Et si les jeux de tarots se déployaient sur le divan de nos psys ? Grosse tendance outre-Atlantique, la tarot thérapie consiste à intégrer les cartes et leur signification troublante au processus complexe de compréhension, d'interprétation et d'introspection propre à la mécanique thérapeutique. De quoi hérisser les poils de celles et ceux qui bannissent ressentis, astrologie et autres tirages de leur champ de vision.
Et pourtant, les vertus du tarot ne cessent d'être énoncées par les pratiquants, en quête de diagnostics ou d'éléments de réponses à leurs soucis intérieurs, comme par certains psys, pas forcément réticents à l'idée d'employer des mediums peu orthodoxes pour interroger le subconscient de celles et ceux qui leur font face.
Alors, arnaque évidente ou alternative bienvenue ? Plutôt que cette binarité tranchante, le sens profond de la tarot thérapie serait à chercher dans la nuance et l'équilibre. Gros plan sur ces séances tendance.
C'est quoi au juste, la tarot thérapie ? Et bien, le fait de tirer les cartes d'un jeu de tarot pour mieux comprendre notre vie et les troubles qui perturbent son cours pas si paisible. Pas une séance de tarot ordinaire, ni une psychothérapie ordinaire : ce qui compte avant tout dans ce processus singulier, c'est la conversation qui résulte de la symbolique des cartes, et pas nécessairement les seules interprétations d'une voix experte que l'on écouterait. Sans forcément nécessiter de la part du patient ou de la patiente une grande connaissance de ce genre de pratiques.
Travailleuse sociale employant régulièrement le tarot pour mieux comprendre sa santé mentale, l'ancienne étudiante en psychologie Jessica Dore explique les nuances de la chose au magazine Today : "Ce que je fais, ce n'est pas une thérapie, mais il y a des aspects thérapeutiques, si 'thérapeutique' signifie que cela peut conduire à la guérison, à aider les gens à mieux vivre. Mes cartes sont des outils pour enclencher une conversation avec l'autre et ouvrir de nouvelles perspectives, employer les cartes pour poser des questions par exemple".
Pour cette experte trentenaire abondamment suivie sur les réseaux sociaux (plus de 50 000 followers fidèles sur Instagram), le tarot permet de "faire preuve de créativité" sous couvert d'aide apportée à l'autre, "en utilisant quelque chose d'accessible et d'abordable". Ce "quelque chose" tient en une certitude avouée : le tarot, et son imagerie, revendiquent une symbolique si universelle qu'elle est susceptible de mettre en lumière notre situation, nos failles, les obstacles que l'on rencontre sans forcément se l'avouer – ou l'entendre.
Des "aspects thérapeutiques" sur lesquels s'accorde Héloïse, journaliste féministe employant le tarot à titre personnel. Cette dernière nous le souffle : "Le tarot peut être un moyen d'ouvrir une conversation en partant de ce que le·a patient·e éprouve en tirant et analysant une ou plusieurs carte(s). C'est une lecture intuitive qui est faite à travers l'expression d'un ressenti et l'on peut donc penser que d'une certaine manière, cela donne accès à une partie de l'inconscient". Soit précisément la voie que creusent les séances thérapeutiques.
Intuition, inconscient, ressenti... Comme un vaste éventail de significations qui s'offriraient à nous. Et d'une manière très peu conventionnelle. Jessica Dore, par exemple, mène ces conversations via Skype. Des visios qu'elle dit collaboratives au possible. A chaque carte, sa question ("Qu'est-ce que vous ressentez lorsque vous voyez cette image ?", "Ou lorsque vous entendez ce genre d'idées ?") et l'introspection qui s'ensuit.
Pas si abstraite d'ailleurs, à en croire la travailleuse sociale, qui associe le langage du tarot à celui, millénaire, des contes folkloriques et contes de fées. Des explorations de l'inconscient plutôt familières. Plus encore, Jessica Dore compare même la tarot thérapie au fameux test de Rorschach, cet examen où patients et patientes doivent interpréter des taches d'encre. Archétypes et signes des cartes renverraient aux mêmes projections, tout en stimulant par leur dimension mystique - ne serait-ce que par le côté aléatoire de l'entreprise.
Comme les tests, le tarot n'est donc pas une fin en soi. Non, "c'est un outil annexe et complémentaire, intéressant dans une démarche de thérapie, qui n'apporte pas de clés ou de solutions à un problème, encore moins lorsqu'on est en proie à des batailles intérieures qui nécessitent que l'on soit accompagné·e, mais que l'on peut utiliser pour se sonder, faire le point, comprendre ce qui nous travaille", décrypte Héloïse.
Pour notre interlocutrice, le tarot peut ainsi éventuellement mettre en lumière "une émotion/un événement que l'on pensait mineur·e, sans importance, donner des axes à penser pour se recentrer". En somme, dévoiler des éléments trop minimisées de notre parcours intime... comme des cartes que l'on retournerait sur la table.
Quitte à convaincre les esprits les plus réticents à toute cette facette mystique et magique ? Rien n'est dit. Pourtant, cela fait quelques années que de plus en plus de cabinets semblent accueillir la pratique. Comme le souligne Cosmopolitan, des psys ont déjà déployé le tarot à New York et San Francisco, mais également au Canada, en Australie, ou encore en Nouvelle-Zélande.
Comme le signe d'une époque où l'astrologie n'a jamais été aussi hype. Sur un réseau social comme Instagram, le mot-clé #tarottherapy cristallise plus de vingt-mille publications, riches en dessins, lunes et couleurs. Une astrologie à la mode, oui mais surtout renouvelée et revendiquée par des générations éveillées, des militantes féministes, des voix engagées ou encore des sorcières révolutionnaires.
Toutes semblent y trouver des réponses. "Les cartes de tarot sont universellement applicables et peuvent engendrer une visualisation de votre situation personnelle. Une fois que vous voyez les choses présentées ainsi, ce que vous ressentez réellement devient dès lors clair. Elles vous aident à externaliser vos problèmes", s'exerce à expliquer la philosophe et sémiologue Inna Semetsky, professeure à l'Université de Columbia, à Cosmopolitan.
La penseuse rappelle au passage que Carl Jung, l'un des plus grands noms de la psychanalyse, croyait lui aussi fortement aux vertus des cartes, qu'il envisageait comme "les archétypes de l'humanité". Pas étonnant, à bien y réfléchir, que l'on y revienne toujours, même dans une époque ultra-connectée.
Ere ultra-connectée peut-être, mais où l'incertitude est reine. La quête de sens devient alors nécessaire, même à travers le mystique. Quitte à inquiéter les revues scientifiques, qui, comme le blog de Scientific American, se questionnent sur "ces personnes qui, troublées par la réalité, cherchent du réconfort dans des absurdités pseudoscientifiques". Pour les voix expertes évoquées par Scientific American, les représentations du tarot taquinent moins l'inconscient que l'effet placebo : la crédulité importe davantage que l'effet concret.
Entre le champ scientifique et ces thérapies pourtant, un même critère : l'importance que l'on voue à l'expérience, qu'elle soit collective ou individuelle. "Les représentations ont peu d'importance en soi : la pratique du tarot doit avant tout être intuitive, spontanée, liée au ressenti", nous raconte à ce titre Héloïse. Libre, en somme.
Pratique qui, si elle est encore loin de se démocratiser dans les foyers et cabinets, interroge de plus en plus la relation que l'on entretient avec notre santé mentale. Une relation pas toujours placée sous le signe de la raison. Et dont le cheminement, complexe, implique parfois de sillonner des zones encore inexplorées.