"Vulgos", démodé, criard, le string n'a jamais vraiment eu bonne presse. Tout du moins fut-il érigé en grande tendance mode par les jeunes générations du début des années 2000, alors que stars de télé-réalité, vedettes pop sulfureuses et autres bimbos des écrans l'arboraient fièrement. C'était l'époque (pas tant regrettée) des shows MTV, de l'ascension de Paris Hilton et Nicole Ritchie, des magazines comme Maxim, des clips R&B.
De fait, ce léger bout de ficelle tant décrié - pour son inconfort notamment - semblait pour de bon enterré. Mais non. Aujourd'hui, le string fait son grand retour. Reines de l'industrie musicale, mannequins et actrices iconiques le remettent au goût du jour sur leurs réseaux sociaux et au fil des tapis rouges. Et plus qu'un come-back fleurant bon la nostalgie, c'est paré de valeurs féministes que l'oripeau revient en force. Oui oui.
Décryptage.
Impossible de passer à côté ces trois dernières années. Photos de défilés, publications Instagram et autres shooting de stars : le string semble être partout depuis 2019. Dua Lipa, Kim Kardashian, Megan Fox, Cardi B., Bella Hadid, Hailey Bieber, Rihanna.. Nombreuses sont les superstars à l'avoir affiché.
Nouvelles icônes générationnelles comme vedettes revenues sur le devant de la scène partagent cette curieuse passion pour ce vêtement très léger et pas forcément confortable qui, pour plusieurs raisons, ne jouit pas de la meilleure des réputations. Et n'est pas forcément synonyme de flash-back bienheureux.
Comme le rappelle le site Hypebae, le string faisait fureur au sein des années 2000. A l'époque, il plaît autant qu'il scandalise. On le juge vulgaire, déshonorant, trash, il exaspère les regards des prêchi-prêcha. Rapidement, il deviendra le symbole d'une décennie profondément misogyne dans son traitement des femmes et notamment, des célébrités, fustige le site. Une époque où les corps des stars sont sexualisés par les médias et condamnés pour les mêmes raisons - on parle tout de même de la décennie du "NippleGate" de Janet Jackson.
Dans ce cadre, le string engendre un très virulent slut-shaming. Un simple bout de ficelle semble donner le droit à bien trop de voix de juger l'attitude, la vie et les moeurs présumés des femmes qui l'arborent. Car pour Franceinfo, le string est avant tout le vêtement de "l'ultra-sexy". Critère qui a malheureusement conforté le regard masculin, ou "male gaze", et engendré son lot de remarques sexistes.
Dès lors, comment expliquer ce retour en grâce actuel ? Premièrement, par le décalage. Depuis quelques années déjà, tendances vestimentaires et produits culturels des années 2000 sont réappropriés par les nouvelles générations.
Il n'y a qu'à voir comment les utilisatrices de TikTok ont redonné à la figure de la bimbo ses lettres de noblesse, érigeant cet archétype (symbolisé par Paris Hilton ou Pamela Anderson) comme un emblème féministe et fashion pas si craignos (et sujet à sexisme depuis la nuit des temps). La revanche du string nous apparaît donc comme un come-back empreint de kitsch et d'un amour certain pour le rétro pas si lointain.
Mais ce n'est pas tout. L'autre raison se voit synthétisée avec clarté par Benjamin Simmenauer, philosophe et professeur à l'Institut Français de la Mode : "On assiste au retour de la sexualité débraillée des années 2000, des codes qui renvoient à l'archétype de la femme-objet mais qui n'ont plus le même sens : il ne s'agit plus d'une injonction à la séduction mais d'une réappropriation féministe du vêtement sexualisé".
Féministe. Le mot est lâché. Et pourquoi pas ? Celles qui affichent ce vêtement "ultra-sexy" sont aussi celles qui, d'interviews en publications, revendiquent l'indépendance, l'affirmation de soi, le pouvoir (d'artiste, de femme d'affaires), et incitent leur jeune audience à faire de même.
Cardi B, Dua Lipa, Rihanna, correspondent précisément à ce profil. Autre détail : les années passant, le traitement médiatique sexiste qu'ont pu subir popstars et célébrités de télé-réalité n'a jamais été autant pris en considération, objet de nombreuses rétrospectives critiques. Pas de surprise alors à voir Kim Kardashian "oser" le string : elle aussi sait ce que l'hypersexualisation et l'archétype de la bimbo peuvent engendrer comme remarque. Son look est une manière de renverser les critiques, de s'assumer sans complexe.
De fait pour le site féministe Jezebel, rien de contradictoire à associer string et valeurs féministes. Cela revient encore à interroger le regard masculin et l'émancipation des femmes dudit regard. Le string désignerait alors la réappropriation de son propre corps dans un système patriarcal qui juge ce qui est vulgaire et ce qui ne l'est pas.
"Des années de problèmes d'image corporelle m'ont empêché de porter un string parce que j'avais l'impression que mon corps n'était pas 'un corps à string'. Cette réflexion est le fruit-même du patriarcat, qui appuie son pouce oppressant sur ma volonté de vivre : au fond tout corps est un "corps à string" pour la bonne raison que c'est un corps", observe le site.
Il y aurait donc une forme de militantisme dans ce come-back fashion, libéré des diktats, pressions et complexes divers. C'est aussi là la conclusion du magazine Marie Claire, qui perçoit le retour sous les flashes du string apparent, "traumatisme stylistique des années 2000", comme l'affirmation "d'un outil de conquête de pouvoir transgressif et assumé, une forme de retournement de stigmate en somme".
Pour Hypebae toujours, le port de ce vêtement si décrié serait à ce titre carrément politique. L'hypothèse est audacieuse mais pas moins pertinente : puisqu'il symbolise une affirmation de soi et de son corps, un corps visible, exposé aux yeux de tous, le string en devient presque subversif à une époque où les libertés des femmes sont menacées. En revendiquer le port, c'est rétorquer avec fracas aux regards réactionnaires et répressifs.
"La récente révocation du droit à l'avortement aux Etats-Unis montre jusqu'où nous devons aller en termes de respect de l'autonomie corporelle. La tendance à adopter une esthétique aussi provocante, alors que notre société commence à ressembler à La servante écarlate, est un signe encourageant : nous ne serons pas apprivoisées", fustige le site.
Une analyse qui démontre à quel point cet inattendu retour aussi stylé qu'incongru est loin de se limiter à quelques tapis rouges.