Décidément, mieux vaut ne pas s'attaquer aux saucisses et aux steaks de ces messieurs. Sous peine de les voir sortir les crocs. Alors que la campagne présidentielle 2022 avait été émaillée par l'usante rhétorique démago du candidat communiste Fabien Roussel, vantant "l'extase d'un bon vin, d'un bon steak et d'un bon fromage", le sujet (majeur) de la bidoche revient en force cette rentrée.
C'est la députée EELV Sandrine Rousseau, appeau à trolls sexistes, qui a mis le feu aux braises, soulignant la nécessité de "changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité". Une sortie qui a piqué à vif les viandards dans leur chair.
Pourtant, nul besoin de se plonger dans de longues recherches sociologiques pour constater l'évidence : oui, le barbecue est bel et bien une affaire d'hommes, décidés à en découdre avec leurs brochettes et autres côtelettes.
"La fascination pour le grill est profondément ancrée dans l'homme", affirme d'ailleurs la spécialiste en sciences humaines Claudia Schirrmeister. Selon cette professeure, il s'agirait "moins d'assouvir sa faim que de pratiquer un rituel". Un cérémonial de mâles qui ne serait pas sans évoquer l'homme des cavernes affairé à faire rôtir son mammouth. "Celui qui s'occupe du barbecue détient un certain pouvoir", analyse encore Claudia Schirrmeister. "Il peut devenir un véritable symbole de statut social. À l'heure où la cuisine est élevée au rang de culte et où le barbecue devient une philosophie, se positionner comme le meilleur grilleur vaut dans certains groupes sociaux au moins autant que posséder une nouvelle voiture".
Après le sujet brûlant du steak, le barbecue serait donc en passe de devenir la nouvelle marotte des réacs- à en juger par la panique des trolls en sueur moquant Sandrine Rousseau. Car si les débats autour de la viande se révèlent aussi sanglants, c'est parce que la bidoche renferme bel et bien des ferments pseudo-identitaires rances.
"La viande est devenue un totem symbolique dans une France de plus en plus fascisée, qui a peur des autres. C'est le fantasme d'une France qui oublierait ses traditions", souligne la journaliste et autrice du livre Steakisme - En finir avec le mythe de la végé et du viandard Nora Bouazzouni, interrogée par Terrafemina. "L'interdiction de la consommation de viande, c'est une divagation de la droite et de l'extrême droite et souvent masculine. Il y aurait une 'identité française' : le vin, le fromage, la viande. Et tous ceux qui ne seraient pas d'accord seraient des ennemis."
Brandie comme un étrange étendard politique, la barbaque constituerait également un marqueur genré indéniable. Car, comme le rappelle Nora Bouazzouni, "la viande est l'un des aliments les plus chargés symboliquement, éminemment viriliste. Et elle est d'ailleurs souvent mise en avant par les masculinistes, cette frange anti-féministe qui prône un retour aux 'vraies valeurs' et agite cette idée de la pseudo 'crise de la masculinité' défendue par Eric Zemmour depuis le début dans ses livres."
Pour preuve, rappelle l'autrice, le sobriquet moqueur dont les "mascus" auraient affublé les hommes féministes : les "soy boys" ("les garçons soja"). En somme, des sous-hommes émasculés qui se nourriraient de quinoa, de tofu et de valeurs progressives (la femme égale de l'homme ? Dégoûtant). A l'opposé des vrais mecs "couillus" débitant côtes de boeuf et blagounettes misogynes désopilantes. De valeureux Jean Moulin de la merguez résistant face au "wokisme" pour défendre notre bon vieux terroir carniste et sexiste.
S'arc-bouter sur sa grille de barbecue ? Une posture hors-sol et archaïque à l'heure à tous les rapports d'expert·e·s soulignent la nécessité de végétaliser son alimentation, à la fois pour lutter contre la crise climatique (l'élevage industriel est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre), mais aussi pour des raisons de santé. "La rhétorique de la droite parle d'écologie punitive. Elle serait anti-libertaire, on voudrait empêcher les gens de vivre. Alors qu'il s'agit de défendre la planète, mais aussi de vivre plus longtemps et en meilleure santé", rappelle Nora Bouazzouni.
Car là encore, les études le démontrent : les hommes consomment deux fois plus de viande que les femmes. Selon une récente étude, l'alimentation carnée des hommes provoquerait même 40 % d'émissions de gaz à effet de serre de plus que celle des femmes. Or diminuer sa consommation de viande, au-delà des bénéfices environnementaux, réduirait les risques de diabète de type 2, de cancers colorectaux, de maladies cardio-vasculaires, "des maladies qui touchent principalement les hommes", précise l'autrice.
Alors, oui, Sandrine Rousseau a raison : messieurs, il serait temps d'y aller mollo sur les chipos. Ca va bien se passer.