couple
Ce livre nous invite à nous demander si "regarder, c'est tromper ?"
Publié le 12 février 2021 à 18:37
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Dans son ouvrage "Est-ce que regarder, c'est tromper", la thérapeute de couple Florence Peltier invite à regarder l'infidélité avec davantage de bienveillance. A s'interroger sur ses envies, ses attentes, solo comme en couple, et assure qu'il est possible de réparer plutôt que jeter. Interview.
Ce livre nous invite à se demander si "regarder, c'est tromper ?" Ce livre nous invite à se demander si "regarder, c'est tromper ?"© Adobe Stock
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"Que vous inspire ce titre ?". La première phrase d'Est-ce que regarder, c'est tromper ?, paru aux éditions Interéditions le 3 février, nous interpelle. C'est le but, à travers ses 165 pages de précieux conseils, son autrice, la coach en psychologie positive et thérapeute de couple Florence Peltier, invite chacun·e à s'interroger sur sa définition de l'infidélité, et plus encore sur ses propres attentes au sein de son couple, ses envies et ses besoins, loin d'une idéalisation nocive et exigeante.

Petit à petit, elle décortique aussi ce qui pousse à franchir le cap de l'adultère, les conséquences d'une telle trahison - qu'elle soit sexuelle ou émotionnelle - sur la relation, et le tabou social qui entoure cette erreur de parcours, qu'elle juge "(im)prévisible". A l'intérieur, pas de stéréotypes du "méchant" et du "gentil", mais une analyse bienveillante qui encourage à mieux se comprendre, communiquer, et repartir de plus belle "si c'est ce que les deux souhaitent". Un ouvrage salutaire auquel on se réfère en cas de crise, ou avant de préférence.

On a longuement échangé avec l'experte autour de ce terme justement, la bienveillance, et en quoi en user davantage sur le plan des amours peut nous épargner bien des tracas. Entretien.

Terrafemina : Gagnerait-on à être plus bienveillant·e face à l'infidélité en général ?

Florence Peltier : Oui, et peut-être davantage aujourd'hui car il me semble que l'infidélité change. Quand j'ai commencé mon métier de thérapeute de couple, "infidélité" signifiait "coucher avec quelqu'un". Désormais, elle peut prendre différentes formes : le fait de chater avec quelqu'un, de flirter sur les réseaux sociaux, d'avoir une liaison sans forcément qu'il n'y ait de rapport sexuel. Des écarts qui peuvent être vécus comme une trahison et provoquer le même genre de troubles, de traumatismes, de perte de poids. Pour vous citer un exemple, récemment j'accompagnais un couple dont l'un a embrassé quelqu'un d'autre et cela a créé un véritable tsunami émotionnel.

Ensuite, il est important, quand on a été trompé·e, d'être extrêmement bienveillant·e envers soi-même, car l'estime de soi a été touchée. Il faut aussi savoir que, plus c'est douloureux à vivre pour la personne, plus cela veut dire qu'elle a trop investi. Souvent on me dit "il·elle est tout pour moi". Quand on tombe de très haut, ça fait mal.

Enfin, il est utile de témoigner d'une grande bienveillance envers le couple. Ce n'est pas parce qu'il y a une infidélité que le couple se termine, on peut la surmonter si l'un et l'autre sont d'accord. Il faut toutefois se rappeler que, dans ce genre de situations, deux personnes souffrent, et elles auront chacune besoin d'un temps, d'un processus différent pour aller de l'avant. Ça, et sortir du schéma manichéen du "méchant" et du "gentil", même si chacun·e est bien sûr responsable de ses actes.

Où démarre l'infidélité ? Sommes-nous tou·te·s condamné·e·s à l'expérimenter ?

F. P : Le curseur commence peut-être par oublier la date d'anniversaire de rencontre, ou ne pas s'embrasser le matin ou consacrer plus de temps aux enfants qu'au·à la conjoint·e. Des petites "infidélités" qui ne sont pas perçues comme telles, d'abord, mais qui peuvent grignoter au fur et à mesure sur la vie amoureuse. Une étude canadienne réalisée sur 11 000 couples a ainsi montré que l'exigence était essentielle dans une relation. Pas envers l'autre, mais envers soi-même et le visage que l'on montre à l'autre. Les attentions qu'on lui réserve aussi. Dans mon livre, je parle d'"accrocher des étoiles dans les yeux".

Diriez-vous que la gravité associée à l'infidélité est une construction sociale, une réaction d'ego ?

F. P : C'est une preuve qu'on attend trop de l'autre. De nos jours, on se met majoritairement en couple par amour. C'est génial, mais en même temps, on fait peser beaucoup de choses sur lui ou elle. On a ces rêves de quelque chose d'idéal, de l'âme soeur, du grand amour. On veut choisir le bon ou la bonne, il y a une idéalisation terrible qui explique par ailleurs la peur de l'engagement chez certain·e·s. Il y a de l'enjeu, et l'autre n'a pas le droit à l'erreur. Et puis d'un autre côté, on s'autorise aussi des choses qu'on n'autorise pas à l'autre.

Je vais vous donner un exemple concret : un jour, j'ai reçu un couple. Monsieur allait voir des prostituées car il avait de gros besoins sexuels, Madame était d'accord. Elle était assez conciliante, et avait accepté que si les 3 rapports hebdomadaires qu'il avait avec elle ne lui suffisaient pas, il irait voir des travailleuses du sexe.

Et puis, 3 ou 4 séances plus tard, ils reviennent me voir et lui arrive dans tous ses états. Il est très mal car il a découvert qu'elle avait chaté avec un de ses collègues. Pour lui, le fait qu'elle ait développé une intimité émotionnelle avec un autre était de l'infidélité, alors que les visites à des prostituées, puisqu'il mettait un préservatif, n'en étaient pas. C'est dire s'il y a parfois une différence de curseur.

Y-a-t-il une infidélité plus toxique qu'une autre pour le·la partenaire trompé·e ?

F. P : Cela dépend d'abord du piédestal sur lequel on aura mis l'autre. Car quand son·sa partenaire ne correspond pas à l'idéal qu'on a projeté, cela fait d'autant plus mal. A savoir également que, lorsqu'une personne possède une estime de soi solide et entretenue, certes cela fait tout de même très mal, mais elle dispose de ressources pour se remettre plus facilement. En revanche, si la personne a tout misé sur cet amour, est dépendante, c'est là que c'est le pire. Et peu importe l'infidélité : chater, rapport sexuel pendant dix ans... La question est de savoir : "quel est l'idéal que j'ai projeté sur cette relation ?"

Cela devient aussi très toxique lorsque la personne qui trompe le fait afin de faire du mal, de se venger. On parle alors d'infidélité instrumentale. Après, il existe en effet des personnalités qui sont toxiques en elles-mêmes, mais qui ne vont pas forcément avoir besoin de l'infidélité pour blesser leur partenaire. Elles vont user de mécanismes différents. Comme la dévalorisation, empêcher leur conjoint·e de voir ses amis, contrôler toutes ses dépenses...

L'infidélité va potentiellement se rajouter à cette liste, mais pour la personne sous emprise, ce qui va être le plus dommageable sera davantage le comportement quotidien qui lui est destiné, que la manie du bourreau d'aller voir ailleurs. Toutes ces petites phrases qui critiquent l'apparence, le comportement, la comparaison avec une potentielle maîtresse vont être le plus dur à supporter.

Y-a-t-il, à l'opposé, une façon toxique de réagir à l'infidélité de son·sa partenaire ?

F. P : Tout à fait. En général, quand un couple a envie de s'en sortir, la personne qui a trompé veut tourner la page et se projette dans l'avenir. Si le travail n'est pas fait pour avancer sainement, la personne trompée peut développer comme des antennes de sensibilité où la moindre chose, le moindre geste va déclencher une émotion.

Celle-ci va par exemple interroger son partenaire sans cesse, jusqu'à ce qu'il admette quelque chose qu'il·elle n'a pas forcément ressenti ni fait. Si la personne trompée, la victime, se met dans cette posture à vouloir en parler sans arrêt, à questionner en permanence, à douter en permanence des intentions de l'autre, à reprocher des faits en permanence, va devenir bourreau. Il peut y avoir quelque chose de cet ordre-là, d'où l'importance d'être accompagné tout de suite, afin de ne pas laisser s'enkyster une situation douloureuse pendant des années. Pour comprendre ces mécanismes, y échapper et surtout : retrouver une confiance.

L'infidélité est-elle aussi une occasion de faire l'audit de son couple ?

F. P : Oui, tout à fait. A ce titre d'ailleurs, j'estime que l'on peut discerner deux sortes d'infidélité.

D'abord, celle qui dit qu'on s'est trop occupé·e·s des enfants. Une patiente m'avait un jour confié que les étoiles qu'elle voyait briller dans les yeux de son partenaire au début de leur histoire, elle les voyait toujours, mais seulement quand il regardait son fils. Il est donc important de faire le point, à ce moment-là, si on n'a pas pu le faire avant. Et de se rendre compte que, parfois, quand quelque chose manque dans notre couple, on va le chercher ailleurs. Souvent, j'entends les personnes infidèles dire qu'en trompant, elles sont "vivantes". Comme si une part d'eux·elles était "morte" dans leur relation.

Et puis, il y a l'infidélité qui dit quelque chose de la personne. Crise de la quarantaine, de la cinquantaine, quelqu'un qui veut être réassuré, qui veut savoir s'il·elle peut toujours plaire...

Ce "besoin vital d'exister", qui explique parfois l'infidélité, est-il exacerbé avec les réseaux sociaux ?

F. P : Je ne sais pas s'il y a des études en ce sens, mais ce qui est sûr, c'est qu'on a aujourd'hui tendance à se tromper sur la définition du bonheur. On se dit qu'il faut toujours être heureux·se. Alors que, ce qui va faire qu'un couple sera heureux, c'est la satisfaction de ce qu'ils ont. Ce n'est pas de ressembler à la famille idéale de la pub Ricoré, c'est de savoir si on est OK ou non avec ce qu'on vit. Prenons exemple sur les Danois·e·s. Il s'agirait du peuple le plus heureux au monde, et c'est parce qu'ils sont heureux avec ce qu'ils sont. Le bonheur, c'est d'être satisfait·e.

Autour de l'infidélité, il y a un piège, c'est le piège de la comparaison. Aujourd'hui, on a l'impression qu'il faut qu'on ait tant de relations sexuelles par semaine, qu'il faut qu'on soit comme ci, comme ça. On se donne une certaine image du couple, et quand on n'y correspond pas on ne se sent pas bien, et l'herbe finit par sembler plus verte ailleurs. Donc on y va.

Finalement, il faut se demander ce à quoi on a envie d'être fidèle, et ce qui nous satisferait. Encore une fois, c'est une question de curseur. Mais c'est intéressant et primordial de discuter de ses envies en couple, il ne faut pas en avoir peur.

La thérapie de couple, une solution parfois salutaire. © Adobe Stock
Le Covid a-t-il changé le fonctionnement des couples, en termes d'infidélité et de communication notamment ?

F. P : Oui, je pense. Une étude de l'IFOP a par exemple montré que 30 % des couples se sont sentis mieux. Peut-être ont-ils pu enfin passer du temps ensemble, se retrouver. Un restaurateur me disait que cela faisait 20 ans qu'il n'avait pas diné avec sa femme, ce qu'il a pu faire pendant le confinement.

Après, cela dépend aussi des conditions dans lesquelles on vit. Quand on loge à six dans un 50m2, c'est compliqué, mais quand on habite dans des conditions agréables, cette situation a pu être bénéfique pour de nombreuses relations. En revanche, le fait que la situation perdure me fait appréhender les mois à venir. Il faudrait que cela cesse rapidement.

Vous parlez beaucoup d'empathie. La clé pour délimiter notre propre infidélité - quand on ne parle pas de rapports sexuels - est-elle de se demander si on aurait aimé qu'on nous fasse ce qu'on est en train de faire ?

F. P : Oui, bien sûr. D'être bienveillant·e aussi et de mettre du sens dans nos actes. Il est essentiel de se poser les bonnes questions. Pour la personne qui trompe, comme pour l'autre. Se demander comment on a pu en arriver là.

Votre livre est-il un encouragement à passer au-delà de la stigmatisation de l'infidélité et d'engager un dialogue entre les deux parties ?

F. P : Oui, un encouragement à parler de ce qui est implicite, de mettre des mots sur ce qui s'est passé. L'idée n'est pas de faire de la morale mais de pousser à s'interroger : qu'est-ce qui nous paraît bon, qu'attend-on de notre relation, de notre partenaire ? Que veut-on, finalement ?

En France, on ne parle pas du couple, c'est honteux de s'avouer que quelque chose ne va pas. Et en même temps, la nouvelle génération (que j'appelle la "génération écologique", puisqu'elle souhaite réparer plutôt que jeter), consulte plus systématiquement [les professionnel·le·s]. Et souvent, juste après la naissance d'un enfant. Pour réajuster les choses, mettre des mots sur des souffrances, des sentiments d'être délaissé·e·s. Et le faire tout de suite, sans attendre qu'il soit trop tard.

A-qui recommanderiez-vous sa lecture ?

F. P : Je pense beaucoup aux personnes qui ont envie de s'engager, qui ont envie de se poser les bonnes questions, de poser les bonnes fondations. Avant que les problèmes n'arrivent, que les gens se demandent : ça commence quand, l'infidélité, pour toi ? Est-ce que regarder, c'est tromper ? Est-ce que chater, c'est tromper ? Et que se passe-t-il, si infidélité il y a ?

Dernièrement, j'ai lu que Priscillia Chan, la femme de Mark Zuckerberg, avait demandé un contrat d'amour avant leur mariage, pour instaurer une routine de rendez-vous en tête à tête hors travail et enfants avec son époux. Et je trouve ça chouette. La base line de la psychologie positive c'est "n'attendez pas d'aller mal pour aller bien". Et quel dommage d'attendre d'aller mal pour se poser ces questions-là.

Est-ce que regarder, c'est tromper ?, de Florence Peltier. Ed. Interéditions. 176 p. 15,90 euros

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