C'est un aveu qui sonne comme un mea culpa. Dans un long message posté le 6 mai dernier pour célébrer la fête des mères, Sheryl Sandberg a admis ne pouvoir parler au nom de toutes les working mums et femmes actives de la planète.
Business woman au CV impressionnant – elle est numéro 2 de Facebook après un passage chez Google -, régulièrement classée parmi les femmes les plus puissantes au monde, Sheryl Sandberg s'était fait connaître du public en 2013 en publiant Lean In (paru en France sous le titre En avant toutes aux Éd. JC Lattès), dans lequel elle invitait les femmes à "se bouger" pour conjuguer vie professionnelle et vie familiale.
"Les femmes mettent elles-mêmes un frein à leur carrière pour préserver leur vie de famille, même lorsqu'elles n'ont pas encore d'enfant. [...] Mais je crois que le monde serait meilleur si la moitié de nos entreprises et des pays étaient dirigées par des femmes et la moitié de nos foyers par des hommes", écrivait-elle alors. Un message volontaire mais controversé. Accusée par ses détracteurs de prôner non pas des solutions sociétales et globales (comme par exemple la généralisation du congé maternité) pour lutter contre le sexisme du monde professionnel, mais des actions individuelles qui culpabilisent les femmes. Dans une tribune parue dans The New York Times , l'universitaire Anne-Marie Slaughter reprochait notamment à Sheryl Sandberg de jouer le jeu des entreprises et des hommes en délivrant le message qu'ils veulent entendre. "Il est moins coûteux et plus confortable pour eux de croire que ce qu'ils doivent faire est simplement d'inciter les femmes à être comme eux, de penser différemment et de négocier de manière plus efficace plutôt que d'instaurer des grands changements dans la manière dont les entreprises fonctionnent."
La position privilégiée de Sheryl Sandberg, a aussi été pointée du doigt. Directrice des opérations chez Facebook et milliardaire, comment pourrait-elle parler au nom de toutes les femmes alors même que ces dernières continuent d'être rémunérées en moyenne 21% de moins que les hommes aux États-Unis ?
Sheryl Sandberg a semble-t-il entendu les critiques suscitées par Lean In. Un drame personnel a aussi changé la donne. En mai 2015, son mari depuis onze ans David Goldberg est décédé subitement des suites d'un traumatisme crânien après avoir fait une chute dans une salle de sport de l'hôtel mexicain où le couple résidait pour ses vacances.
Dans son message publié sur Facebook, Sheryl Sandberg l'admet : la mort de son époux l'a obligée à remettre en question les propos qu'elle tenait sur les femmes et les mères actives dans Lean In. "Pour moi, c'est encore un monde nouveau et inconnu. Avant, je n'avais pas bien compris. Je n'avais pas vu à quel point c'est difficile de réussir au travail quand tu es débordée à la maison. Je ne comprenais pas combien de fois j'aurais à regarder les visages de mon fils ou de ma fille en pleurs et de ne pas savoir quoi faire pour arrêter ces larmes. Combien de fois j'aurais dû parler avec Dave de ce qu'il faut faire dans ces situations et que je ne sais pas gérer seule. Que ferait Dave s'il était encore là ?"
Sheryl Sandberg poursuit en expliquant savoir à quelle point elle est privilégiée de ne pas connaître les difficultés financières auxquelles doivent faire face de nombreuses veuves et mères célibataires, premières victimes de la précarité. "La pauvreté est l'un des effets secondaires dévastateurs et cachés pour ces femmes. Lorsqu'elle arrive à l'âge de 65 ans, une veuve sur cinq vit dans la pauvreté. Les couples de même sexe sont particulièrement vulnérables à la disparition d'un des partenaires car ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les couples mariés hétérosexuels."
Consciente des limites du modèle féministe et individualiste qu'elle prônait dans Lean In, Sheryl Sandberg nuance cette fois-ci son propos. "Dans Lean In, je soulignais à quel point le soutien attentionné et aimant d'un partenaire peut aider les femmes à la fois professionnellement et personnellement, comme Dave a été important pour le développement de ma carrière et de nos enfants. Je le crois toujours. Certaines personnes ont estimé que je n'avais pas assez écrit sur les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes qui n'ont pas un partenaire solidaire, ou qui n'ont pas de partenaire du tout. Elles avaient raison", écrit-elle.
Mais Sheryl Sandberg n'est pas la seule à ne pas prendre en considération ces parents célibataires. Rappelant que 30% des familles américaines sont monoparentales, elle souligne que dans 84% des cas, ce sont les mères qui ont à assumer seules les responsabilités familiales. D'où la nécessité de mettre en place une des politiques sociales pour les aider à mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. À commencer par un vrai congé maternité rémunéré pour toutes les femmes attendant un enfant. "Les États-Unis sont le seul pays à l'économie développée à ne pas prévoir de congé maternité payé. Près d'un tiers des mères qui travaillent n'a accès à aucun type de congé payé pour s'occuper d'elles-mêmes ou de leur famille si un de ses membres est malade. Au lieu de leur apporter de l'aide, nous avons trop souvent laissé les familles en difficulté se débrouiller toutes seules. Les chances sont contre les mères célibataires de ce pays."
Et de conclure : "Être mère est le plus important et le plus humble des métiers que j'ai jamais eus. Comme célébrons la maternité, à juste titre, nous devrions remercier tout particulièrement les femmes qui élèvent des enfants par elles-mêmes. Et nous devrions nous promettre de faire plus pour les soutenir tous les jours."