"Le changement climatique est une menace grave pour notre bien-être et la santé de cette planète". Ainsi s'exprimait en février dernier Hoesung Lee, le président du GIEC. Le dernier rapport des expert·es Climat de l'ONU a tiré la sonnette d'alarme, chiffres à l'appui : il ne resterait plus que trois ans pour préserver le niveau du réchauffement climatique sous un seuil vivable.
"Ce rapport est un terrible avertissement sur les conséquences de l'inaction climatique", déplore encore Hoesung Lee.
Un cri d'alerte suscitant une question spontanée : le président de la République réélu Emmanuel Macron est-il conscient de cette situation critique ? Et comment compte-t-il agir ? Une question que posent de nombreuses associations environnementales comme WWF France. "L'écologie doit être au coeur du projet social et économique du président", préviennent les présidentes de l'organisation, Monique Barbut et Isabelle Autissier.
Les principales promesses d'Emmanuel Macron, comme la nomination d'un Premier ministre chargé de la Planification écologique, seront-elles vraiment suffisantes pour changer la donne au cours de ce quinquennat ?
Consultante auprès d'ONG internationales et responsable des enseignements du module "Écoféminismes et environnement de travail" à La Sorbonne, Marie Bécue en doute. L'experte nous raconte pourquoi.
Marie Bécue : Le bilan est catastrophique. La France n'a pas respecté ses engagements climatiques liés à l'Accord de Paris, qui exigeait notamment de limiter le réchauffement climatique en dessous de 2°C. En 2021, l'Etat français a été reconnu coupable de préjudice écologique et a été condamné pour "manquement", dans le cadre du procès historique de L'Affaire du siècle tenu au sein du tribunal administratif de Paris.
Il a notamment été reconnu coupable "d'inaction climatique" en ce qui concerne la non-réduction des émissions de gaz à effet de serre. Emmanuel Macron devait aussi fermer les centrales à charbon avant la fin de son mandat. Non seulement il ne l'a pas fait mais il a également dédié une bonne part de l'argent public aux énergies fossiles comme le pétrole et le gaz.
La France fait partie des pays qui privilégient encore largement ces énergies-là aux énergies renouvelables [plus de 60% de notre consommation énergétique provient encore des énergies fossiles, ndlr]. Les émissions de gaz à effets de serre, notamment dues aux transports, ont stagné. Rien n'a été fait pour décarboner les énergies. De nombreux enjeux ont été ignorés durant ce quinquennat comme la pollution des océans, la déforestation, les importations de soja pour les élevages industriels, l'usage du glyphosate...
M.B. : Exactement. Il a vraiment bénéficié de la montée en puissance de Donald Trump. Mais son "green washing", son engagement écologique opportuniste, semble d'autant plus illusoire désormais. Je pense aussi au tweet qu'il a écrit au matin de sa victoire : "Faire de la France une grande nation écologique, c'est notre projet désormais"... Comme si cela changeait de précédent gouvernement qui avait été condamné pour inaction climatique !
Preuve de cet engagement de façade, des scandales comme celui suscité par la cellule de gendarmerie Demeter, initiée en 2019 par le ministre de l'Intérieur et le ministre de l'Agriculture [fustigée par les associations environnementales, cette cellule a pour but de lutter contre les actes criminels au sein du monde agricole mais aussi de prévenir les activités dites "idéologiques". Le tribunal administratif de Paris a exigé en février dernier la cessation de ses activités "de prévention" dans un délai de deux mois, ndlr].
Et puis bon, difficile également de rester crédible quand le Premier ministre Jean Castex décide d'emprunter un jet privé pour aller voter dans sa commune de Prades lors du premier tour de l'élection présidentielle...
M.B. : Elle était décevante. Emmanuel Macron n'a jamais évoqué les données du rapport du GIEC une seule fois. Le climat a occupé vingt minutes de temps d'antenne. De nouveau, l'écologie fut considérée comme une espèce de catégorie à part des débats, alors qu'il faudrait absolument lui dédier une approche transversale. Autrement dit, on ne peut séparer la lutte climatique des luttes sociales ou de la lutte féministe...
Je suis persuadée qu'il n'y aura pas de transition écologique sans transition sociale, c'est-à-dire sans politique sociale à la hauteur des enjeux que nous rencontrons. Tout doit passer par la conciliation entre lutte sociale et engagement pour le climat. Car l'écologie sans lutte sociale, c'est du jardinage.
Or en terme de lutte sociale, le chantier que laisse Emmanuel Macron derrière lui est désolant : la gestion de l'hôpital, l'accueil des immigrés, le service public, la situation de l'école... Ce décalage entre l'urgence sociale et le débat s'est d'ailleurs observée lorsque l'écologie fut présentée comme "un sujet qui angoisse les jeunes". Comme si cela n'angoissait pas les autres !
Cela revient à présenter l'écologie comme une catégorie élitiste alors que c'est un enjeu global.
M.B. : Celle de l'agriculture, du modèle agro-alimentaire actuel et de l'élevage industriel notamment, qui était aux abonnés absents. D'autres, encore : comment va-t-on décarboner les transports ? Comment sortir des énergies fossiles ? Quelle est au juste la feuille de route climatique ? Autre enjeu oublié, celui de la cause animale. Même si du côté de la biodiversité, on voit déjà ce qu'Emmanuel Macron a pu entreprendre.
En 2020, le gouvernement avait par exemple acté la réintroduction des pesticides néonicotinoïdes, autrement dit les pesticides tueurs d'abeilles [des pesticides interdits depuis 2018, dans le cadre de la lutte contre le déclin des abeilles, ndlr]. De plus, son programme est plus que favorable aux chasseurs...
Un autre enjeu aurait pu être abordé : la reconnaissance du "crime d'écocide" - et non du "délit d'écocide" - dans le droit pénal. C'est ce que défendent depuis plusieurs années déjà les juristes et avocats à la tête du programme Wild Legal (William Bourdon, Valérie Cabanes, Marine Calmet, Simon Rossard), qui se battent pour faire reconnaître le statut juridique de la nature, afin de la protéger et condamner les gros pollueurs.
Hélas, tout ce débat s'est avant tout concentré sur le nucléaire (Emmanuel Macron ayant pour projet d'ériger six nouveaux réacteurs nucléaires).
M.B. : Oui, c'est un programme bricolé, et avec un bon nombre d'oxymores, comme la notion de "croissance verte". Or, nombreuses sont les voix scientifiques qui s'accordent à dire que la "croissance verte" [une notion associant énergies renouvelables et développement économique, ndlr] est un leurre.
Avec ce programme politique, on passe à côté des vrais enjeux : la décroissance, la sobriété énergétique, le renoncement.
Mais aborder ces enjeux exige d'avoir du courage et aujourd'hui les décideurs et décideuses en manquent cruellement. L'une des seules qui en avait à mes yeux est la militante écoféministe Sandrine Rousseau. Elle a parlé durant ces prises de parole médiatiques de décroissance, de sobriété énergétique, mais aussi de féminisme. Quitte à se confronter à un mur, car les gens ont du mal à s'émanciper de leur déni climatique...
M.B. : A mon sens, le sursaut que l'on peut espérer sera à attendre du côté des législatives citoyennes. Si l'on ne porte pas une alternative tous ensemble, et si le projet de Jean-Luc Mélenchon (celui du "troisième tour" des législatives) échoue, je pense que c'est terminé... Par le prisme politique, bien sûr. Personnellement, je ne pense pas qu'aujourd'hui, on puisse encore espérer qu'un sauveur politique vienne prendre les mesures qui s'imposent.
Pour moi, le changement passe par d'autres voies que la politique institutionnelle : elle passe par le local, par le "micro", la petite organisation qui fera les grandes rivières. Cela se perçoit d'ailleurs à travers le taux d'abstention massif des jeunes. Je pense que la désillusion du politique et du système électoral est intense chez la jeunesse, et surtout chez les jeunesses des banlieues, et que ces voix-là manquent terriblement pour faire front.
Ce sont des voix qui luttent au quotidien contre les inégalités de genre, les inégalités de classe et l'injustice climatique, mais ils ne croient plus au système institutionnel. Ils font les choses en parallèle de ce système.
M.B. : Oui. Cette crise sanitaire a justement démontré que si on voulait, on pouvait. Que l'on pouvait clouer les avions au sol, fermer les transports, privilégier le local... Or, c'est sans compter les dizaines de milliards d'euros qui ont été versés durant la pandémie aux industries polluantes, et ce sans aucune contrepartie écologique. On comprend dès lors que certains intérêts financiers sont plus importants que l'avenir de la planète.
En février dernier, la Cour des Comptes Européenne a rappelé en ce sens que la France faisait partie des quinze pays qui subventionnent le plus les énergies fossiles ["Les subventions en faveur des combustibles fossiles sont restées relativement stables ces dernières années malgré l'engagement de la Commission européenne et de certains Etats membres de les supprimer progressivement", précise le rapport de la Cour, ndlr].
Le secteur aérien lui aussi a été subventionné généreusement. Faire perdurer une situation critique, ou l'empirer, c'est donc la démonstration d'une non-volonté. Pour preuve, Emmanuel Macron a notamment rejeté l'une des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat : celle de taxer les dividendes des grandes entreprises polluantes [à ce sujet, Greenpeace France parle de "dividendes climaticides" puisque "versés à coups de milliards d'euros par les grandes entreprises polluantes à leurs actionnaires, récompensant les investissements dans les énergies fossiles", ndlr].
De nombreuses autres propositions, comme celle d'ISF climatique ont été rejetées par la majorité présidentielle [mise en avant par un rapport détaillé de Greenpeace France, cette proposition d'inclure "l'empreinte carbone des avoirs financiers" dans le calcul de l'impôt sur la fortune part du principe qu'en 2019, "les 10% les plus riches de la population mondiale ont produit près de 48% des émissions mondiales", ndlr].
Emmanuel Macron n'a pas non plus assuré une sortie du glyphosate en France alors qu'il en avait fait la promesse en 2017. En somme, j'ai l'impression qu'on en reste encore à la fameuse phrase de Jacques Chirac, prononcée en 2002 à Johannesburg : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs"...