C'était la semaine mercredi 12 décembre dans le métro. Safiétou, 20 ans, postait sur les réseaux sociaux la vidéo d'un homme se masturbant devant elle dans les transports en commun.
En prenant le risque de filmer et en publiant la vidéo, elle voulait dénoncer une situation insupportable : "C'était un ras le bol. Ça m'était déjà arrivé plein de fois, j'ai des amis à qui c'était arrivé aussi donc là, je me suis dit : 'C'est trop, et je vais prendre la vidéo'. Je veux montrer aux gens que ça existe vraiment et que ça n'est pas des mythes."
Les réseaux sociaux sont pour Safiétou un outil idéal pour sensibiliser : "Je suis consciente que les réseaux sociaux, c'est une chance ! On a cette opportunité de pouvoir dénoncer les choses facilement avec des images, pas seulement avec des mots." Elle ne pensait cependant pas que sa vidéo serait autant partagée et vue (1,34 million de vues à ce jour sur Twitter).
Dans un message posté sur Twitter, Safiétou a encouragé les victimes à raconter leurs propres expériences : "Moi, je crois ces filles. Parce que les gens ne sont parfois pas satisfaits avec des mots, ils pensent qu'on exagère. Moi je sais ce que les filles vivent. Je les crois juste, je crois leurs mots. Je veux montrer à ces filles : 'Vous n'êtes pas seules, vous pouvez raconter votre histoire et on va vous croire. Vous n'avez pas besoin d'une vidéo pour que tout le monde croit que c'est vrai. Souvent on dit 'T'exagère', ou 'C'est pas grave' ou on rigole."
Elle dit également vouloir "mettre des images sur ces mots" et se réjouit de l'écho qu'a reçu sa vidéo-choc : "Ce que j'ai fait, j'en suis super fière parce qu'il y a eu plein de répercussions".
Si on accuse souvent ces filles qui témoignent de mentir, Safiétou rappelle que "souvent, beaucoup sont dans la retenue parce qu'elles ont peur qu'on les croit pas. Parce que personne n'a rien à gagner à dire 'je me suis faite harcelée dans les transports en commun'".
Après son appel sur Twitter, la jeune femme a reçu des centaines de témoignages de filles ayant subi la même chose. Par des mots, des vidéos ou des photos, elles racontent ce qu'elles ont vécu.
Ce sont d'ailleurs des témoignages de femmes ayant été harcelées par le même homme qu'elle qui l'ont poussée à aller porter plainte : "Ce qui m'a touché, c'est que j'ai reçu le témoignage de plusieurs filles qui m'ont dit être tombé sur le même type."
Safiétou a porté plainte pour exhibition sexuelle dimanche 16 décembre dans un commissariat de Neuilly, près de son lieu de travail. Trop tard pour que la RATP puisse donner les images de ses caméras de vidéosurveillance qui ne sont conservées que 72h et qui ne peuvent être réquisitionnées qu'après une plainte faite à la police.
"Au début, je me disais que comme j'avais sa tête et que la RATP allait faire quelque chose, porter plainte ça n'était pas trop la peine. Après, j'ai compris que la RATP n'allait rien faire tant que je ne portais pas plainte", explique-t-elle.
Elle travaille également comme serveuse et a eu peu de temps pour se rendre au commissariat : "Ce qui me sauve un peu, c'est que j'ai la vidéo." Safiétou a donné des captures d'écran de l'homme qui l'a harcelée qui ont été intégrées en pièces jointes à sa plainte.
La police l'a orientée pour pouvoir consulter un·e psychologue à cause du harcèlement qu'elle subit en ligne depuis sa vidéo : "J'ai des commentaires désobligeants du style : 'Je comprends pas comment il peut vous agresser parce que vous êtes moche', 'Il faut vraiment être en chien pour se masturber devant ça'. Ou alors, ils parlent de moi comme d'un objet."
Les commentaires racistes qui se déchaînent sous la vidéo postée par BFM ont également marqué Safiétou : "C'est rempli de commentaires de fachos qui rapportaient tout au physique. Mais ça va, j'ai la tête dure. Je ne suis pas traumatisée."
Même si elle s'en est pris "plein la gueule", la jeune femme garde la tête froide : "Les gens attaquent sur le physique quand ils ne savent pas quoi dire, donc il faut avoir la tête dure pour pouvoir supporter ça. Les gens sont plus choqués parce qu'on a dit 'merci c'est gentil' que par le fait que la personne se masturbe devant toi."
Pour l'instant, elle ne juge pas utile de porter plainte pour harcèlement en ligne : "Cela ne va mener nulle part, parce que cette histoire maintenant, elle est partout" et donc cela multiplie pour elle le nombre de personnes faisant des commentaires maveillants.
Safiétou, qui s'intéresse à l'afro-féminisme, s'informe beaucoup sur le sujet sur les réseaux sociaux, notamment Twitter. Elle s'adresse aux filles qui prennent les transports en commun : "Si un monsieur se colle à vous, ou si sa jambe se colle à la tienne et que vous avez pas envie, il faut dire : 'Monsieur pouvez-vous bouger ?'. Parce que même ça, c'est pas normal, il n'y a pas de consentement, il n'y a rien. On n'a pas même pas le droit de nous toucher la cuisse sans notre consentement."
Elle veut envoyer un message à la RATP : "Je veux préciser une chose : cet homme a l'habitude de faire ça, et il faut que la RATP comprenne ça et le prenne en compte. Ce monsieur a fait ça à plusieurs filles. C'est le genre d'homme qui va se retrouver seul dans une rame avec une fille seule un jour et il est capable de passer à l'acte. Et donc c'est grave, ça peut détruire une fille. Il doit être arrêté. Parce qu'il y en a plein des comme ça. Certains se réveillent le matin et ils se disent : 'Je vais aller frotter des filles dans le métro'."
Il y a quelque temps, elle aurait aimé que les passagers réagissent : "Je me serais dit : 'Oh les gens, on réagit ! C'est pas cool !'. Maintenant je n'attends rien. Le jour où ça s'est passé, je ne calculais même pas les gens autour de moi parce que je savais que personne n'allait lever le petit doigt."
Elle encourage les autres filles à filmer les événements dont elles sont les victimes : "Je leur conseille juste, si elles ont la force de filmer ou de prendre une photo de leur agresseur pour dénoncer. Ca sera plus facile de porter plainte. Alors filmer et aller porter plainte, c'est la meilleure chose à faire. Elles peuvent toujours demander de l'aide. Quand on a peur, il faut toujours demander de l'aide."
Si vous êtes victime dans les transport, le numéro d'urgence de la RATP est le 3117. Vous pouvez également envoyer un SMS au 31177, ou utiliser l'application 3117.