La rentrée littéraire regorge de nouveaux romans captivants (il en sera très vite question en ces pages) mais aussi d'essais qui le sont tout autant. Réflexions toujours très incarnées destinées aux cinéphiles, adeptes des cultures qui s'érigent au-delà du mainstream, esprits audacieux, féministes, regards en quête de voies, et de voix, nouvelles, vous êtes les bienvenus : voici trois lectures qui feront votre bonheur !
On ne se remet jamais de son premier Gregg Araki. Les fulgurances pop art de The Doom Generation (et le look de Rose McGowan !), la fin totalement "fucked up" de Nowhere, la sexualité décomplexée de Kaboom, l'immense trauma' que fut Mysterious Skin, bien placé dans le top des films qui brisent le coeur.
Chaque film du cinéaste américain est une claque visuelle, un concentré d'humour désabusé, de contre culture et d'amour au pluriel. Par sa manière de dépeindre les relations, notamment celles d'une jeunesse aux antipodes de ses modèles parentaux, son second degré ravageur et son océan de références hybrides, le cinéma de Gregg Araki annonce avec trente ans d'avance des enjeux de notre société, et des créations actuelles.
Ce brillant essai le rappelle en mettant l'accent sur la force queer du metteur en scène gay. Fabien Demangeot a plongé au coeur d'un art hyper graphique et psyché pour mieux en saisir la chair : la façon dont le réalisateur va épingler body shaming et homophobie d'une Amérique réac, magnifier marginalités, aliens et non binarité. Sans craindre les débordements, les métamorphoses et la fin du monde. Ou plutôt, d'un vieux monde. Enfin !
C'est passionnant.
D'amour au pluriel il en sera encore question dans le nouvel essai d'Aline Laurent-Mayard, plume érudite pour qui s'intéresse aux identités alternatives et à l'asexualité. Et si moins de romance pouvait sauver l'amour, et la société ? Derrière ce sous-titre un brin provoc' se déploie une réflexion très incarnée sur les nouvelles relations sentimentales. Il y est question d'amitiés, de colocs entre meufs ou entre mecs, de nouvelles familles qui se constituent au-delà des normes imposées, des cases trop étroites et des lignes trop rigides.
Si vous vous intéressez à Mona Chollet (Réinventer l'amour) et aux podcasts de Victoire Tuaillon (Le coeur sur la table) vous vous doutez déjà qu'il existe nombre de voies parallèles à la vie de couple. Et que le célibat, ce n'est pas forcément "être seul(e)". Aline Laurent-Mayard le rappelle puissamment et avec force exemples (séries télé, films, études diverses) : nos sentiments sont bien plus complexes que ne le suggèrent les rom coms de nos week end pluvieux, nos foyers et nos rapports également. Et si on bousculait tout ça ?
Pas une "déconstruction" sans lendemain de nos repères, mais plutôt une invitation bienveillante, entre désir individuel et bien être collectif, à étendre nos horizons. On en ressort ravivé.
Dans l'imaginaire sur exploité par des esprits pas forcément fréquentables (mascus, coachs en développement personnel), le bestiaire fait office de métaphore perpétuelle. On prône la force du lion, l'indépendance des loups, ou à l'inverse on pointe du doigt la faiblesse des bêtes prédatées. C'est très souvent risible. Réjouissant dès lors de voir Lauren Bastide, la créatrice de "La poudre", déployer un parfait contre exemple : la beauté de l'escargot. Oui oui.
Dans ce récit pédagogique très "stream of consciousness" (on a l'impression d'assister au flux spontané d'une réflexion) l'autrice s'attarde de très très près sur l'escargot : son mode de vie, sa sexualité, son organisme, ce que sa lenteur tant raillée nous enseigne sur le monde, nos relations et plus globalement, le patriarcat. Ceux qui jugent l'entreprise incongrue ne sont pas au bout de leurs surprises : au contraire, ca coule de source.
Et pas simplement car les grandes fables nous invitent à cultiver notre jardin. Introspection sur le rythme de la modernité, les injonctions, la santé mentale, le capitalisme... Découle de cette créature totem un tourbillon d'idées, épousant la forme des coquilles de nos amis gastéropodes.