Si en France, on parle plus volontiers d'ubérisation, aux Etats-Unis où "l'économie des petits boulots" a été rêvée et mise en place, le terme idoine est gig économy en référence aux groupes de musique payés après chaque concert. Une économie où le travail est payé à la tâche et où la flexibilité est érigée en modèle. Une nouvelle manière de travailler qui est censée – au moins théoriquement – ne garantir aucune discrimination et profiter aux femmes très majoritairement employées à temps partiel. Selon le Centre d'observation de la société, "30 % des femmes qui travaillent en temps partiel ont fait ce choix faute d'avoir trouvé un emploi à temps plein".
Dans le cas d'Uber, société tentaculaire qui a développé une application de mise en contact entre clients et Voiture de transport avec chauffeur (VTC), les chiffres racontent toutefois l'inverse.
Dans cette étude qui s'appuie sur deux années de données Uber dans 196 villes et près de 1,9 million de conducteurs, seuls 27 % des chauffeurs sont des femmes. Un franc déséquilibre que l'on retrouve également côté revenus puisque les femmes gagnent 1,24 dollar par heure de moins que les hommes, et 129 dollars de moins par semaine. Ce n'est pourtant pas Uber qui est en faute ici. Selon l'étude, l'inégalité salariale serait due à trois facteurs pourtant liés à la manière dont les conducteurs se servent de l'app. Les chauffeurs ont plus tendance à conduire dans des zones plus lucratives, à accepter des trajets plus longs, à conduire à des heures plus tardives ou encore à conduire plus vite.
Selon la chercheuse Rebecca Diamond (Stanford Graduate School of Business) interviewée par Freakonomics : "Uber paie les conducteurs sur la base d'une formule relativement simple et transparente qui tient compte de la durée de votre trajet en miles (ou kilomètres), de la durée du trajet et, potentiellement, d'un multiplicateur de surcharge où il y a parfois une demande excessivement élevée." Un algorithme subtil qu'il faut maîtriser pour augmenter le nombre de courses, son prix et sa fréquence. Trois scientifiques de la Northeastern University, Le Chen, Alan Mislove and Christo Wilson, interrogés par le ProPublica, ont analysé le fameux "multiplicateur" de l'algorithme et constaté que le système de prix d'Uber divise les villes en "zones de surcharge" et calcule les tarifs pour chacune d'entre elles. Une gymnastique que seuls les conducteurs experts peuvent décrypter. Or d'après l'étude, les femmes conductrices resteraient moins longtemps sur la plate-forme que les hommes et de fait, n'auraient pas le temps d'assimiler toutes ces subtilités de l'appli qui leur permettraient de gagner plus.
Cliché ou non, toujours selon l'étude commandée par Uber, les conductrices rouleraient 2 % moins vite que les hommes et accompliraient de fait moins de courses par jour, les femmes facturant 21,83 courses par jour contre 31,52 pour les hommes. "Il se trouve que les hommes conduisent un peu plus vite, et parce que conduire un peu plus vite vous permet de terminer vos voyages beaucoup plus vite, et de passer au prochain voyage, vous pouvez faire plus de voyages en une heure, et obtenir un salaire plus élevé" explique Rebecca Diamond.
Pour la chercheuse et co-auteure de l'étude, l'écart de salaire soulignerait des différentes sociologiques inhérentes au genre. Les femmes choisiraient de moins travailler parce qu'elle privilégiaient leur vie perso.
"Les femmes préfèrent travailler moins d'heures par semaine que les hommes sur Uber et dans l'économie générale. C'est un choix qu'ils font en fonction des autres aspects de leur vie, dont ils tiennent compte lorsqu'ils décident de la quantité de travail. Les femmes choisissent de conduire plus lentement (...). Ce ne sont pas des aspects du marché du travail, ce sont juste des différences entre hommes et femmes. Des différences qui ont conduisent dans le cadre du travail à des écarts de rémunération. "
Difficile de croire cependant à une question uniquement de genre, les femmes et les hommes n'étant pas valorisés de la même manière sur le marché du travail. Les femmes, par exemple, ne sont d'ailleurs toujours pas l'égale des hommes lorsqu'il s'agit des tâches du quotidien. Pour l'un des auteurs de l'étude Uber, John List : "(...) les hommes travaillent en moyenne plus d'heures et font plus de voyages que les femme. Mais pourquoi ? Cela s'explique en partie par le fait que les femmes ont plus de contraintes : elles amènent l'enfant à l'école le matin, déposent l'autre au match de foot. Et je pense que ces contraintes amènent les femmes à acquérir moins d'expérience et moins d'apprentissage par la pratique. Pour moi, c'est un mélange de préférences et de contraintes. Maintenant, en tant que décideurs, ce que nous voulons faire, c'est nous assurer que nous pouvons alléger ces contraintes autant que possible."
Tant que la société n'évoluera pas sur ces questions typiquement genrées, l'écart salarial perdurera. A moins que les patrons d'Uber décide d'appliquer une discrimination positive et d'équilibrer les salaires. Il vaut mieux ne pas compter dessus.