Le Malawi détient le sinistre record du plus haut taux de mariages précoces dans le monde : 50% des petites filles sont mariées avant leurs 18 ans, selon une étude des Nations Unies en 2012. Et si les chiffres sont déjà effrayants, la réalité est encore bien pire. Ces mariages infantiles sont dévastateurs pour le pays, où l'espérance de vie ne dépasse pas 54 ans en moyenne et où 10% de la population est touchée par le VIH. Mais c'était sans compter la "Terminator des mariages précoces" comme les médias locaux la surnomment, Theresa Kachindamoto, la chef du district de Dedza dans la région sud du Malawi. Véritable pionnière de la lutte pour les droit des femmes et des enfants, cette mère a entamé depuis sa nomination à Dedza une croisière farouche contre les mariages précoces. Son obsession : les abolir afin de protéger les fillettes, leur permettre d'avoir accès à l'éducation et leur donner les armes pour échapper ensuite aux violences de genre qu'elles pourraient sinon subir.
Née à Dedza, Theresa Kachindamoto travaillait comme secrétaire dans une université d'un autre district du Malawi depuis 27 ans quand elle a été appelée pour prendre la tête des 100 000 habitants de sa région natale. À son arrivée, elle est scandalisée à la vue des fillettes de 12 ans qui ont un bébé au bras, explique-t-elle à la chaîne d'information arabe Al Jazeera dans une interview donnée le 2 avril 2016. Elle fait immédiatement du mariage précoce sa bête noire. Elle passe dans son district l'âge légal minimum pour le mariage à 18 ans, soit huit ans avant que le pays dans son ensemble adopte cette loi. Mais si l'instauration d'un âge légal minimum permet de lutter contre le fléau des mariages infantiles, il en faut plus pour endiguer totalement cette pratique, ancrée depuis des siècles dans la tradition de ce pays à 89% rural et dont le PIB était le plus faible au monde en 2012. En effet, au Malawi, les mariages précoces sont une manière pour les familles d'alléger leurs difficultés financières. Le taux très élevé des mariages infantiles est dû à la dot que touchent les familles en mariant leurs filles : ces arrangements leur permettent très souvent d'éponger une partie de leurs dettes.
C'est pour cela que Theresa Kachindamoto a été plus loin dans son combat : elle a aussi cherché à faire abolir le "droit coutumier", c'est-à-dire l'accord entre les chefs de village et les parents de l'enfant qui permet de contourner la loi et de valider le mariage d'une mineure. Inflexible malgré les menaces de mort qui pesaient sur elles et le tollé général que son combat provoquait, elle a convoqué en 2015 ses 50 chefs adjoints et leur a fait signer un accord interdisant cette tradition et annulant tous les mariages officialisés jusqu'à présent. "Que vous le vouliez ou non, je vais mettre fin à ces mariages" , leur a-t-elle annoncé, selon Al Jazeera. N'hésitant pas à prouver la force de son engagement et sa détermination, elle a été jusqu'à suspendre 4 d'entre eux qui refusaient d'abolir les mariages déjà validés jusqu'à ce qu'ils obtempèrent. En juin 2015, elle a prononcé pas moins de 330 suspensions. Grâce à sa volonté de fer, 850 mariages précoces ont été annulés au cours de ces trois dernières années. C'est une victoire certaine pour ce si doux Terminator, mais elle sait le combat loin d'être achevé.
Un combat sur plusieurs front : pousser à la scolarisation des jeunes filles pour limiter les violences de genre...
Comme toujours, l'éducation est la clé de l'éradication des mariages précoces. Les grossesses qui s'ensuivent empêchent les fillettes de continuer à aller à l'école. Si la proportion de filles et de garçons en première année de primaire est la même au Malawi, moins de 45% des filles dépassent la dernière année de primaire d'après le rapport de Human Rights Watch en mars 2014. Ce manque d'éducation fait automatiquement d'elles des femmes vulnérables aux violences de genre, aux abus sexuels et aux violences domestiques, par exemple. Cela les place dans une situation de dépendance vis-à-vis des hommes qui restreint considérablement leur liberté et leurs droits. Kachindamoto fait donc en sorte que l'annulation des mariages s'accompagne automatiquement par un retour sur les bancs de l'école pour ces femmes-enfants. Elle va jusqu'à payer les frais d'inscription si les familles des fillettes n'ont pas de quoi financer leur scolarité. "Je dis toujours aux parents : si vous envoyez vos enfants à l'école, vous aurez tout à l'avenir", explique Kachindamoto à l'organisation U.N. Women en septembre 2015. L'éducation des filles est une nécessité, le seul moyen de leur donner les armes nécessaires pour qu'elles puissent se dégager du poids des coutumes sociétales qui les enferment.
Un combat contre les abus sexuels sur mineurs
L'ennemi de Theresa Kachindamoto est une hydre aux milles têtes. C'est pour cela que la chef de Dedza cherche aussi àlutter contre les camps d'initiation sexuelle, une abomination très répandue au Malawi. Ces camps pratiquent le "nettoyage" ou "kusasa fumbi" : la "poussière d'enfance" de filles à partir de 7 ans, est "nettoyée" par un homme qui va de village en village et qu'on surnomme la "hyène". Celui chargé de déflorer les -très- jeunes vierges. On y envoie aussi les fillettes afin qu'elles apprennent à "satisfaire un homme" : elles sont souvent forcées pour cela d'avoir une relation sexuelle avec un homme plus âgé, leur "professeur". Ces camps ne sont qu'une des nombreuses formes d'abus sexuels sur mineurs qui sont malheureusement tolérés au Malawi, où les jeunes vierges sont aussi très souvent déflorées par des chefs de village ou offertes à des hommes malades qui espèrent ainsi guérir. Mais le "kusasa fumbi" est très souvent synonyme de mort ou de douleurs pour les mineures : c'est un facteur important de propagation du VIH et entraîne égalementdes grossesses que les filles trop jeunes ne sont pas aptes à supporter : 1 femme sur 36 meurt encore en couches au Malawi d'après les chiffres de 2015 de l'UNFPA, ainsi qu'un quart des enfants.
Theresa Kachindamoto se dresse donc en véritable héroïne des droits des femmes et des enfants au Malawi. Même si sa démarche demeure souvent contestée dans certaines campagnes de Dezda, les mentalités évoluent progressivement grâce à l'obstination tenace de l'ancienne secrétaire d'université: il serait temps de voir le traitement des filles s'améliorer au Malawi pour que le pays tout entier puisse enfin suivre la même voie.