Il faut visualiser la scène. Vous avez commandé un VTC (Voiture de Tourisme avec Chauffeur) avec une application smartphone, SnapCar par exemple. Vous savez, l’une de ces applications qui permettent de commander une voiture, d’être géo-localisé(e) et de monter un moment plus tard dans une berline haut-de-gamme pour un prix proche de celui d’un taxi. Les Parisien(ne)s en raffolent. Voici que votre voiture arrive en 8 minutes. Rien d’extraordinaire, c’est une performance courante qui repose sur une répartition astucieuse de la flotte sur les points chauds de la capitale. Et il va se passer un truc incroyable. Votre chauffeur vous demande d’attendre 7 minutes avant de monter !
Science fiction? Le Gouvernement prépare un arrêté ministériel imposant un délai supérieur à 15 minutes entre commande d’un VTC et obtention du service. Une disposition réglementaire obligeant à être lent ! Une injonction à la non-performance !
On essaie de se mettre dans la peau du Conseiller qui, rentrant à son domicile après sa décision, raconte sa journée. On voudrait être une petite souris et visualiser la réaction de son épouse. Et ta prochaine décision chéri : ralentir le TGV, un temps minimum pour courir le marathon ?
2007, rapport Attali qui préconise la libération des taxis. Grève. Rétro-pédalage. Pourtant le numérus clausus, cette disposition qui limite artificiellement leur nombre n’a plus beaucoup de sens dans un contexte de pénurie. Mais les taxis défendent le prix de leur plaque sur le marché secondaire, celui de la cession entre chauffeurs (le prix de la plaque a gagné depuis 30% et atteint actuellement 230 000 Euros).
2009, la loi transforme la Grande Remise en VTC, en simplifiant l’accès à la profession mais sans changer la règle fondamentale qui les distingue des taxis. Les VTCs doivent travailler sur réservation. Interdiction de la maraude. C’est-à-dire : interdiction du racolage dans les rues.
On en restera là. Jusqu’en 2011/2012, les VTCs continuent de faire ce qu’elles ont toujours fait : transporter les cadres dirigeants, les people et plus généralement les personnes fortunées. Leur prix est dissuasif et elles sont peu réactives. Il faut les commander longtemps à l’avance. Un transfert vers l’aéroport coûte 150 à 200 Euros et elles sont couramment louées à la journée pour un prix avoisinant les 1000 Euros.
C’était compter sans les startups. Ce marché, comme beaucoup d’autres, est dynamité par l’arrivée de nouveaux acteurs qui exploitent services mobiles, géolocalisation et paiement électronique. La vitesse de mise à disposition devient presque instantanée mais surtout leur prix baisse drastiquement. On peut faire une course dans Paris pour 15 Euros ou se rendre à Charles de Gaulle pour 70. L’expérience utilisateurs est extraordinaire : chauffeur professionnel, magazines, bouteilles d’eau et chargeurs iPhone, facture reçue dans sa messagerie en temps réel.
Janvier 2013, Juin 2013, les syndicats de taxi menacent d’une nouvelle grève si on ne fait rien pour arrêter ces start-ups. Ils réclament un délai minimal de mise à disposition. Le Gouvernement leur accorde 15 Minutes (ils obtiendront également le blocage de la mise en concurrence du transport de malade conventionné, qui coûte 1 Milliard d’Euros à la Sécurité Sociale). Comme rien n’est trop beau pour satisfaire un lobby dont on connaît la puissance, cette disposition ne passera même pas par le parlement, trop long, trop visible. Nous sommes sous la menace d’un Arrêté Ministériel simple.
Bien entendu c’est absurde. Bien entendu on a du mal à imaginer la police dressant un Procès-Verbal pour cause de « trop bon service client ». Mais au-delà du caractère ubuesque, les enjeux sont importants. *
Les start-ups de réservation de VTCs sur mobile, SnapCar et les autres, ont créé de l’emploi et de la croissance en un an d’existence. La demande est telle que le potentiel est de 20 à 30 000 nouveaux emplois sur les 8 prochaines années. 1% du nombre total de chômeurs !
L’offre de transport de type taxi règlementé ou privé à Paris est 4 fois inférieure à ce qu’elle est dans les autres grandes capitales. Les centrales de radio-taxi telles que la G7 en mobilisent la plus grande partie en donnant la priorité aux abonnés, notamment entreprises. Résultat, vous ne voyez aucun taxi dans les rues et vous ne pouvez même pas en réserver aux heures de pointe si vous n’êtes pas abonné(e) : prix d’un abonnement, 2000 Euros par an. Pour réserver, il vous en coûtera 5 Euros.
Au-delà de 15 minutes d’attente, 75% des clients renoncent à réserver. En privant les start-ups de réservation sur mobile de VTCs de 75% de leur Chiffre d’Affaires, on les tue net. Ce qu’on tue, c’est l’innovation, la création d’emplois, le transport partagé dans les grandes agglomérations et à l’arrivée, le progrès.
La France serait ainsi le seul pays développé où ce service n’aurait pas le droit de cité. Cela n’arrivera pas car la défense d’intérêts corporatistes n’a jamais arrêté le progrès technologique, nulle part. La bataille des syndicats de taxis est vaine mais en attendant, un tel arrêté ministériel serait incroyablement nocif pour l’Economie Française et la mobilité en région parisienne.
Espérons que raison reviendra.