On l'appelle "the ultimate badass feminist" : l'ultime féministe "badass", dure à cuire. Il faut dire que ses performances déchaînées sur scène n'ont d'égales que ses interviews sans langue de bois. A seulement 28 ans, Phoebe Bridgers est considérée comme l'une des valeurs sûres de la scène rock américaine. Surtout depuis le succès de son second album en solo, Punisher, qui a fait le bonheur de tous les confinés en 2020.
Phoebe Bridgers fait partie de cette vague de musiciennes qui proposent des sons rock et folk introspectifs, sensibles et envoûtants, comme Julien Baker et Lucy Dacus - deux amies hyper talentueuses avec qui elle a composé un très chouette album sororal, ironiquement intitulé Boygenius.
La presse musicale tout comme les nouvelles générations qui suivent régulièrement ses éclats sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming saluent à l'unisson sa singularité. Et on les comprend volontiers.
Car il y a bien des raisons de l'adorer.
Phoebe Bridgers, c'est donc deux albums solo, Strangers in the Alp et Punisher, divers groupes par le passé, comme le punk band Sloppy Jane ou Better Oblivion Community Center (au sein duquel elle signe auprès de Conor Oberst un excellent album éponyme sorti en 2019) et surtout... une sacrée présence.
Présence musicale, du genre qui fait vibrer. L'autrice-compositrice-interprète californienne dénote par ses chansons rock et folk mélancoliques, abordant aussi bien la dépression et le deuil que la solitude. Ses opus sont dédiés à ses failles personnelles, exprimés sous une forme poétique et onirique. Elle est de ces musiciennes, telle Billie Eilish, qui usent de la musique comme d'un outil de thérapie, aussi bien pour elle que pour son (jeune) public.
D'ailleurs, Bridgers n'hésite jamais à parler de santé mentale lors de ses interviews. Une sincérité qui paie puisque son second album lui vaudra plusieurs nominations aux Grammy Awards, dont celle de la chanson rock de l'année. Avant cette consécration, plusieurs de ses chansons avaient déjà pu être entendues dans des séries comme Castle et Switched.
Cette présence se retrouve largement sur scène. En 2021, Bridgers, invitée dans la célèbre émission Saturday Night Live, avait interprété en élégant costume de squelette Halloween-esque ("Halloween" est d'ailleurs le nom d'une de ses chansons) l'un de ses sons... avant de briser sa guitare sur scène.
Une démarche très grunge pour celle qui a grandi avec des albums stylés mais un brin moins destroy - ceux de Joni Mitchell et des Pretenders. Ce geste flamboyant lui vaudra sur les réseaux sociaux quelques remarques perplexes, évidemment masculines. Remarques auxquelles la jeune star indé avait rétorqué par un insolent : "La prochaine fois, je la brûlerai".
Voilà qui donne une petite idée du ton Bridgers. La musicienne est emblématique d'une génération d'artistes très suivies sur les réseaux sociaux, mais qui ne soucient guère de cliver. Un peu comme la superstar Olivia Rodrigo, 19 ans, lorsque celle-ci interprète au Glastonbury Festival le hit Fuck You en compagnie de Lily Allen afin de protester contre la répression du droit à l'avortement aux Etats-Unis. Bridgers approuverait.
Mais si Phoebe Bridgers a su enthousiasmer une fanbase toujours aussi fidèle ces dernières années, c'est parce que sa musique et son engagement politique ne font qu'un. En interview comme en concert, la chanteuse n'hésite jamais à aborder les enjeux de la révolution #MeToo et sa vision critique du patriarcat.
Par exemple ? Lorsqu'elle se produit en concert et reverse ses recettes à l'association pour l'avortement Brigid Alliance (une organisation caritative qui fournit des voyages, de la nourriture, un hébergement et d'autres formes de soutien aux personnes cherchant à avorter). Ou lorsqu'elle performe sur scène en collaboration avec le Texas Transgender Education Network (une organisation engagée à promouvoir l'égalité des genres au Texas par le biais de l'éducation), durant ses performances dans l'Etat très conservateur.
Autre fait d'armes ? Sa reprise de That Funny Feeling, l'un des sons de l'humoriste/musicien Bo Burnham, au profit d'un fond de charité pour le droit à l'avortement au Texas. En octobre 2020, elle participait au festival virtuel "Village of Love" afin de collecter des fonds au profit de Planned Parenthood, le Planning Familial américain. "J'ai moi-même avorté en 2021 alors que j'étais en tournée. Je suis allée au Planned Parenthood où ils m'ont donné la pilule abortive. C'était facile. Tout le monde mérite ce genre d'accès", s'était-elle exprimée.
"J'aime aller dans ce genre d'Etats car les jeunes y sont tellement en colère et cool", aime à dire celle que Teen Vogue compare volontiers aux icônes énervées des années 90 comme Sinead O'Connor et Fiona Apple. Pour le magazine, toute la singularité de Bridgers réside dans ce grand équilibre entre vulnérabilité avouée (notamment à travers ses chansons) et colère jamais éteinte. Ce qui donne lieu à "une vraie complexité émotionnelle".
Une complexité indissociable de son indignation, laquelle s'observe encore lorsque Bridgers défend Amber Heard, en réaction au torrent de remarques sexistes dont fit l'objet l'actrice lors du procès qui l'opposait à son ex-mari Johnny Depp. Auprès de Teen Vogue, la chanteuse dénonçait : "Toute cette situation m'a tellement bouleversée. Rire de quelqu'un qui pleure au tribunal ? C'était dégoûtant".
L'artiste fustige aussi ce qu'elle juge insensé : "l'injonction à être la victime parfaite, ou la représentation parfaite de votre communauté marginalisée". Le complexe de la "mauvaise victime" ou de la "mauvaise féministe" en somme. A l'inverse, Phoebe Bridgers observe une plus ample compassion à l'égard "de tous ces hommes qui ne s'excusent jamais". Le genre de propos qui parlent beaucoup à sa communauté.
Car Phoebe Bridgers incarne les valeurs positives de son époque : implication, sens de l'initiative, regard éveillé et différent. Un peu comme son fiancé, l'acteur irlandais Paul Mescal, remarquée pour sa performance à la fois sensible et sulfureuse dans la série Normal People.
Preuve supplémentaire de cette conciliation entre musique et militance, Bridgers a fondé il y a deux ans à peine son propre label, Saddest Factory, qui met un poing d'honneur à valoriser les artistes LGBTQ. On y retrouve notamment Claud, artiste indie pop non-binaire de 23 ans, mais aussi Muna, un girls band de pop rock.
Auprès du magazine Men's Health, Phoebe Bridgers explique ne pas simplement souhaiter bousculer quelque peu les mêmes programmations musicales blanches hétéronormées, mais aussi mettre en avant "des personnes qui ont une expérience humaine unique". Ce qui implique une large inclusivité.
Alors que vient de sortir sa nouvelle chanson, une reprise classieuse de la chanson de Noël So Much Wine dont tous les bénéfices seront reversés au Centre LGBT de Los Angeles, on s'impatiente de voir paraître le prochain opus de cette étoile de la scène indé.