Une survivante à la volonté de fer : voilà comment on pourrait décrire la Mexicaine Norma Bastidas. Sa devise est "Be relentless" ("Ne vous arrêtez jamais" en français), et elle s'y tient : à 49 ans, elle a établi en mars 2014 le nouveau record mondial du plus long triathlon jamais accompli.
Elle est partie de Cancun, au Mexique, et a terminé son périple à Washington 64 jours plus tard, après avoir nagé sur 152 km, pédalé pendant 3692 km et couru 1139 km. Cette héroïne hors norme a confié au New York Times que "C'était sans aucun doute la chose la plus douloureuse que j'ai jamais faite". Et pourtant, la douleur est un thème plus que récurrent dans la vie de Norma Bastidas.
Car il ne faut pas s'y tromper : Norma court pour survivre. "Je suis devenue une coureuse incroyable à cause de la quantité incroyable de stress que j'avais à gérer", explique-elle quand on lui demande comment elle était devenue une telle légende de triathlon. Si la femme qui est connue pour avoir couru 241 km dans les déserts les plus brûlants de Namibie ou a participé à des double-marathons dans la toundra glacée de l'Antarctique semble instoppable, c'est parce qu'elle tente par la course d'échapper aux démons de son passé.
La vie de Norma a en effet tout d'une tragédie grecque. Née dans une famille très pauvre au Mexique, son père meurt alors qu'elle n'a que 11 ans. Son oncle, un aveugle dont elle devait s'occuper, se met alors à la violer. C'est pourquoi à 19 ans, lorsqu'une femme lui propose un emploi dans le mannequinat à Tokyo, Norma saute sur l'occasion, trop heureuse de pouvoir échapper à sa vie au Mexique. Le guet-apens se referme sur elle : une fois arrivée au Japon, "l'agence" lui prend son passeport et l'enferme dans une chambre. Elle a ensuite été "vendue au plus offrant", raconte-t-elle dans son interview pour CNN , et est devenue son esclave sexuelle, "sa propriété". Elle est droguée, battue et violée à répétition pendant plusieurs années. "Je ne pouvais pas aller voir la police. J'étais là-bas, sans passeport et déjà marquée comme prostituée", explique-t-elle.
Elle a fini par réussir à s'échapper au Canada, où elle a tenté de reconstruire sa vie. Mais gravement traumatisée, elle tombe dans l'alcool, le seul moyen pour elle d'apaiser sa peine, son premier mariage échoue, et elle a des difficultés à garder un emploi stable. Le point de non-retour a été la découverte de la maladie de son fils aîné, une dégénérescence de la rétine qui rend aveugle. Elle décide de sortir de cette spirale infernale, et passe d'une addiction à une autre : "J'ai commencé à courir la nuit. Parce que je ne voulais pas que mes enfants m'entendent pleurer". Six mois après avoir enfilé sa première paire de baskets, elle se qualifie pour le marathon de Boston, l'un des plus sélectifs et difficiles. En 2009, elle court dans les environnements les plus hostiles de chacun des sept continents en sept mois pour le "777 Run for Sight" afin de lever des fonds pour l'association Operation Eyesight qui tente de guérir les maladies de l'oeil chez l'enfant. Norma est lancée.
Ses courses sont aussi pour Norma Bastidas un moyen de soutenir les victimes du trafic humain et de leur redonner espoir. En mai 2013, avec le groupe iEmpathize qui soutient les femmes tombées dans ce commerce cauchemardesque, elle choisit d'ailleurs d'accomplir quelque chose de symbolique contre le trafic humain. Elle décide d'établir un nouveau record du monde du plus long triathlon en passant par une route connue pour être utilisée par les trafiquants pour transporter leurs proies. Son périple est suivi par CNN et filmé par iEmpathize qui en fait un documentaire, "Be relentless".
Elle explique que l'important pour elle était de montrer aux femmes qui ont été victimes de trafic humain qu'elles peuvent aussi triompher de ce qu'on leur a fait subir. "Chaque fois qu'on doute qu'une victime du trafic humain puisse avoir un avenir ou du potentiel, on est en fait en train de lui dire doucement 'C'est de ta faute'. Et c'est inadmissible", martèle-t-elle dans le documentaire vidéo de CNN . Elle voulait que son record inspire les femmes qui ont survécu et sensibilise le public au fléau que représente le trafic humain. Elle a été rejointe sur les trois derniers kilomètres de son triathlon par d'autres survivantes, un moment très émouvant pour l'athlète mexicaine : "En voyant les choses en grand, je donne du pouvoir à chaque victime. Quelqu'un qui vivait dans un cauchemar, est maintenant là à réaliser ses rêves. Parce que c'est ça, un record du monde : un rêve".
Sa bataille, en baskets ou contre elle-même, n'est pas encore achevée. Selon son website, elle va se lancer en juillet dans "la course à pied la plus dure au monde" et parcourir 217 km dans la célèbre Vallée de la Mort afin de lever des fonds pour les programmes de santé Operation Eyesight en Inde et en Afrique. Inarrêtable, vous dit-on : Norma court comme si elle avait le diable aux trousses. Et quand on la voit en larmes à l'arrivée de son triathlon à Washington D.C, on se souvient que malheureusement, c'est le cas.