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Femmes fortes, Botox, combats féministes... Marine Delterme se confie
Publié le 9 février 2022 à 15:16
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Alors qu'elle laisse derrière elle le personnage emblématique de la procureure Alice Nevers au terme de 18 saisons, Marine Delterme se confie sur ces 20 ans de télé, ses combats et son appétence pour les personnages féminins inspirants.
Bande-annonce du final d'Alice Nevers © TF1
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Voilà maintenant 20 ans que la procureure Alice Nevers interroge, sonde et résout des affaires. Un personnage télévisuel populaire qui laissera son empreinte dans le paysage télévisuel français.

A l'heure où la juge tire sa révérence après 18 saisons d'enquêtes, son interprète, Marine Delterme, fait le bilan. Sereine, sans nostalgie et avec la fierté d'avoir pu inspirer les téléspectatrices. A l'occasion de la diffusion de l'épisode final de la série diffusé ce jeudi 10 février sur TF1, la comédienne nous confie son amour pour les personnages de femme forte, ses engagements et son envie d'authenticité.

Terrafemina : Vous avez porté Alice Nevers durant 18 saisons. Avez-vous l'impression d'avoir ouvert la voie à des fictions dont le personnage principal est une femme ?

Marine Delterme : Il y a déjà eu deux séries emblématiques, Julie Lescaut et Joséphine ange gardien. Ce que je sais, c'est que la télé est un terrain de jeu exceptionnel pour les femmes. J'avais fait 10 ans de cinéma où je jouais un peu trop souvent des femmes-objets. Et je n'avais plus envie de ça.

Lorsqu'on m'a proposé de jouer une juge d'instruction, sachant que j'avais fait 6 mois d'études à Assas en projetant de devenir avocate, cela m'a tout de suite intéressée. A la télévision, et encore plus aujourd'hui d'ailleurs, il y a des rôles forts pour les femmes. Et puis tellement de sujets à traiter, surtout avec la rapidité de la production qui permet de coller aux faits sociétaux et à l'actualité.

Le sous-titre "Le juge est une femme" marquait cette "exception" à l'époque.

M.D. : Oui, et je me suis battue pour qu'on l'enlève. Ca ne voulait plus rien dire avec l'évolution du statut des femmes. D'ailleurs, mon personnage a lui aussi évolué : au début, Alice Nevers était une héroïne parfaite et lisse, qui n'avait pas de vie privée, qui passait sa vie à faire des enquêtes. On me demandait tellement d'être crédible comme juge que je n'avais plus d'espace pour être une femme. Avec les années, avec le rallongement de la série à 52 minutes, le fait que l'on intègre ma grossesse dans la fiction, j'ai gagné en vie privée et en complexité.

Qu'aimez-vous chez ce personnage ?

M.D. : C'est une femme forte, autonome et courageuse, mais qui peut dépasser la ligne rouge et c'est ça qui la rend intéressante. Elle est devenue un modèle pour certaines téléspectatrices et c'est un beau cadeau. J'ai été élevée par ma grand-mère, enfant ouvrière à 12 ans dans les usines textile à Reims, qui a connu deux guerres et qui était très forte. Avoir des modèles de femmes comme ça, c'est important.

Marine Delterme dans l'épisode final d'Alice Nevers © TF1
20 ans dans la peau d'Alice Nevers, c'est aussi prendre de l'âge à l'écran. Quel rapport entretenez-vous avec cela ?

M.D. : J'aime l'idée de vieillir avec les gens. Je fais partie de leur histoire, on fait un bout de route ensemble. Et ça me plaît, j'ai du plaisir à voir l'évolution. C'est un grand cadeau de pouvoir être là avec un personnage au long cours. J'ai été élevée avec des séries, j'ai grandi avec elles et ce sont des actrices et des acteurs que j'aimerais toujours car ils font partie de mon histoire.

20 ans de tournage, c'est aussi 20 ans de vie, avec des hauts et des bas. Et je peux le lire sur mon visage : il est davantage le reflet de mon âme qu'un objet de séduction total. Bien sûr, on a envie de rester le plus possible désirable. Mais chaque personne a un noyau dur incompressible, qui reste en dépit du temps qui passe. Je ne vous dirais pas que ça ne me fait pas peur de vieillir, mais sur ce rôle-là, cela ne m'a pas du tout fragilisée.

De plus en plus d'actrices dénoncent l'âgisme de l'industrie et cette pression faite aux femmes de plus de 40 ans. L'avez-vous ressentie ?

M.D. : Aux Etats-Unis, on dit qu'on est "bankable" tant qu'on est encore désirable. Mais je préfère une Kate Winslet qui a un vrai visage à certaines actrices complètement botoxées. Etre trop retouchée vieillit de toute façon. Pour l'instant, je n'ai pas ressenti cette pression et je n'ai jamais eu de réflexions déplacées, même lorsque j'ai pu avoir des écarts de poids, comme cela peut arriver à tout le monde.

Marine Delterme
Vous avez joué dans Manipulations qui aborde le sujet des relations toxiques. Est-ce important de vous impliquer dans ce genre de projet ?

M.D. : Oui, même si je n'ai pas été victime moi-même, c'est un terme que je réserverais aux vraies victimes. Je pense que les gens toxiques ou la perversité, on les rencontre dès la cour d'école. La preuve avec les réseaux sociaux : un enfant peut mettre au ban un autre enfant en se moquant de lui, en l'isolant et en lui faisant du mal.

J'ai rencontré des personnes bien moins bienveillantes qu'elles ne le laissaient croire, en amour, dans les relations de travail... Certaines ont tendance à vouloir vous diriger. Mais je ne me laisse pas "diriger", c'est quelque chose que j'ai appris de ma grand-mère justement. Je ne plie pas, c'est moi qui mène ma barque.

L'industrie du spectacle est reconnue comme étant particulièrement sexiste. Y avez-vous été confrontée ?

M.D. : Le cinéma dévore les jeunes actrices, veut leur prendre leur beauté. On me proposait des rôles de jolies filles sans réelle ambivalence ni complexité. Et ça ne m'intéressait pas. C'est pour ça aussi que je me suis dirigée vers un rôle comme Alice Nevers. C'est heureusement en train d'évoluer, même si je trouve que la télé offre les plus beaux rôles.

Dans un autre genre, j'ai trouvé que le milieu du mannequinat était très difficile. On essayait de nous faire rentrer dans un moule. Cette exigence de la jeunesse, de la maigreur... C'est une vision qui ne me convenait pas et qui ne respecte pas la beauté des femmes qui est multiple. D'ailleurs, aujourd'hui tout a changé : les différences s'affichent et c'est important pour une femme de s'accepter et d'être acceptée par les autres comme elle est, et pas comme elle devrait être- au nom de quels critères d'ailleurs ?

Pour moi qui étais différente, un peu ronde, j'ai eu du mal à me plier à ce métier. J'ai d'ailleurs arrêté assez vite. J'ai retrouvé cela dans l'épisode final d'Alice Nevers d'ailleurs avec les jockeys. Le corps doit être soumis à des lois non-naturelles imposées par certains.

Vous considérez-vous féministe ?

M.D. : Bien sûr ! C'est une évidence. Je suis fière et très respectueuse de la nouvelle génération, de ces jeunes filles qui se lèvent et s'opposent très fermement à ce qui ne leur convient plus. C'est étonnant et admirable. Il faudrait que les hommes trouvent leur place là-dedans, il y a un rééquilibrage qui est primordial.

Quel sera votre prochain combat ?

M.D. : C'est un combat qui me tient beaucoup à coeur depuis toujours : la pédophilie et l'inceste. J'ai été la marraine d'un documentaire, Enfance volée de la réalisatrice Sylvie Meyer, sur ces sujets. Nous avions été à l'Assemblée nationale pour présenter ce film avec des victimes qui avaient eu le courage de venir parler devant les députés. C'est un combat primordial, l'affaire Duhamel en 2021 a beaucoup aidé, mais il reste encore du chemin à faire pour écouter la parole des enfants.

Alice Nevers

Episode final diffusé le jeudi 10 février 2022 sur TF1 à 21h10

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