Cette 92e cérémonie des Oscars ce dimanche 9 février était historique. Pourquoi ? Car l'excellent Parasite de Bong Joon-Ho s'est vu à sacré Meilleur film international ET Meilleur film tout court. Un exploit ! Le cinéaste sud-coréen a également remporté les Oscars du Meilleur réalisateur et du Meilleur scénario original. Et si cette soirée fut traversée de séquences inoubliables (l'Oscar du Meilleur acteur décerné à Joaquin Phoenix pour Joker, celui du Meilleur acteur dans un second rôle attribué à Brad Pitt pour Once Upon A Time In Hollywood, la statuette du Meilleur scénario adapté décernée au délirant Taika Waititi pour Jojo Rabbit), elle fut également puissante par sa célébration des féminités, entre récompenses bien méritées, discours admirables et prises de position féministes.
Un discours que l'on oubliera pas, c'est évidemment celui de l'une des "queens" de la cérémonie : Renée Zellweger. L'actrice américaine a remporté la statuette de la Meilleure actrice pour son rôle dans le biopic Judy. L'occasion pour la comédienne, qui avait déjà remporté l'Oscar du meilleur second rôle féminin pour Retour à Cold Mountain, d'honorer la mémoire de la légendaire Judy Garland, en insistant notamment sur son héritage, "exceptionnel, absolument unique", et sur cette injustice : de son vivant, la comédienne n'a jamais été couronnée par l'Académie. "Ce prix est aussi celui de Judy Garland", a donc affirmé celle qui, émue, voit là "sa célébration". "Mme Garland, vous êtes certainement parmi les héroïnes qui nous unissent et nous définissent, et (cette récompense) est sans aucun doute pour vous."
La victoire de Renée Zellweger est aussi une répartie cinglante à toutes celles et ceux qui ne se privent pas de déballer les jugements les plus vils sur son physique. Des remarques propres à un "vieux monde" que cette nuit riche en émotions est venue quelque peu bousculer. Voyez plutôt...
Comme l'énonce Renée Zellweger cette cérémonie fut une "célébration", à la mémoire de la grande Judy Garland certes, mais plus encore en l'honneur des artistes féminines d'aujourd'hui. Comme l'exceptionnelle Laura Dern par exemple, qui s'est vue décernée l'Oscar du Meilleur second rôle féminin pour sa performance dans le très remarqué Marriage Story (avec Adam Driver et Scarlett Johansson). Dépourvue de tout ego trip, son discours fut avant tout une ode à la sororité. Au micro, Laura Dern a en effet salué le talent de la réalisatrice Greta Gerwig (Little Women), déplorant au passage son absence de la catégorie "Meilleurs réalisateurs". "Si [elle] le pouvait", a-t-elle ajouté, "elle [lui] donnerait sur le champ". Un bel exemple de solidarité.
Ce sacre est aussi celui de la compositrice Hildur Gudnadottir, à qui l'on doit la bande originale de Joker, et qui était déjà repartie de la cérémonie des Golden Globes avec une belle statuette. En plus de hanter l'oeuvre de Todd Philips, la jeune femme avait déjà marqué l'année 2019 en signant la musique de la série HBO Chernobyl, ce qui lui a également valu de nombreuses récompenses, des Emmys aux Grammy Awards. Ce dimanche soir, elle a décroché l'Oscar face à de grands noms comme Randy Newman ou John Williams, excusez du peu !
"Aux filles, aux femmes, aux mères, qui entendent la musique bouillonner en elles, exprimez-vous ! Nous devons entendre vos voix", a-t-elle clamé sous les applaudissements du public. Inspirant.
Inspirante aussi est la victoire de Matthew A. Cherry, à qui l'on doit le court-métrage d'animation (désormais oscarisé) Hair Love. Un joli focus plein d'amour sur une famille afro-américaine, et plus précisément sur un père et sa petite fille, mais aussi une ode aux cheveux crépus. En remportant sa statuette, Matthew A. Cherry a rappelé l'importance du Crown Act (récemment adopté en Californie), une loi qui interdit toute forme de discrimination relative aux coiffures naturelles. Un acte que tous les Etats, a-t-il insisté, devraient adopter sans plus attendre. "La représentation est cruciale, surtout dans les dessins animés car ce sont les premières images qui construisent notre vision du monde", a insisté Karen Rupert Toliver, la productrice du court-métrage.
Ce sont exactement les mêmes valeurs qui ressortent de la performance bouillonnante de la soirée, celle de l'interprète et compositrice soul Janelle Monáe, qui, en ouverture de la cérémonie, nous a offert un très énergique numéro musical (rendant hommage aux sorties remarquées de l'an dernier) tout en confessant sa joie d'être présente "en tant qu'artiste queer noire". Non sans préciser au passage : "Nous célébrons ici toutes les femmes qui ont réalisé des films phénoménaux". Une piqûre de rappel des plus salvatrices...
Par-delà l'Oscar des Meilleurs maquillages et coiffures, décerné à Kazu Hiro, Anne Morgan et Vivian Baker (Scandale) et celui des Meilleurs costumes pour Jacqueline Durran (Les Filles du Docteur March de Greta Gerwig), cette nouvelle salve de statuettes dorées a eu le bon goût de porter aux nues Learning to Skateboard in a Warzone (If You're a Girl) de Carol Dysinger, Oscar du meilleur court-métrage documentaire. Un film très girl power s'il en est : il raconte les péripéties quotidiennes d'un groupe de jeunes filles afghanes s'initiant à l'art de la planche à roulettes aux côtés de professeurs bienveillants. Des mentors justement salués par la réalisatrice. "Ils enseignent le courage aux filles, celui de lever la main et d'affirmer : 'Je suis là. J'ai quelque chose à dire. Et Je vais emprunter cette rampe. N'essayez pas de m'arrêter'", s'est réjouie la cinéaste primée.
Cette ode à la parole des filles et des femmes, libérée et encouragée, Carol Dysinger n'est pas seule à l'avoir scandé cette nuit-là. Les super-héroïnes Brie Larson, Sigourney Weaver et Gal Gadot (alias Captain Marvel, Ripley dans la saga Alien et Wonder Woman) étaient également là pour ça, blaguant sur leurs alter-egos fictionnels charismatiques et puissants ("Nous allons monter un petit fight club ensemble !") tout en adressant un joli message à toutes les spectatrices scotchées devant leur poste de télévision : "Toutes les femmes sont des super-héroïnes !". On ne peut qu'approuver cette assertion.
Au passage, le trio en a également profité pour égratigner quelque peu les journalistes et leur sexisme ordinaire. Si un homme se fait battre au sein de leur "fight club" fictif, a ainsi plaisanté Gal Gadot, il devra répondre "aux questions des reporters qui demandent ce que cela fait d'être une femme à Hollywood". Un tacle qui vise là où il faut.
Mais aux Oscars, l'empowerment s'écrit aussi par-delà les récompenses. C'est ce qu'a démontré Natalie Portman. Sur le tapis rouge, la comédienne a effectivement dévoilé une magnifique robe Dior noire et dorée, sur laquelle l'on pouvait lire (surprise) quelques noms brodés en lettres dorées. Ces noms, ce sont ceux des réalisatrices qui n'ont pas eu l'honneur de se voir nommées dans la catégorie (exclusivement masculine cette année) des Meilleurs réalisateurs de la cérémonie. Et elles sont nombreuses ! Comme Greta Gerwig (Les filles du docteur March), Lorene Scafaria (Hustlers), Lulu Wang (The Farewell) ou encore Melina Matsoukas (Queen & Slim), pour ne citer qu'elles bien sûr. C'est dire la force du geste chic et choc de l'actrice féministe.
Entre deux prix et quelques flashes de photographes, la puissance féminine a résonné aussi en musique. Avec la cheffe d'orchestre et compositrice irlandaise, Eímear Noone, qui a dirigé les 42 musiciens lors d'une séquence reprenant les cinq partitions nominées pour le prix de la Meilleure bande originale. Une grande première dans l'Histoire des Oscars. Ou encore à travers la voix mélodieuse de la jeune et déjà iconique Billie Eilish, 18 ans seulement. La popstar anti-pop a effectivement subjugué son audience avec une reprise émouvante de Yesterday des Beatles. Des mots mélancoliques fredonnés à la mémoire des personnalités qui nous ont quitté en 2019 et 2020. Ou quand l'une des plus prometteuses étoiles d'aujourd'hui salue celles d'hier...