Le Great British Beer Festival est un rassemblement annuel qui présente plus de mille bières et leurs commerçants lors d'une semaine d'exposition, à Londres. L'occasion pour les visiteur·ses de découvrir de nouvelles saveurs, et pour les fabricant·es de dévoiler leurs recettes tant convoitées. De quoi aussi plonger au coeur de la culture anglosaxonne, reine incontestée de la boisson, le temps d'un après-midi ou de quelques jours si on se sent l'envie (et le foie) de goûter à la tradition. Cette année cependant, l'événement a pris une décision inédite : interdire les bières aux noms sexistes d'y participer.
Derrière ce ban nécessaire, la CAMRA, (Campaign for Real Ale, "Campagne pour une véritable bière" en français), qui désire sortir de ces carcans discriminatoires, et attirer davantage les femmes. D'après une étude menée par l'institut de sondage Yougov, 68 % d'entre elles seraient ainsi récalcitrantes à l'idée de commander un breuvage du nom de Leg-Spreader ("Ecarteur de jambes"), Dizzy Blonde ("Blonde écervelée") ou dont l'image utilisée représenterait une sexualisation du corps de la femme. Un manque à gagner énorme.
"Les organisations de consommateurs comme Camra ont un rôle important à jouer pour que les femmes se sentent mieux accueillies dans le monde de la bière", affirme Abigail Newton, vice-présidente de l'antenne nationale de Camra, au Guardian. "C'est la première fois que nous faisons une déclaration aussi audacieuse avec une interdiction. Il est difficile de comprendre pourquoi certains brasseurs choisissent activement de s'aliéner la grande majorité de leurs clients potentiels avec du matériel susceptible de ne plaire qu'à un pourcentage infime et décroissant", poursuit-elle.
"Nous devons faire davantage pour encourager les buveuses de bière, qui ne représentent actuellement que 17% de la population, bien qu'elles représentent plus de 50% du marché potentiel. La bière n'est pas une boisson pour hommes ou pour femmes, c'est une boisson pour tous. Il y a énormément de travail à faire pour surmonter les stéréotypes dépassés." Une prise de conscience encouragée par une envie de faire plus de chiffre, certes, mais qui lance tout de même un pavé essentiel dans la mare des consommateurs et producteurs graveleux.
Pour Sophie Aterton, sommelière spécialisée dans la bière, il s'agit d'un pas important, qu'elle salue, même si elle anticipe le potentiel backlash : "C'est formidable que la Camra se soit prononcée publiquement en faveur des femmes et contre le sexisme de cette façon, mais c'est triste qu'il faille encore le faire", déclare-t-elle au journal britannique. "Je suis sûre qu'il y aura le retour de bâton habituel - comme quoi les femmes n'ont aucun sens de l'humour et que c'est seulement 'fun' - mais c'est de la foutaise. C'est de la misogynie et cela devient encore plus dangereux dans un environnement où les hommes sont susceptibles de boire beaucoup. Les femmes ont autant le droit de boire une bière en paix que les hommes." A bon entendeur.