Depuis le 30 octobre, le deuxième confinement de 2020 est enclenché. L'une des différences majeures avec celui de mars dernier, qui a duré huit semaines au total : les écoles restent ouvertes, de la maternelle au lycée, et le masque y est obligatoire dès six ans.
Quand on évoque au Dr Hélène Rossinot la décision de ne pas renvoyer les plus jeunes chez eux alors que l'épidémie de coronavirus ne cesse de se propager, la médecin spécialiste de santé publique répond : "Je crois que c'est l'interrogation de tout le monde. Il y a un point positif, cependant : le masque. Ça fait trois mois qu'on en parle mais mieux vaut tard que jamais.".
Depuis plusieurs mois en effet, et plus pressement ces dernières semaines, l'experte s'exprime dans les médias pour inciter au port du dispositif à partir de six ans, et en faveur d'un protocole scolaire beaucoup plus adapté à la crise. Elle nous explique aujourd'hui quelles mesures devraient être, selon elle, indispensables en classe, pourquoi ce reconfinement n'en est pas vraiment un. Et déplore une absence de conscience générale quant à la gravité de la situation.
Dr Hélène Rossinot : Très honnêtement, non. Le gouvernement confine les cadres en télétravail, les étudiants, les chômeurs, les personnes âgées et une partie des commerçants, mais ça laisse beaucoup de monde dehors. Ce n'est pas suffisant. C'est un mini-confinement. J'ai également l'impression, en lisant de nombreux témoignages, que toutes les entreprises ne jouent pas forcément le jeu, et demandent du présentiel sur des métiers où le télétravail serait possible.
La première fois, tout le monde a joué le jeu car on a compris que c'était l'urgence. Là, on dirait que les gens ne comprennent plus qu'il y a urgence. On a dépassé dix fois le nombre de morts du World Trade Center, et on ne s'en rend pas compte ! Il faut trouver des moyens, non pas pour être alarmistes, mais pour prendre conscience de la situation. On nous accuse de vouloir tuer l'économie, mais ce n'est pas nous qui tuons l'économie : c'est le virus. Et si on ne fait rien, ce sera encore pire.
Après, je pense que le gouvernement avance de manière graduelle par peur que les gens se révoltent. Pour moi, ça ne va pas assez vite ni assez loin, mais je reconnais que la situation est extrêmement difficile à gérer.
Dr H. R. : Au lieu d'ouvrir l'école le lundi 2 novembre avec un protocole bancal fait dans l'urgence qui ne permet pas, en 48 heures, de faire des demi-groupes, de mettre en place l'aération, l'organisation de la cantine... j'aurais fermé deux semaines pour rouvrir dans de bonnes conditions, dans de vraies conditions.
Ce qui me perturbe, c'est l'idée d'ouvrir l'école pour très probablement la refermer dans deux semaines. Alors que dans deux semaines, on sera dans un nouveau pic de l'épidémie, toutes les projections le montrent, même Emmanuel Macron a annoncé ce mercredi (28 octobre, ndlr) qu'à la mi-novembre, 9000 lits de réa seraient occupés sur les 10 000 disponibles.
Pour revenir au protocole scolaire, quand on le regarde de plus près, on repère un bout de phrase récurrent : "dans la mesure des moyens disponibles". "Dans la mesure des moyens disponibles" de l'Éducation nationale, ça veut dire "oui, mais non". Du coup, ils ont axé la communication sur les masques à fond pour cacher le fait que le reste passerait certainement à la trappe.
Dr H. R. : Aux Etats-Unis, c'est à partir de deux ans, en Asie c'est trois ans. Ici, c'est dès le primaire : il y a encore une marge de restriction. La première hypothèse était basée sur le fait que les enfants sont des nids à virus. Il n'y avait pas de raison, à l'époque, de dire que ce Covid allait réagir différemment. Mais en fait si. C'est la science, on fait des hypothèses et on peut se tromper. On prend des décisions en fonction de ce que l'on sait à un instant t, qui sont amenées à changer quand ce que l'on sait évolue aussi.
Les premières études qui sont sorties ont dit que les enfants n'étaient pas contagieux. Mais il y avait deux énormes biais : premièrement, l'une de ces études était réalisée sur un territoire français où le virus circulait très faiblement, voire pas du tout, et deuxièmement, la grande majorité des études internationales sorties en juillet ont été réalisées alors que les écoles étaient fermées. A partir d'août, on a pu parcourir des études qui ont été faites sur des endroits où le virus circulait et où les écoles étaient ouvertes. Et là, on s'est aperçu que les enfants jouaient un rôle dans la propagation du virus.
Ils sont moins contagieux que les adultes et ont des formes peu ou pas symptomatiques. Mais moins, ça ne veut pas dire "pas". Si on parle de dix enfants, "moins", ce n'est pas très grave. Si on parle de tous les enfants d'un pays, "moins", ça signifie beaucoup. Ils ne sont pas protégés non plus : on ne sait pas le nombre exact d'enfants contaminés, et il est très largement sous-estimé. Et pourtant, on ne ferme plus les classes quand un enfant est infecté, et les enfants ne sont plus considérés comme cas contact ni isolés, ce qui est une énorme bêtise.
Dr H. R. : Beaucoup de parents sont très inquiets, mais ça dépend de leur attitude justement. Quand les parents projettent leurs craintes sur leurs enfants, ça ne se passe pas bien. Mais quand les parents sont très calmes et expliquent à leurs enfants de façon posée, avec des mots simples, pourquoi ils doivent mettre un masque, comment ça marche, etc, les petits sont bien meilleurs que les adultes.
Prenons l'exemple du tri des déchets : les enfants sont souvent plus assidus que les plus grands. Ils sont capables de comprendre des choses compliquées, ils sont aussi capables de s'adapter. Faire ses lacets, c'est plus difficile que comprendre comment mettre un masque sur le nez et la bouche.
On ne gère pas une crise correctement en paniquant. Je comprends que ce soit paniquant, il y a un gros besoin d'accompagnement des populations sur le terrain psychologique, l'ambiance est épouvantable, mais il est aussi nécessaire de prendre les choses de manière simple et posée. Et de se rassurer : le masque ne traumatise pas les enfants.
Dr H. R. : Soyons honnête, ce ne sera jamais parfait : mais le but n'est pas d'arriver à la perfection, le but est d'améliorer la situation actuelle. Ce n'est pas blanc ou noir : si c'est gris clair, c'est déjà bien. Bien sûr qu'ils vont tripoter leur masque, on le fait tous. Ce n'est jamais parfait, même pour nous. Mais c'est déjà nettement mieux avec le masque que sans. On est dans une telle situation d'urgence qu'on ne peut plus se demander quelle va être la mesure parfaite.
Dr H. R. : Fermer pour réorganiser, comme je le disais, afin de prendre le temps et d'y mettre les moyens. Ensuite, réquisitionner du personnel, dédoubler les classes, appliquer la distanciation, alterner le présentiel et le distanciel chez les plus grands. Pareil pour la cantine. L'idée qui consistait à manger chacun à son bureau les fenêtres ouvertes n'est pas forcément mauvaise. Ce qui est essentiel surtout, c'est de trouver le moyen d'alterner : ce n'est plus possible d'avoir 500 élèves à la cantine en même temps.
Et puis, aérer trois fois par heure pendant cinq minutes. Oui, il fait froid, oui, il fait moche. Mais regardez en Allemagne, ils adoptent la technique pragmatique de "l'oignon". Les enfants se couvrent de plusieurs couches et toutes les vingts minutes, quand les enseignants aèrent, les élèves remettent tous leurs vêtements. Puis, quand les fenêtres sont de nouveau fermées, ils se déshabillent graduellement avant de se rhabiller vingt minutes plus tard, et ainsi de suite. Et ça se passe très bien.
Dr H. R. : En tout cas, on ne les protège toujours pas. Et j'insiste : même les enfants ne sont pas protégés.
Dr H. R. : Pour moi, on a raté la fin du déconfinement. C'était la fiesta générale. L'été, pareil : à part les personnes vulnérables bien souvent, plus personne ne respectait rien. On n'a pas fait comprendre aux gens que ce n'était pas fini. On leur a fait comprendre "faites un peu attention mais retournez vivre". Du coup, on a beaucoup de mal à les rattraper maintenant.
On ne réalise plus la gravité de la situation actuelle. Ça ne parle pas au grand public, qu'il y ait peu de lits disponibles en réanimation. Je faisais la réflexion à Arnaud Stephan (conseiller RN de Marion Maréchal-Lepen, ndlr) contre qui j'étais invitée à débattre sur le plateau de LCI, avant l'attentat de Nice : heureusement que là-bas, l'hôpital n'avait pas atteint sa capacité maximale en réa, sinon, où aurait-on accueilli les victimes en état grave ? L'hôpital ne sert pas qu'aux patients Covid, mais aussi à tous les autres.
Il faut aussi arrêter avec le discours du "c'est ma liberté", d'un côté, et du "c'est normal qu'il y ait des gens qui meurent", de l'autre. Tout ça pour défendre l'économie. C'est à force de dire ça que l'on va flinguer l'économie. Plus cette crise dure, plus on flingue l'économie. Il est urgent que les gens se rendent compte de la situation dramatique dans laquelle nous sommes. Là, on perd du temps.