Quand on tape "polyamour" dans Google, les images qui défilent en disent long sur ce que signifie le terme pour une partie de la population. Souvent, elles représentent un homme entouré de deux femmes qui s'enlacent au lit. Des paires de jambes qui s'entrecroisent, des baisers sur une bouche, puis une deuxième. Des mains dans la poche d'une partenaire pendant qu'il tient l'autre par la taille... Autant d'illustrations qui contribuent à biaiser certains esprit, ou plutôt, révèlent les préjugés qui y sont déjà férocement installés : le concept rimerait avec union libre et plus encore, sexualité débridée. Loupé.
Car il n'y a qu'à lire correctement l'appellation pour réaliser qu'au-delà des besoins du corps, ce sont du coeur, que ses adeptes entendent assouvir. "Polyamour", comme "plusieurs amours", correspond en réalité davantage à une dynamique d'échange animée par l'affection, l'attachement non-exclusif, que le simple désir de combler ses pulsions charnelles.
Pour le définir le plus fidèlement possible, on a donné la parole à celles et ceux qui s'identifient comme tel·le·s. Des voix anonymes ou expertes, qui ont épousé, étudié ce quotidien où sincérité et respect de l'autre sont primordiaux. Pour mieux s'épanouir et finalement, s'aimer sans limite. Témoignages.
"J'ai un coeur trop gros et beaucoup d'amour à donner". Ces mots tout doux viennent de la youtubeuse Sauvane et les Internets. Elle les a prononcés dans une vidéo où elle fait son coming out polyamoureux, diffusée en juillet 2018. "Une très jolie définition" du terme, commente Tobias, 20 ans, lorsqu'il nous conseille de la visionner. Lui, en a une toute aussi poétique : "Le polyamour pour moi, c'est la liberté d'aimer qui je veux, sans restriction".
Il nous raconte aujourd'hui être en relation avec deux personnes, elles aussi polyamoureuses, depuis 7 et 6 mois. Cela fait un an qu'il a mis un mot sur ce qu'il ressent, ce qu'il souhaite. Et cette étape n'est pas venue sans un certain soulagement. "Dans mes relations mono-amoureuses, j'avais souvent le béguin pour d'autres et je me sentais extrêmement coupable... Maintenant, je n'ai plus à me soucier de ce problème."
Un sentiment familier pour Sandra Le Guern, 29 ans, qui déplore en outre le côté très "sexuel" qu'on associe au polyamour. Plus jeune, confie-t-elle, elle a beaucoup souffert de ne pas se retrouver dans un schéma monogame tel que la société entend l'imposer. La jeune femme se souvient précisément de la fin de son adolescence, lorsqu'elle a trompé son partenaire de l'époque avec son meilleur ami. Aimer deux hommes à la fois lui paraissait naturel, pourtant, le mensonge l'a tout de suite rongée. "Faire un choix ce n'est pas fait pour moi, j'étais perdue".
Aujourd'hui maman d'un petit garçon de 5 ans et demi, elle "relationne" avec plusieurs hommes. Et tous - y compris son fils - sont au courant. Anthony, le père de l'enfant, qui partage sa vie depuis 9 ans, a lui aussi d'autres "copines". C'est d'ailleurs avec lui qu'elle a exprimé pour la première fois sa manière différente d'une "norme" oppressante d'envisager les relations amoureuses, et ce, de façon assumée.
"Lorsqu'on s'est rencontrés, je lui ai dit que j'étais curieuse de voir d'autres personnes, que j'avais besoin de changement, de nouveauté et que je pouvais avoir envie d'aller plus loin avec d'autres. Très vite, il est rentré là-dedans, me disant que c'était très honnête de l'évoquer dès le début".
S'ils adoptent d'abord des codes monogames aux yeux de leurs proches ("On était même en couple sur Facebook", sourit-elle), en privé, ils mènent leur vie comme ils le souhaitent. Jusqu'à s'étiqueter polyamoureux il y a 4 ans, afin de vivre sans se cacher, en toute honnêteté. Une notion indispensable au sein de la communauté.
"La communication et l'écoute des besoins de l'autre sont des ingrédients essentiels et complémentaires pour qu'une relation polyamoureuse fonctionne", affirme Tobias. "Comme n'importe quelle relation mono-amoureuse, en fait. Après, il y a cette notion de non-exclusivité qui fait que les gens monogames pensent qu'on en profite pour coucher avec tout le monde sans prendre en compte sa, son ou ses partenaire·s, ce qui est globalement faux".
La preuve, lui comme Sandra ne conçoivent pas leurs relations sans établir quelques règles. Ou plutôt, des "ententes", comme préfère les formuler cette dernière, afin de contenter et respecter tout le monde. "Dès qu'on pense qu'une autre relation est en train de se former, on se le dit", poursuit Tobias. Pareil pour "tout ce qui est aventures d'un soir ou rencards, on se le dit aussi".
Chez Gabriel, même son de cloche. A 21 ans, iel est en couple avec une personne qui, pour sa part, n'est pas polyamoureuse. "Je lui ai confié dès le début de notre relation que je le suis et il l'a accepté", nous raconte-t-iel. "Il m'arrive de vouloir débuter des relations avec d'autres, je lui en parle à chaque fois avant de faire quoi que ce soit avec l'autre personne pour être sûr que ça ne lui pose pas de problème."
Et d'insister : "Je pense que l'ingrédient essentiel, comme pour tous types de relation est la communication, la communication honnête. C'est important d'être sûr que ça ne pose de problème à aucun des parties concernés, de savoir ce que saon ou ses partenaire·s pensent, s'iels se sentent bien ou pas, etc. Si on n'arrive pas à s'écouter ou à écouter les autres la relation est vouée à l'échec." Mais ça, ajoute également Gabriel, c'est le cas pour tout le monde.
Pour la sexologue Magali Croset-Calisto, autrice de Fragments d'un discours polyamoureux (ed. Michalon), ces conduites sont particulièrement inspirantes. "Les polyamoureux sont indéniablement des personnes qui ont beaucoup réfléchi sur elles-mêmes, sur leurs désirs et l'articulation de ces derniers à travers la création de relations et ce, dans un cadre sociétal parfois hostile", lance-t-elle au micro de BFM. "Une grande maturité définit les individus qui ont choisi le polyamour comme mode de vie. En cela, ils peuvent constituer un exemple concret d'ouverture d'esprit et d'espoir tangible pour toutes les personnes qui ne se retrouvent pas dans le cadre d'une conjugalité mono-amoureuse."
Elle l'assure : "Il faut beaucoup de courage pour faire le pas de côté qui mène aux amours libres et assumées. Les polyamoureux proposent un nouveau modèle de penser le couple et les relations humaines dans notre société occidentale." Un modèle qui part d'un principe puissant : l'amour ne se hiérarchise pas, il se multiplie.
"Pour schématiser un peu, on pourrait dire que le polyamour se nourrit de ce que l'on retrouve dans les règles de l'amour filial ou de l'amitié", continue la spécialiste auprès du média. "Il est possible d'avoir plusieurs enfants ou plusieurs amis et de les aimer chacun dans leur spécificité, sans que ceux-ci soient mis en concurrence. Le polyamour, c'est cela. C'est pouvoir aimer sereinement plusieurs personnes en même temps, comme il est possible d'aimer sereinement ses enfants et ses amis."
Sandra Le Guern, elle, évoque comment chaque relation qu'elle entame avec un homme va correspondre à des besoins qu'elle a sur le moment, des projets communs sur lesquels elle va vouloir se concentrer. A ce qu'une personne va lui apporter à l'instant t. "Je ne parle pas forcément de partenaire, ni de couple", précise-t-elle cependant. "Je parle plutôt de relations d'amour qui fluctuent avec le temps. Et ce n'est pas parce qu'on aime une nouvelle personne que l'on aime moins la première".
Auprès son fils, qui a seulement commencé à poser des questions lorsqu'il a découvert que les adultes vivaient pour la plupart en monogamie, elle verbalise avec bienveillance : "L'amour, ça ne s'explique pas". "On peut être amoureux d'une personne, de plusieurs personnes, l'amour est partout : familial, amical... On dédramatise beaucoup ce mot-là ensemble", nous dit-elle. "En maternelle, leurs histoires d'amours sont tellement cocasses. En fin de compte, c'est la base de tout. Je lui dis : il y a un an, tu étais amoureux d'unetelle parce qu'elle aimait jouer au sable. Et cette année, elle ne joue plus au sable, donc tu es amoureux de quelqu'un d'autre. Et c'est pareil plus tard : les projets, les envies changent". Et avec, les amoureux·se·s.
Rien à voir, insiste toutefois Tobias, avec le libertinage. Et pas toujours non plus avec le fait de former un trouple, puisque les relations peuvent être indépendantes les unes des autres. Comprendre que si Olive fréquente Tim d'une part, et Alex de l'autre, Tim et Alex, elleux, ne se fréquentent pas automatiquement.
On demande enfin à Tobias et Gabriel : ressentent-iels une forme de stigmatisation ? Souffrent-iels du regard des autres ? Le premier répond : "je pense surtout que beaucoup de gens font l'amalgame avec la polygamie, telle qu'on se la représente avec un homme qui peut épouser plusieurs femmes en même temps, alors que c'est très différent. Chacun·e est libre d'avoir un·e ou plusieurs partenaire·s selon ses envies."
Pour Gabriel, le regard des autres, "étant transgenre et pansexuel", iel admet avoir "appris il y a bien longtemps à [s'en] détacher". Ce n'est pas cela qui l'"effraie", "mais plutôt la haine et le rejet de beaucoup de personnes face à quelque chose qu'iels ne comprennent pas." A ce sujet, Tobias lâche : "Le polyamour n'est pas fait pour tout le monde. Il y a des gens à qui ça convient, et d'autres qui ont essayé et qui préfèrent rester en couple exclusif. C'est tout à fait correct, tant que vous êtes à l'aise dans votre relation."
Et que l'on laisse les gens s'aimer à leur façon.