"Ce n'est pas réactionnaire de constater que pour faire un enfant, l'espèce humaine est une espèce animale sexuée, c'est-à-dire que sa reproduction se fait à partir de deux sexes". Ces mots, ce sont ceux de Jean François Mattei, le vice-président de l'Académie nationale de médecine. Et comme cette opinion le laisse supposer, l'institution en question est loin d'être favorable à la législation de la procréation médicalement assistée.
A en lire le rapport officiel de l'Académie de médecine rendu ce 21 septembre, l'ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires constituerait même "une rupture anthropologique majeure qui n'est pas sans risques pour le développement psychologique et l'épanouissement de l'enfant". Comprendre : il n'est "pas sans risque" qu'un enfant soit "privé de père". On finit par le saisir, c'est là l'argument majeur des voix "anti-PMA" qui s'élèvent depuis des mois contre le projet de loi bioéthique. Mais à la veille de son examen au sein de l'hémicycle de l'Assemblée Nationale ce 24 septembre, ces propos ne manquent pas de susciter des réactions...
"Rappelons que l'Académie de médecine, c'est un boys club", décoche à ce titre la militante féministe Alice Coffin, évoquant le contraste plutôt cinglant entre le profil des principales concernées par la PMA pour toutes (à savoir, les femmes lesbiennes en couple et les femmes célibataires) et "la composition virile" de l'institution. Et pour cause, puisque, comme l'énonce l'avocate Caroline Mecary, l'académie se composerait de 130 membres... dont seulement 3 femmes ! Ainsi l'économiste et présidente de l'association Parler Sandrine Rousseau ne voit-elle en ces mots que "le contrôle du corps des femmes" par la médecine, affirmant fermement que "la PMA est un sujet de société, pas un sujet médical". Il faut dire que si dans ce rapport, l'Académie précise qu'elle n'a pas à "donner un avis", elle ne s'en prive pas pour autant... Insistant par exemple sur "le droit de tout enfant à avoir un père et une mère dans la mesure du possible".
Cette place du père, l'institution la brandit comme un argument d'autorité. A en lire le rapport officiel, la position du paternel serait "de plus en plus malmenée par les évolutions sociétales [et] pourtant fondatrice pour la personnalité de l'enfant comme le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues". En gros, le progressisme n'est pas soluble dans la science. Une drôle d'idée qui n'est pas pour déplaire aux détracteurs de la PMA, comme la députée du parti Les Républicains Valérie Boyer ("Où est l'intérêt supérieur de l'enfant ?", s'interroge-t-elle) et le membre du Rassemblement National Jean Messiha, insistant (encore et encore) sur le fait que "cette #PMApourToutes emporte un grave danger pour l'enfant". Sans oublier l'eurodéputé RN Gilbert Collard et son inénarrable "plus de père, plus de repaires"...
Or, contrairement à ce qu'avance l'Académie de médecine, de nombreuses études scientifiques démontrent que le cadre d'une famille homoparentale n'a aucune incidence néfaste sur le développement psychologique et l'épanouissement de l'enfant. Citons par exemple l'Étude nationale longitudinale sur les familles lesbiennes (NLLFS) chapeautée par Nanette Gartrell. Après vingt-cinq années passées à observer l'évolution d'enfants de parents lesbiens, de leur naissance à aujourd'hui, la chercheuse en a déduit que lesdits filles et fils "affichaient des résultats aussi bons en matière de santé mentale que les autres adultes du même âge". Un constat qui donne du fil à retordre à notre institution nationale...
Au sein du gouvernement, l'avis académique ne provoque pas non plus la plus vive approbation. "Considérer qu'il y a un lien direct entre défaut de construction de l'enfant et famille monoparentale est faux", a cinglé la ministre de la Santé Agnès Buzyn, pour qui cette opinion-là est "datée". Et la ministre d'ajouter : "On arrive à se construire même quand on est élevé par un parent seul". Un débat qui rend d'autant plus crucial le verdict de l'Assemblée Nationale...