Il ne fait pas bon vivre en Ouganda lorsque l'on est une femme. Classée 115 ème sur 152 par le Programme des Nations unies pour le développement en matière d'inégalité des sexes, cette ancienne colonie anglaise ravagé par une longue guerre civile est véritablement gangrenée par les violences de genre.
De leur plus tendre enfance jusqu'à l'âge adulte, de l'excision au mariage précoce et aux violences conjugales, la vie des femmes ougandaises continue d'être rythmée –et détruite- par la violence. Et ce, dans la plus grande impunité : face au poids des traditions, la législation peine à fonctionner, abandonnant les femmes à leur triste sort.
Et c'est contre cette inaction que des membres de la police nationale ougandaise ont enfilé leurs plus beaux talons hauts pour manifester, le vendredi 9 décembre 2016. Hommes et femmes ont marché côte à côte dans la capitale, Kampala, afin de mettre fin à la normalisation de ce massacre féminin. Un geste amusant, mais puissant , qui délivre un message de soutien primordial.
En Ouganda, les femmes sont condamnées à l'inégalité et à la violence ; ce sont peut-être les deux seules choses auxquelles elles auront assurément droit. En effet, 97% d'entre elles sont excisées avant l'adolescence ; et 40% finissent mariées avant 18 ans. Outre les dangers directs pour leur santé, provoqués par les mutilations sexuelles, les risques d'infections ou de complications lors de grossesses précoces déjà très délicates et risquées, ces fléaux sont le terreau de l'inégalité des femmes.
Privées d'éducation par ces mariages d'enfants, les femmes se retrouvent totalement démunies, entièrement dépendantes de leurs maris. Et c'est un véritable drame : d'après le Bureau ougandais des statistiques, 70% des femmes mariées sont victimes de violences de la part de leurs partenaires. Pourtant, malgré l'urgence de la situation, le Parlement a encore retoqué récemment un projet de loi pénalisant les violences conjugales, condamnant par son silence les femmes à la détresse et à la soumission.
Le 9 décembre 2016, un mouvement de protestation en faveur des droits des femmes a donc été organisé à Kampala, avec le soutien d'ONU Femmes, l'entité des Nations unies pour l'égalité des sexes. Cette manifestation, qui avait pour but de sensibiliser l'opinion publique aux souffrances des Ougandaises, a pris la forme d'une marche "Walk a Mile in Her Shoes" (un concept américain créé en 2001 et qui permet de lever des fonds pour aider les femmes). Et les membres de la police nationale ougandaise ont décidé de prendre cette expression anglaise, qui signifie "Marche dans ses chaussures", "Mets-toi à sa place", au pied de la lettre : à la surprise générale, ils ont ouvert le cortège ... en titubant sur des talons hauts. Certains portaient même des sacs à main ou des tenues de femme.
Et si le geste est cocasse, il est surtout très symbolique. "La violence de genre persiste parce que les hommes considèrent les femmes comme leurs subordonnées. On peut en finir avec la violence si on considère que les femmes sont égales en droits et en dignité aux hommes, et c'est pour montrer cela que je suis là aujourd'hui", explique Mahamya Modaias, l'un des policiers qui a participé à la marche en talons, à Ugaranda Radio Network. Un autre, Lukwango John, a confié qu'il avait choisi de défiler ainsi pour promouvoir une nouvelle vision de la famille, où la femme serait soutenue et respectée plutôt qu'écrasée.
Hodan Addou, le délégué des Nations Unies pour l'Ouganda, a félicité les policiers pour leur geste, toujours sur Uganda Radio Network ; en effet, d'après lui, "Ce sont les hommes qui détiennent la clé du problème ; il est important de montrer qu'ils ne se contentent pas d'écouter les récriminations des femmes, mais qu'ils y prennent part aussi pour combattre les violences de genre". Cette manifestation de solidarité est un coup porté aux traditions : en embrassant des symboles traditionnels de la féminité, ces hommes ont livré un beau message de soutien et de tolérance. Et pour les femmes, c'est un peu d'espoir qui renaît, chancelant et mal assuré comme ces policiers en talons, mais en marche.