Vous n'avez peut-être jamais entendu parler de "suicide forcé". Et pourtant, alors que l'on dénombre plus de 110 féminicides dans l'Hexagone depuis le début de l'année, les cas de suicides forcés s'accumulent en parallèle. L'an dernier, pas moins de 217 femmes se sont ainsi données la mort, suite aux violences physiques et morales que leurs conjoints leur ont fait subir, comme le rappelle L'Express. Ces "suicides forcés" sont toujours la conséquence d'un harcèlement systémique à la finalité tragique. En France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ils représenteraient carrément 12% des suicides en général, affirme France Inter.
Oui, les suicides forcés existent et se définissent aisément. Pourtant, un assourdissant silence subsiste au sein de la loi française, qui ne prononce toujours pas la responsabilité du conjoint, ex-conjoint et agresseur dans ce genre de situations criminelles. Un vide législatif des plus accablants, auquel réagit l'une des nombreuses "solutions" proposées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, initié par Marlène Schiappa.
Au fil des soixante-cinq propositions révélées le 29 octobre au grand public, on trouve effectivement celle-ci : "l'incrimination du suicide forcé comme circonstance aggravante". La reconnaissance du "suicide forcé" est fondamentale dans le traitement d'un féminicide. C'est tout du moins ce sur quoi insiste l'un des onze groupes de travail du Grenelle des violences conjugales, consacré à "l'emprise" et aux "violences psychologiques". Sa co-présidente Yael Mellul, également coordinatrice juridique du Pôle d'Aide aux victimes de violences Centre Monceau, l'a affirmé sans détour : "Quand il y a des violences physiques, il y a forcément des violences psychologiques".
Ces violences psychologiques, le Code Pénal en rend déjà compte, en condamnant par exemple à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende les propos et comportements abusifs, nocifs et répétitifs du conjoint, dans le cas où ces actes ont pour conséquence "une interruption totale du travail" de la victime, pendant huit jours consécutifs ou moins.
Mais comme l'indique encore L'Express, le groupe de travail désire enrichir la loi actuelle, qui n'inclut pas le suicide comme conséquence. Et ainsi assurer aux conjoints et ex-conjoints responsables de ces infractions criminelles une peine d'au moins vingt ans de réclusion criminelle. Histoire de mieux rendre compte des violences qu'a pu subir la victime avant son décès. Et mettre l'accent sur un harcèlement moral trop ignoré.
Car à écouter Yael Mellul, "les dégâts occasionnés par la violence psychologique sont aussi graves qu'en cas de violences physiques". Une réalité qui mériterait d'être inscrite noir sur blanc. Mais comment la faire entendre aux juges ? En recueillant les témoignages de l'entourage de la victime, d'abord. Mais aussi en consultant le voisinage, les certificats médicaux et les associations. Bref, en confrontant avec minutie "toutes les preuves qui pourraient permettre de désigner le décès comme étant le résultat de violences conjugales", détaille à L'Express Françoise Brié, porte-parole et vice-présidente de la Fédération Nationale Solidarité Femmes.
Et ces violences prennent bien des formes. Elles se constituent notamment "de paroles et de gestes qui ont pour but de déstabiliser ou de blesser l'autre mais aussi de le soumettre, le contrôler de façon à garder une position de supériorité", explique Marie-France Hirigoyen, l'une des membres du groupe "Emprise et violences psychologiques". Autant d'éléments qui aboutissent à ce "phénomène" dramatique qu'est le "suicide forcé".
La co-présidente conçoit quant à elle ce processus d'enquête comme une véritable "autopsie psychologique" de la victime. Et il est plus que jamais temps, ajoute Yael Mellul, que la loi fasse justice à toutes celles qui "se suicident comme un acte ultime de libération de toutes les souffrances endurées", après avoir porté sur leurs épaules une "honte" et une "culpabilité insupportables". Des paroles qui n'attendent désormais plus que des actes.
- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedi, dimanche et jours fériés.
- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.