"Je m'appelle Hermine, j'ai 28 ans je ne suis n'y journaliste ni spécialiste. Mes invité·es ne le sont pas non plus mais nous sommes concerné·es. Par le handicap, mais pas que". Avec son podcast H comme Handicapé·es, Hermine donne la parole à celles que l'on entend trop peu : les personnes handicapées. Enfin, une écoute sur les principales concernées, par les principales concernées. Un podcast exceptionnel en France.
Et qui regorge de voix aussi plurielles que singulières. L'on y entend Marianne et Yophine, femmes noires et handicapées, Morgan·e, personne queer et handi, ou encore Stéphanie, qui revient sur les discriminations qu'elle subit en tant que femme handicapée, mais aussi en tant que végan. Les témoignages sont éclairants, incarnés et touchants, et le podcast, lui, tout à fait inclusif.
Pour Terrafemina, Hermine revient sur ce programme aussi intime que politique.
Hermine : Il y en a effectivement plus outre-atlantique. Je crois qu'en France le handicap reste un impensé des voix féministes. On est toujours un peu oubliées, et d'un autre côté on ne se sent peut être pas suffisamment légitime pour prendre le micro.
Et puis n'avons pas forcément l'énergie pour nous lancer dans un tel projet, car c'est beaucoup de boulot – déjà pour des personnes valides ! Il faut de la motivation pour s'y mettre. Ou, comme moi, être vraiment très en colère.
H : Oui, il est né durant le premier confinement d'un vaste ras-le-bol. Ras-le-bol concernant l'invisibilité des personnes handicapées dans les milieux féministes et militants en général, et plus globalement, ras-le-bol d'un certain eugénisme observé durant la pandémie autour des personnes handicapées.
J'ai par exemple lu des débats argumentant que si l'on devait choisir de donner un respirateur artificiel à une personne handi ou à une personne valide il faudrait opter pour cette dernière...
Durant cette période, on pouvait même lire des commentaires sur les réseaux sociaux de personnes valides se plaignant car elles devaient assister à des concerts... en restant assis. Ca me donnait envie de jeter mon téléphone par la fenêtre ! J'ai lu plein de trucs durant le confinement qui m'ont fait bondir.
Mais j'avais envie de transformer cette colère en quelque chose de positif, en proposant un espace de parole à part entière.
H : C'était juste l'évidence. Il y a une mixité choisie. Je ne me voyais pas juste faire témoigner des personnes blanches et minces dans des fauteuils roulants. Le spectre du handicap est si large (handicaps moteurs, handicaps psychiques...), alors les personnes handicapées elles aussi sont très différentes.
il y a des personnes handicapées dans toutes les communautés, et les minorités. Moi même, étant handicapée et queer, je me voyais mal ne pas représenter cette pluralité.
H : Disons plutôt qu'on peut cumuler plusieurs oppressions en étant handicapé. Une fois qu'on a commencé à déconstruire une oppression, on comprend que toutes les autres fonctionnent sur le même schéma. J'ai par exemple du mal à comprendre qu'on puisse être handicapé et raciste – même si ça existe. Aborder tout cela permet aussi de faire communauté entre nous, de ne pas exclure d'autres personnes concernées.
H : C'est ça. Il y a un risque à essentialiser les individus. On est beaucoup plus complexes que notre handicap. Il faut prendre en compte le handicap, car cela fait partie de nos vies, mais en même temps ne pas nous limiter à ça.
D'autant plus que c'est hyper déshumanisant. On ne va pas réduire quelqu'un qui porte des lunettes à ses lunettes. Quand on est une personne handicapée y a tout d'abord le regard des gens, qui peut être insistant. Et puis aussi les questions, intrusives, qu'on ne poserait pas aux personnes valides.
Des questions qui réduisent les personnes à leur corps, avec un côté bête de foire, bien présent malgré une visibilité accrue sur les réseaux ou dans l'espace public. Les choses changent mais trop lentement. Idem dans le milieu médical, où l'on est constamment ramenées à notre corps.
Moi-même, j'aimerais bien que le fait de s'afficher dans l'espace public, de sortir de chez soi, ne soit pas un acte politique lorsque l'on est handicapé, car c'est fatiguant. J'aimerais que l'on me laisse tranquille, passer inaperçue pour une fois. Et pourtant c'est un acte politique. Qu'il faut prendre en compte, sinon cela revient à dire : "moi tu sais, je ne vois pas les couleurs".
H : Complètement. Elles sont deux fois plus stigmatisées et deux fois plus susceptibles de subir des violences.
H : Je n'y avais pas pensé mais c'est vrai. De toute façon tout est lié : bien souvent les mères en situation de handicap sont précaires. Elles subissent aussi beaucoup plus d'infantilisation que les femmes valides qui en subissent déjà beaucoup. Et puis elles subissent aussi de la fétichisation de par ce renvoi systématique à leur corps.
H : Dans le podcast je fais également le parallèle entre l'injonction au régime et les opérations médicales. Mais il y aussi pire pour les personnes grosses, il y a les opérations bariatriques, qui sont hyper dangereuses et dures à vivre. Ce sont des opérations qui visent à modifier considérablement le corps pour les normer le plus possible.
H : Carrément. D'où l'intérêt d'organiser un podcast entre personnes concernées. On se fait confiance et on oublie plus facilement le micro, ce qui donne droit à des instants plus intimistes, où l'on parle de vécu, de traumas.
Ce sont de vrais instants de vulnérabilité. Les personnes se retrouvent à dire des choses qu'elles ne diraient pas ailleurs. Le son plus que l'image facilite également le fait de se livrer plus directement.
H : Oui, une complicité se crée spontanément parce que nous partageons des vécus communs. Pourtant je ne les connais pas pour la plupart, ou alors d'Instagram, vite fait. Dans la première saison j'ai simplement interrogé une amie à moi et c'est tout.
Pour l'épisode sur l'accessibilité aux concerts par exemple j'ai trouvé mon invitée via un appel à témoignages sur Instagram. On s'est super bien entendu super vite, il y a un vrai feeling, alors que l'on venait juste de se rencontrer.
H : Je suis une personne qui consomme beaucoup de séries notamment. Donc j'ai toujours soif de bonnes représentations. J'aime voir des personnes qui me ressemblent à l'écran. Ce besoin de représentation et de diversité est important et je voulais aussi l'exprimer à travers ces recommandations, par des concernées et pour des concernées. Histoire de proposer d'autres références qu'Intouchables, et de meilleures ! (sourire)
Concernant les représentations c'est davantage du côté des séries que des films qu'il faut aller chercher. Peut-être car les productions sont plus petites, donc plus audacieuses qu'à Hollywood, issues d'un milieu moins fermé et bourgeois, et que les showrunners sont plus jeunes, c'est plus inclusif.
H : Pour qu'un enjeu comme le validisme soit pris en compte il faudrait déjà avoir en face de soi des personnes qui savent ce qu'est le validisme (sourire). Or Sophie Cluzel, la secrétaire d'Etat auprès du Premier Ministre chargée des personnes handicapées en France, est totalement à côté de la plaque.
Ces voix institutionnelles ne sont pas du tout politisées, au sens militant du terme, mais renvoient à une vision du handicap encore très proche de la notion de charité. En France on est super à la bourre concernant le traitement du handicap. Les moyens ne sont pas mis en oeuvre pour que les personnes en situation de handicap soient indépendantes par exemple.
La loi pour la "déconjugalisation" de l'allocation aux adultes handicapés (ou AAH) a beaucoup fait parler d'elle ces derniers temps notamment. On sent une vraie réticence, un refus de voir les personnes handicapées s'émanciper. On devrait davantage se pencher sur nos voisins. En France on a pas vraiment vécu de grand mouvement militant, contrairement aux Etats-Unis par exemple, où le mouvement anti-validiste a commencé, dans les années soixante-dix, où les luttes des militantes ont fait émergé de nouveaux droits.