Outre-Manche comme en France, la question de la sécurité des femmes dans la rue fait rage. Et si les mesures concrètes émanant des pouvoirs publics se font attendre pour permettre aux résidentes d'y évoluer librement, soit sans crainte de ne jamais arriver au bout de leur trajet, les associations militantes, elles, s'organisent.
L'une des dernières initiatives en date : la mise au point de Strut Safe, un numéro d'appel accessible à celles qui voudraient être accompagnées par téléphone lorsqu'elles rentrent chez elles seules le soir. Et depuis son lancement en avril 2021, peu après une veillée pour Sarah Everard, assassinée alors qu'elle regagnait son domicile après une soirée chez une amie, ce service témoigne d'un succès révélateur et effrayant.
"Nous étions dévastées et en colère", raconte Alice Jackson à la BBC, l'une des créatrices, avec son amie Rachel Chung, de la ligne d'assistance. "Alors nous avons acheté un téléphone jetable bon marché, demandé à des gens de se porter volontaires pour y répondre, et affiché le numéro dans des groupes communautaires."
"Quand vous décrochez le téléphone, vous pouvez toujours dire si la personne a peur", ajoute-t-elle après quasi un an d'existence. "C'est la façon dont leur voix tremble ou s'accroche." Elle se souvient d'un appel en particulier. Au bout du fil, une appelante paniquée sur le chemin du retour.
"Elle était tellement sûre que quelque chose allait se passer, elle se préparait, elle courait. Elle a dit : 'Je crois que quelqu'un me suit'." La jeune femme a donné à Alice Jackson son nom, son âge, son anniversaire, son adresse, ainsi qu'une description complète de son apparence et de chaque vêtement qu'elle portait. "C'est ce dont vous allez avoir besoin", a-t-elle ajouté, persuadée qu'elle ne survivrait pas à la nuit.
Et ce sentiment n'a rien d'isolé. Tous les week-ends, de 19 heures à 3 heures du matin les vendredis et samedis, et jusqu'à 1 heure le dimanche, les deux amies et leur équipe le perçoivent au bout du fil.
Le contexte dans lequel les appelantes se trouvent est similaire. "Elles ont peut-être laissé leurs amis au club, leur petit ami ne décroche pas ou il est trop tard pour appeler leur mère", poursuit l'interlocutrice. "Alors elles peuvent rester au téléphone avec un de nos bénévoles pendant qu'elles rentrent chez elles".
Ces bénévoles justement, sont soigneusement recruté·es, formé·es et leur passé est vérifié. Leur boulot : discuter et rassurer, parfois avec des jeunes femmes très inquiètes voire en détresse. "Elles sont en larmes, vraiment bouleversées, et vous les aidez à s'en sortir". En leur disant notamment : "Je suis là avec toi" et en se tenant prêt·e à alerter la police ou à appeler une ambulance si nécessaire, précise Alice Jackson. "Mais nous demandons toujours : 'Êtes-vous d'accord pour que nous utilisions ces informations pour vous aider si quelque chose ne va pas ?'"
Si le volume d'appels reçus varie, la plateforme a recensé eu un pic notable après le meurtre de Sabina Nessa, et un autre qui se profile tragiquement après celui d'Ashling Murphy.
"Les gens qui nient l'existence de ce problème, disent que les femmes inventent ça pour attirer l'attention, que ces choses n'arrivent pas vraiment, ou que les rues ne sont pas comme ça. En écoutant ces appels, on ne peut pas le nier", martèle la jeune femme.
Aujourd'hui, Strut Safe fonctionne grâce à des dons, avec peu de moyens. Et les répercussions mentales sur les opératrices sont, elles aussi, bien réelles. "Parfois, on sort d'un appel de 20 minutes qui a été très intense sur le plan émotionnel, très sérieux. L'appelante peut avoir couru à la fin, pleuré. Et puis vous raccrochez, vous êtes assise sur votre canapé, la télé en pause, et il y a le silence".
Un silence d'autant plus pesant qu'il évoque celui imposé, bien souvent, aux victimes au sein de la société.