Si ces dernières années, internet a permis l'émergence d'icônes du style bien en chair telles que Tess Holliday ou Stéphanie Zwicky, la grossophobie règne toujours dans le milieu de la mode. Il faut voir comment même les mannequins avec un IMC de 17 peuvent encore être considérées comme "trop grosses" par l'industrie, alors ne parlons même pas d'une taille 40, 50 ou 60.
On a beau vouloir crier au scandale quand ce cher Karl Lagerfeld affirme que "personne ne veut voir de femmes rondes dans la mode" de son charismatique accent snob, on ne peut s'empêcher de constater qu'aussi violente soit cette déclaration, elle est bel et bien le reflet de la réalité actuelle à l'horizon de la planète fashion.
Le dernier post de la blogueuse Klaire fait grr pour le magazine Néon, "Ca sape le moral", est l'occasion de revenir sur des chiffres pour le moins déprimants. En croisant les résultats d'une étude de 2006 réalisée par l'Institut Français du textile sur 10.000 personnes et de l'habillement et d'un sondage réalisé en 2013 par Zalando auprès de ses client(e)s, on obtient ceci :
Dès les deux premières lignes de l'infographie, on saisit l'étendue du problème. On apprend qu'en France, la taille la plus vendue de vêtements féminins est le 42. Or, sur la majorité des habits produits se trouve une étiquette estampillée 36. Autre exemple : il y a seulement 0,6% de pièces de taille 46 en rayon, alors que cela concerne 10% de la clientèle tandis que 14% existent en 34, qui ne va pourtant qu'à 0,7% des femmes.
D'ailleurs, il n'est pas rare de se faire rire au nez en magasin, lorsque l'on demande une taille au dessus : "On s'arrête au 40, c'est déjà bien assez". On pourrait croire que ce type de réponses de la part des vendeurs de prêt-à-porter est anecdotique ou relève simplement d'un manque de professionnalisme, mais non. Le luxe n'épargne pas non plus sa riche clientèle, comme nous l'a prouvé le récent Hervé Léger-gate.
Comme souvent face à une injustice, seul(e)s les concerné(e)s s'indignent de la situation. Si ce n'est pas empathie ou par ouverture d'esprit, les marques pourraient quand même s'intéresser au marché de la mode plus size pour en tirer profit... mais elles restent frileuses à cette idée. Seule une micro-communauté de fashionistas tout en rondeur (et leurs quelques enseignes fétiches) anime la contre-culture de la minceur à tout prix sur les réseaux sociaux pour l'instant.
De plus, même les marques qui proposent des tailles "hors normes" ne font pas le travail jusqu'au bout, comme nous l'a prouvé la blogueuse et mannequin américano-colombienne Marie Southard Ospina. Cette dernière a récemment essayé le jean taille 46 de 10 enseignes différentes pour souligner les inégalités de facture entre les marques. Le résultat est édifiant : certains modèles ne se ferment pas, d'autres lui font un affreux "camel toe", et seuls deux semblent lui aller tout en restant confortables, pour une étiquette indiquant le même chiffre.
Si l'attitude de l'industrie textile ne semble pas rationnelle, puisqu'elle passe à côté d'importantes recettes supplémentaires, elle s'explique sans doute par celle du public. Le déferlement de haine, loin de n'être issu que de de trolls, sur les publications de personnalités "curvy" sur Instagram, Facebook, Twitter ou Tumblr est symptomatique avant tout de notre société, grossophobe, dont la mode est à l'image.
Lorsque l'on se demande pourquoi il est impossible d'avoir la paix, avec des canons de beauté variés et tolérants, on en arrive vite à la conclusion que la rondeur est une menace pour la tendance en place. En effet, si on accepte ce qui nous semble aujourd'hui "trop gros", le modèle taille 0 perd de sa valeur. Et toutes celles et ceux qui s'acharnent quotidiennement pour atteindre cet idéal s'en retrouvent donc frustré(e)s... Et si on arrêtait d'être aussi binaires ?