Alors qu'une sortie au cinéma en France se fait encore attendre, pandémie mondiale oblige, spectateurs et spectatrices outre-Atlantique ont déjà pu savourer sur le service de streaming HBO Max, l'un des blockbusters les plus attendus de l'année : Wonder Woman 1984, sequel prometteur convoquant la même équipe de choc que le premier opus de la Warner. A savoir, la réalisatrice Patty Jenkins et l'inégalable Gal Gadot, role model de bien des gamines à travers le monde.
Une impatience qui s'entend. Car l'histoire de Wonder Woman ne se limite pas - seulement - à des comic books, des séries télévisées, des dessins animés et un nombre certain de produits dérivés. Non, l'Amazone projette du bout de ses bracelets de demi-déesse des siècles de luttes et de révolutions. Au détour des phylactères et des grosses machines hollywoodiennes, Wonder Woman nous renvoie à nos livres d'histoire. Et oui.
Histoires multiples et stimulantes, qui constituent la grande épopée de cet emblème du girl power. Et si l'on ne vous a pas enseigné cela en cours, pas de panique : on vous relate les mille inspirations d'une icône.
Qui est Wonder Woman ? L'une des figures les plus badass du cinéma comic-book actuel, diront ceux qui ne jurent que par Gal Gadot. Une icône de série télé vintage, répondront les fans de la comédienne Lynda Carter. Une drôle de bande dessinée, à la fois propagandiste et révolutionnaire, inventée par le psychologue réputé William Moulton Marston dans l'Amérique meurtrie de l'entre-deux guerres, conclura-t-on posément.
Plus précisément, Wonder Woman, ou princesse Diana pour les intimes, apparaît en plein Noël 1941 dans le huitième numéro d'All Star Comics. A la tête d'une tribu d'Amazones, elle déploie dans notre réalité sa palette de superpouvoirs hérités des dieux grecs. Pour affirmer sa toute-puissance, notamment au sein de la Ligue des justiciers, elle n'hésite pas à faire usage de ses bracelets d'acier et de son fameux lasso magique.
Voilà qui vous donne quelques indices quant à ses origines, abordées par la BBC : Wonder Woman est l'héritière fictive de femmes guerrières bien réelles, qui auraient notamment parcouru les terres iraniennes et turques au quatrième siècle avant J-C. Si l'on associe les Amazones à une pure mythologie, des guerrières habituées à la chasse, à l'équitation et aux combats ont bel et bien existé des siècles durant, des cavalières Scythes aux indo-européennes Sarmates, dont la légitimité guerrière était égale à celle des hommes. On accole même à ces figures, ayant évolué entre le quatrième et le huitième siècle avant J-C, des valeurs princières.
Alors qu'expertes historiques et archéologues insistent sur l'existence réelle de ces femmes fortes, la mythologie qui leur est associée n'en finit pas de fasciner. Les Amazones traînent derrière elles un rapport frontal à la chasse et à la guerre, une relation tout aussi viscérale à la liberté, voire même des idéaux matriarcaux d'après certaines études, ou, tout du moins, une certaine idée du féminisme. D'où l'intitulé de l'essai de référence de l'historienne Adrienne Mayor : Les Amazones. Quand les femmes étaient les égales des hommes. Ça fait rêver.
Voilà pour les présentations. Il y a fort à parier que l'homme de lettres qu'était William Marston était bien conscient de ce fonds historique de taille en imaginant sa super-héroïne colorée comme une oeuvre de pop art - Roy Lichtenstein s'en souviendra d'ailleurs. Sur les épaules de Wonder Woman s'accumulent les faits et fantasmes associés à ces exaltantes leadeuses aux lances sanguines, à qui l'on prête mille et une batailles, et autant d'archives fourmillantes. Tant et si bien que les femmes libres et belliqueuses qui suivront - dans la mythologie grecque notamment - seront un jour ou l'autre comparés aux mystérieuses Amazones.
Mais avant de nous renvoyer aux musées, Wonder Woman est une femme de son temps. C'est ce que nous rappelle l'enquête de la Smithsonian Institution, prestigieuse institution de recherche scientifique. La princesse surgit en 1943, alors que les citoyennes américaines sont appelées à remplacer leurs maris-soldats dans les usines. Cette époque, c'est celle de Rosie la riveteuse, cette ouvrière qui, un bandana dans les cheveux, montre le biceps en décochant un salutaire "We can do it !" ("Nous pouvons le faire"). Imaginée par le dessinateur Howard Miller, Rosie est épinglée sur les murs des usines de l'entre deux guerres. Elle encourage les dames à "charbonner".
Apparue la même année, l'Amazone s'en fait la voisine. On imagine bien cette figure de lutte, pleine de mérite et de persévérance, inspirer un lectorat en quête d'espoir et d'inspiration. Figure de propagande, Wonder Woman ? Un peu oui. Mais comme le laisse à penser son inépuisable vélocité, la guerrière aime sortir des cases.
Car Wonder Woman n'est pas simplement la femme d'un seul homme. Au cours des premières années de gestation de la guerrière, William Moulton Marston va convoquer des regards féminins (scénaristes, mais aussi professeures et autrices) afin de calmer l'accueil troublant de l'héroïne. Voyez plutôt : alors que les censeurs (nombreux) ne voient en les comic books que pure obscénité susceptible de pervertir les consciences enfantines, un certain lectorat mâle se réjouit à l'inverse, lettres à l'appui, de voir une femme courtement vêtue user d'une corde, ou encore finir attachée, impuissante, à la merci de ses ennemis - un véritable gimmick dans ses aventures.
Sadisme et sadomasochisme traversent implicitement une oeuvre qui excite les regards libidineux, ravis de voir leur super-héroïne préférée arborer des bottes de cuir rouge. Conscient de cet accueil, Marston valorise les exploits de Wonder Woman plus que sa plastique. Et se sert de son entourage pour l'affiner.
L'écrivaine Olive Byrne, sa compagne, lui a servi de modèle pour créer le personnage. Byrne est une femme de lettres, et nièce de Margaret Sanger, fervente militante des droits des femmes. Infirmière et autrice, Sanger s'est notamment battue pour la contraception, l'éducation sexuelle et la liberté d'expression, et ce dès la première moitié du 20e siècle. On s'en doute, la révolution qu'espérait l'activiste est loin d'être achevée dans les années 40.
Et quand l'Amazone apparaît, cela fait quelques décennies qu'elle revêt de fiers visages. Ceux des Suffragettes, citoyennes aux rubans pourpres qui, en Angleterre et aux Etats-Unis, paradent pour le droit de vote. L'un des symboles de ces militantes, hormis leur flamboyant rouge à lèvres, ce sont les chaînes. Alors que certaines Suffragettes n'hésitent pas à s'attacher aux portes des universités, d'autres le font en pleine rue au cours de leurs marches sororales.
Les chaînes sont les emblèmes d'un patriarcat qui étouffe les grandes voix féminines de demain, les tient comme en esclavage. Or, tout en se faisant totem de l'organisation féministe depuis le début des années 1900, chaînes et cordes traversent inlassablement les aventures de Wonder Woman, Suffragette inavouée...
Histoires et mythologies abondent quand l'on s'attarde sur les couleurs vives de cette femme incroyable, icône patriotique pour certains, soeur révolutionnaire pour d'autres - et pourquoi pas les deux à la fois ? A tout cela, Marston rétorquera par une pensée propice à toutes les interprétations : "Wonder Woman est une forme de promotion pour un nouveau type de femme qui, je crois, sera amenée à gouverner le monde un jour".
Présidente ? Militante ? Emblème d'une libération citoyenne, individuelle, sexuelle ? Allez savoir quel type de gouvernance le psy avait en tête au moment de cet aveu. Une chose est sûre, de ses premières apparitions affolantes au film très "female gaze" de Patty Jenkins (comme nous l'explique la critique cinéma Iris Brey), survenu l'année de la révolution #MeToo, l'odyssée de l'amazone est indissociable de celle des femmes.
On s'impatiente de découvrir ses futures manifestations.