C'est une image qui hante la vie des femmes. Une phrase, d'abord, autoritaire : "si tu continues comme ça, tu finiras seule avec tous tes chats !". Puis des images. Celles de figures féminines désemparées aux apparts inondés de matous, des célibataires des comédies romantiques à la Selina Kyle de Batman le défi, en passant par les mille mamies radoteuses et solitaires qui font des félins leur obsession. Un cliché qui vrille au comique avec la "Crazy Cat Lady" (de son vrai nom Eleanor Abernathy), personnage running-gag aussi triste que désopilant des Simpson - vous savez, cette vieille dame qui balance des chats en hurlant. Oui, la "folle à chats" n'a jamais cessé d'exister.
Et pourtant, rien de concret n'associe la folie à l'amour des chats. C'est une étude scientifique qui nous le démontre. Selon les observations de la revue britannique Royal Society Open Science, malicieusement repérées par Slate et basées sur le sondage d'une cinquantaine de propriétaires, "les propriétaires de félins ne souffrent pas plus que les autres de symptômes auto-déclarés de dépression et d'anxiété". Aucune conclusion négative non plus concernant la façon dont leurs animaux de compagnie influent sur leurs relations sociales et sentimentales. En bref, le stéréotype de "la dame aux chats", comme l'énonce l'étude, n'est en rien fondé. Voilà qui est dit.
Mieux encore, nous révèle le texte, les propriétaires en question feraient davantage preuve d'empathie, pour la simple raison qu'elles ont l'habitude de prêter l'oreille au comportement et à la santé de leurs animaux. On est donc loin de l'imaginaire populaire qui tend à rapprocher cet amour des chats de la psychose pure et dure. Rien n'indique dans les résultats de cette enquête une propension à la dépression ou à la folie. Ouf ! Mais une fois passé le cadre scientifique, reste encore à se demander pourquoi la "folle à chats" perdure envers et contre tout. Il est à ce titre amusant de constater que l'expression "folle à chats" devient vite "femmes à chats", ce qui en dit long sur ce qu'inspire ce fantasme : la folie serait forcément féminine...
Car une "femme à chats" est dans l'inconscient collectif celle qui préfère la compagnie des félins à celle des hommes : elle est donc forcément "folle". Pire, c'est une "vieille" folle, clin d'oeil au statut désuet de "vieille fille" : la jeune femme sans enfants, condamnée d'une année à l'autre au célibat. Une situation plutôt "cool" et normalisée quand il s'agit des hommes, mais étonnamment ridiculisée voire diabolisée dès qu'il est question de la gent féminine. On s'amuse de la "folle à chats" comme si elle incarnait un cauchemar de la féminité, pour ainsi dire une antithèse : une femme seule, recluse, sans relation sentimentale. Et surtout : sans enfants. Inacceptable ! Tout aussi marginalisée qu'une sorcière. L'idée de "folie" renvoie les femmes (à chats ou non) à leur présumée "hystérie", ce terme qu'on leur décoche comme une gifle quand elles parlent trop haut.
Ce folklore poussiéreux, le magazine d'art My Modern Met s'en amuse aujourd'hui en mettant à l'honneur le travail de la photographe américaine BriAnne Wills. Avec son projet "Girls and Their Cats", l'artiste met en scène plus de trois cent femmes en compagnie de leurs chats. Des rencontres étalées sur quatre ans au fil des Etats. Des chats sauvés, adoptés, nourris, se réjouit le magazine. Et dont la présence a été hautement bénéfique pour leurs propriétaires. Il suffit de voir les rayonnants sourires de ces femmes solaires trimbalant à bout de bras leurs énormes matous. Ont-elles l'air cinglé ? Pas vraiment. Épanouies, ça oui. Ce sont juste "des femmes uniques, cool et intéressantes qui aiment leurs chats", explique BriAnne Wills.
"Je m'identifie comme vieille folle à chats qui n'a pas encore de chat", poétise avec justesse l'autrice et dessinatrice féministe Pénélope Bagieu. Finalement, n'importe quelle femme un peu trop libre est une "crazy cat lady". Mais quand bien même la "folle à chats" serait une vérité scientifique, difficile de juger celle qui préfère la compagnie des matous à celle des machos...