"Nous n'avons pas encore brisé le plus haut plafond de verre et j'espère que cela arrivera plus tôt que nous le pensons. À toutes les petites filles qui m'écoutent : ne doutez jamais de votre importance, vous méritez toutes les chances du monde d'accomplir vos rêves", a déclaré Hillary Clinton dans son discours de défaite après l'élection de Donald Trump, le 8 novembre dernier.
Il faut dire que le symbole n'est pas des moindres : à la femme d'expérience modérée et compétente, les électeurs ont préféré un prédateur sexuel dépourvu de tout savoir-faire politique et qui a fait de son étendard sa tendance à la misogynie et au racisme. Le rêve américain s'est brisé sur l'écueil de la colère populaire. L'ère Obama, pleine d'élégance, d'incitation au progrès et à l'égalité touche à sa fin et laisse place à un monde incertain, au bord du "vertige" comme l'a clamé l'ambassadeur français sur Twitter à l'annonce des résultats. Face au traumatisme de la victoire de Trump, certains cherchent à tout prix à s'exiler au Canada, au point de surcharger le site d'immigration du pays voisin dans la nuit du 8 novembre, tandis que d'autres grappillent des miettes d'espoir où ils le peuvent. Et l'un de ces espoirs perdus au coeur de la nuit américaine porte un nom et un sourire que l'on connaît bien : Michelle Obama. Se pourrait-il qu'elle devienne la prochaine présidente des Etats-Unis ?
Entre deux railleries sur les cheveux de Trump ou les plaisanteries sur le G8 à venir avec "Donald Trump, Marine Le Pen, Kim Jong-un, Poutine, Daesh, Sauron et Palpatine", la Toile a été saturée d'appels au secours... destinés à Michelle Obama.
A grands coups de hashtags #MichelleObama2020 ou #Michelle2020, les campagnes sur les réseaux sociaux se sont multipliées pour appeler à la candidature de la Première dame préférée des Américains aux présidentielles de 2020. "Les internautes réclament Michelle Obama à corps et à grands cris pour 2020", a commenté la chaîne CBS jeudi 10 novembre. Pour illustrer ce surprenant mouvement de masse, le dessinateur new-yorkais Ben Schwartz a publié un dessin dans lequel il représente un thérapeute prescrivant à son jeune patient de s'épargner "le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation pour aller directement à Michelle Obama en 2020"! Pour beaucoup, compter sur la présidence de Mme Obama en 2020 pour passer l'éponge derrière Trump est devenu le seul moyen de tolérer la laideur de la réalité.
Et cet engouement autour de la figure de Michelle Obama n'est guère surprenant, au final. La First Lady jouit en effet d'une popularité sans pareille : en 2016, Michelle Obama était au 13e rang du classement Forbes des femmes les plus puissantes au monde, devant des personnalités-phares telles qu'Oprah Winfrey, Aung San Suu Kyi, la reine Elizabeth ou Anna Wintour. Sa côte de popularité est également bien plus élevée que celle de Laura Bush, mais aussi que celle de son mari... ou d'Hillary Clinton.
Elle est la candidate rêvée de l'Amérique, la femme qui évinçait la candidate démocrate par sa chaleur, sa sincérité et son authenticité, mais aussi par ses talents d'oratrice. Son discours du 13 octobre, suite à la déclaration de Trump se vantant "d'attraper les femmes par la chatte", elle se lance, les larmes aux yeux, dans un discours de quinze minutes pour "défendre sa dignité en tant que femme, la dignité de toutes les femmes". Son discours restera dans les mémoires comme le plus beau de toute la campagne et est unanimement salué par les médias et les partis politiques. Son éloquence fait vibrer les foules, qu'elle séduit aussi par sa simplicité et la manière dont elle jongle entre son statut de First Lady et celui d'icône de la culture pop : quand elle ne se tient pas aux côtés de son mari en Première dame dynamique et engagée, elle chante "Single Ladies" de Beyoncé dans un karaoké carpool avec James Corden, fait ses courses avec Ellen DeGeneres ou part en vacances avec Ophrah Winfrey.
Trump s'est élevé en empruntant 14 millions de dollars à son père en 1985 et en enchaînant quatre faillites ? Elle vient d'un milieu modeste et s'est hissée sur le dessus du panier grâce à son travail acharné en tant qu'avocate. Il refuse aux Noirs le droit d'habiter dans ses immeubles, tandis qu'elle vient d'une famille noire qui travaillait à la Maison Blanche. Aux vociférations du magnat qui crache des salves d'épithètes vulgaires et enrage, elle oppose son calme, son empathie et son don pour toucher son auditoire sans élever la voix. Lorsqu'il dégrade les femmes, elle les défend ; lorsqu'il joue sur les divisions, elle plaide pour l'unité. En un mot, Michelle Obama est l'anti-Trump, mais l'anti-Hillary aussi, puisqu'elle jouit d'un capital sympathie énorme et apparaît comme bien plus "proche" du peuple américain que l'avocate Rodham, qu'on dit froide et élitiste. Entre deux options bancales, elle est pour beaucoup la troisième voie, le choix alternatif sur lequel il faut compter pour réussir à briser "le plus haut des plafond de verre".
Michelle Obama est la candidate idéale pour les Américains, à un petit détail près : elle n'est pas candidate à la Maison Blanche. Et il est peu probable qu'elle le soit. En effet, Michelle Obama n'a jamais caché son aversion pour l'exercice de la politique. "Elle a clairement fait savoir que sa liberté lui manquait à la Maison blanche", explique Peter Slevin, ancien correspondant à Chicago pour le Wahsington Post et auteur de Michelle Obama: A life, au Huffington Post. "C'est l'une des choses qui l'ont le plus affectée selon ses proches : elle a travaillé toute sa vie et a dû tout abandonner du jour au lendemain". Et un retour à la normale est loin de déplaire à celle qui qualifie la Maison Blanche de "très jolie prison".
Interrogée de nombreuses fois sur une possible carrière en politique, Michelle Obama n'a jamais laissé place au doute. Valerie Jarrett, l'une de ses plus proches conseillères a confié à NBC son absolue certitude à ce sujet : "Je suis sûre à 100% que ça n'arrivera jamais". Le président lui-même a coupé court aux espérances, en déclarant en janvier 2016 qu' "Il y a trois choses dont je suis certain dans la vie. Que la mort viendra, qu'il faut payer des taxes, et que Michelle ne se présentera pas à la présidentielle". Qu'on se le tienne pour dit.
De plus, il serait peut-être bon aussi de voir une femme rentrer dans la course pour la Maison Blanche sans forcément être passée par la case First Lady : la porte d'entrée pour une femme en politique ne devrait pas être de systématiquement marcher dans les traces de son mari. On peut également noter, comme le souligne le Slate , qu'on connaît peu au fond la pensée politique de Michelle Obama. Durant huit ans, elle a été une Première dame très engagée, mais seulement sur des sujets "sécurisés", suffisamment consensuels pour lui apporter une approbation générale : les familles des vétérans, la lutte contre la malbouffe, l'égalité des sexes, l'éducation des petites filles...
Ce qui bénéficie à Mme Obama, pour l'instant, c'est sa neutralité : elle n'est jamais descendue dans l'arène pour prendre position sur des sujets sensibles ou plus clivants. Et au vu de la campagne électorale qui vient de s'achever, on peut légitimement se demander si elle conserverait son aura immaculée en briguant le plus haut poste de la nation et en s'engageant sur un programme déterminé. Difficile de dire si elle échapperait à la vague de haine et de sexisme qui a déferlé sur Clinton cette année. Auquel cas, c'est peut-être hors de la Maison Blanche, loin des sentiers de guerre mais toujours proche du coeur des Américains, que Michelle Obama pourrait être la plus utile aux Etats-Unis. En attendant, sa potentielle candidature, même si elle a tout d'une utopie, reste un confortable fantasme qui nous aide à regarder le monde de demain avec un peu plus d'optimisme. Après tout, l'espoir fait vivre, et même parfois gagner : les Obama nous l'ont déjà démontré à plusieurs reprises.