches et de PMA pour avoir un enfant sans aboutir à une grossesse. Et puis un jour la femme s’est retrouvée enceinte après une nuit avec un autre homme. Un rapport avec un amant de passage qui a donné suite à un avortement parce qu’elle voulait maintenir son couple. C’est à partir de là que je me suis mise à explorer systématiquement la question des couples. Et je me suis rendue compte qu’un certain nombre de raisons inconscientes font qu’une femme peut avoir des difficultés à devenir mère. Comme par hasard, elle rencontre un homme pour qui l’accès à la paternité se trouve aussi entravé par des obstacles. C’est l’histoire de l’homme et de la femme ensemble, qui produit l’infécondité.
J.D.S : Ce sont des entretiens qui sont longs, très denses et qui essaient de balayer d’une façon la plus large possible tout ce qui peut venir constituer une entrave au projet de devenir père ou de devenir mère. Il est souvent très précieux de pouvoir mener après les entretiens de couple, des entretiens individuels parce qu’on peut avancer de façon différente dans l’histoire de chaque sujet. Et il y a des choses enfouies dans l’inconscient qui ne doivent pas être exposées dans la dynamique du couple. Ce travail de parole est essentiel, il ne s’agit pas d’une démarche psychologique mais vraiment d’une exploration à partir des outils de la psychanalyse.
J.D.S. : Il n’y a pas de causalité psychique. On ne peut pas dire que l’infécondité vient de telle ou telle chose précise, mais on trouve toujours un tressage complexe. Pour les femmes, la question du lien à la mère et des carences du lien maternel est centrale. Il y a aussi une configuration très fréquente chez les femmes : elles ont été désignées vers 7,8 ans comme des substituts maternels pour un petit frère ou une petite sœur et elles n’ont jamais pu dire l’ambivalence qu’elles éprouvaient par rapport à cette situation. Elles se sont pliées au rôle de seconde maman, sans pouvoir exprimer la jalousie indicible qu’elles éprouvaient à l’égard de ce petit frère ou cette petite sœur. Et elles craignent inconsciemment en devenant mère, de retrouver ce mélange terrible de sentiments qui n’a pas été démêlé. La question des liens fraternels a également un impact considérable : les rivalités, les places de chacun peuvent jouer fortement sur la question de devenir parents.
L’autre axe de mon travail sur la fécondité est relatif à la transmission. L’infécondité survient aussi parfois comme l’effet de ce qui n’a pas été dit en parole, des traumatismes des générations précédentes. Tous ces événements qui paraissent ne pas avoir la même portée qu’autrefois, mais dont les parents et les grands parents ont transmis la charge de honte et de souffrance. Cette charge de honte récupérée deux générations après, peut mener à l’infécondité. Car donner la vie c’est transmettre une histoire et quand l’histoire est criblée de blancs, de trous dans la filiation, c’est plus compliqué.
J.D.S. : Les couples ont beaucoup de résistance à venir consulter une psychanalyste. Autant les femmes sont prêtes à livrer leur corps à la médecine, autant le psychique et l’inconscient représentent encore quelque chose qui suscite craintes et résistances. Il n’est pas question dans cette exploration de l’infécondité d’entreprendre une psychanalyse pour dix ans. Il s’agit de se remettre en position de sujet et de s’interroger sur sa propre histoire, et sur les traumatismes qu’on a cru dépasser avec courage mais qui redeviennent un obstacle au moment de donner la vie. La parole est un outil extraordinaire qui permet de dépasser les impasses et les butées de notre enfance.
Joëlle Desjardins-Simon a publié « Les verrous inconscient de la fécondité » chez Albin-Michel
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