"En à peu près huit ans, je suis passée de l'état de gratuivore anarchiste et fauchée, fermement décidée à en finir avec le système, à celui de femme d'affaires aussi à l'aise dans une salle de conférence que dans une cabine d'essayage. Je n'ai jamais cherché à être un modèle, mais je voudrais partager un peu de mon histoire et des leçons que j'ai apprises". Ainsi commence #Girlboss, savoureux livre mélangeant les mémoires et les conseils de Sophia Amoruso, fondatrice, PDG et créatrice artistique du site de vente en ligne de prêt-à-porter Nasty Gal .
Quasiment inconnue en France, cette trentenaire dingue de mode et de heavy metal est pourtant aussi puissante qu'une Marissa Mayer (patronne de Yahoo) ou qu'une Sheryl Sandberg (directrice des opérations de Facebook). Fondé en 2006, Nasty Gal a grandi à une croissance prodigieuse, allant jusqu'à générer 100 millions de dollars (environ 74 millions d'euros) en 2013. Tout ça sans que sa fondatrice ne s'endette, "ce qui est plutôt un exploit dans le monde des affaires" comme elle le souligne dans #Girlboss.
Dans les médias, Sophia Amoruso est souvent décrite comme une Cendrillon de la technologie, une sorte de figure 2.0 du rêve américain. Bref, comme une héroïne de conte de fées qui doit traverser un parcours initiatique avant de révéler sa force de caractère et son moi profond. Un peu gros non ? Sauf que la fondatrice de Nasty Gal a véritablement connu les années de galère et de remise en question avant de devenir la femme d'affaires qu'elle est aujourd'hui. À l'inverse des autres grands pontes d'Internet, elle n'a jamais fréquenté de grandes universités. Elle n'est pas le rejeton trop gâté d'une riche famille new yorkaise. En fait, elle ne s'est jamais sentie à sa place à l'école, n'a aucun diplôme et vient de la middle class californienne.
À 17 ans, profitant du divorce de ses parents, elle quitte le domicile familial et longue la côte Ouest. Elle vit en colocation, vend des chaussures de luxe, devient serveuse, bosse dans une librairie. Bref, elle vivote, ne garde aucun job plus de quelques semaines et rejette complètement la société et le capitalisme. Se décrivant tour à tour comme anarchiste et gratuivore, Sophia Amoruso atterrit à San Francisco où elle développe sa passion pour les fringues vintage – particulièrement la période seventies. C'est finalement parce qu'elle souffre d'une hernie que naît Nasty Gal. Alors au chômage, elle comprend qu'il va lui falloir un vrai boulot si elle veut une assurance maladie pour se soigner. Elle trouve la Saint Graal : contrôleuse d'identité à l'entrée d'une école d'art. "Ce n'était pas franchement passionnant, mais ça me laissait beaucoup de temps pour surfer sur Internet. C'étaient les jours de gloire de MySpace. Au bout d'un moment, je me suis rendu compte que je recevais pas mal d'invitations pour être amie avec des vendeurs eBay désireux de promouvoir leurs boutiques auprès de jeunes filles comme moi", raconte-t-elle dans son livre. Sauf que la jeune fille ne veut pas être cliente. Elle veut devenir vendeuse elle aussi.
Les années qui suivent relèvent certainement du conte de fées moderne : Sophia Amoruso ouvre sa boutique sur eBay qu'elle prénomme tout de suite Nasty Gal (Mauvaise fille) et cartonne. Elle a l'oeil pour les fripes, déniche une veste Chanel à 8 dollars, la revend 1 000 dollars. Elle se crée une communauté d'acheteuses fidèles. Installée dans un pool house au fond d'un jardin, elle ne fait plus que ça : chiner partout tout le temps et revendre. Nous sommes alors en 2006. Deux ans plus tard, la jalousie des autres vendeurs eBay la pousse à lancer son propre site. Nasty Gal est né une seconde fois et croît rapidement. De mois en mois, l'entreprise doit déménager dans des locaux plus grands pour accueillir les nouveaux employés et les tonnes de marchandises qui arrivent.
Alors que le site est lancé depuis près de trois ans, Sophia Amoruso se souvient : "Les ventes se faisaient plus vite que l'approvisionnement. L'entreprise a enregistré une croissance de 700% par rapport à l'année précédente, chose extrêmement rare dans le commerce de détail". D'abord entièrement dédié aux pièces vintage, Nasty Gal ajoute ensuite à son catalogue des tenues modernes de petits créateurs pour mettre finalement en place sa propre marque. Un mélange des genres mais qui garde la patte de Sophia : un esprit bohème et rock, des fringues qu'on ne trouve ni sur Topshop ni sur Asos, et surtout des prix accessibles. Toujours à l'écoute de sa communauté, elle estime : "J'ai toujours été convaincue qu'il n'y avait pas besoin de dépenser des fortunes pour bien s'habiller. (...) La cliente de Nasty Gal travaille dur, elle est naturellement soucieuse de dépenser son argent avec prudence".
Malgré son inventivité et son envie de pousser son entreprise toujours plus haut, Sophia Amoruso a connu ses premiers déboires en 2014. La croissance du chiffres d'affaires qui semblait donner des ailes à Nasty Gal a fortement ralentie et 10% des employés ont été remerciés (passant ainsi de 350 à 255). Mais face à la concurrence, l'ancienne anarchiste garde la tête froide. Elle a même un train d'avance sur d'autres grands noms du e-commerce puisque cette année a marqué l'ouverture de deux boutiques physiques Nasty Gal à Los Angeles. Des boutiques en forme de pari sur l'avenir comme l'explique le site Re/Code : "À ce stade, ce sont des laboratoires mais leur expansion est cruciale car elle fait partie de la stratégie de la société pour relancer sa croissance".
Marchera, marchera pas ? Sophia Amoruso reste sereine : "Quand je pense à l'avenir, je sais qu'il peut arriver des choses qui semblent aujourd'hui inimaginables. Les grands entrepreneurs sont comme Indiana Jones : ils font le premier pas avant même de voir le pont, sachant qu'autrement quelqu'un leur ravira le Graal". Une réflexion de vraie #Girlboss.
#Girlboss, Éd. Globe, 208 pages, 18 euros