Pour s'évader, rien de tel que les bandes dessinées. De ces histoires qui dépaysent ou sensibilisent, éveillent les consciences comme les sens, forgent les militances et déconstruisent les formes. Des petits trésors d'images et de mots aux indéniables audaces artistiques. Mais comment s'y retrouver, paumée dans le grand bac à bédés ? Pas de panique, on vous a sélectionné sept fantastiques albums sur lesquels foncer.
"Faudrait p't'être casser les codes / Une fille qui l'ouvre ça serait normal". Initiée par Diane Noomin, l'une des papesses de la bande dessinée underground américaine, Balance ta bulle est un projet colossal conciliant en un tout de 250 pages roman graphique et révolution #MeToo. Imaginez plutôt : pas moins de 62 dessinatrices et autrices y témoignent des abus, verbaux, physiques, sexuels, qu'elles ont pu subir au cours de leur vie.
En résulte un album-somme, pavé du neuvième art qui claque autant par son intensité visuelle - tous les styles et les formes de narration s'y entrecroisent - que par la puissance des discours féministes véhiculés. Le crayon y est une arme, employée pour mieux libérer une parole trop longtemps retenue. Intensément cathartique.
Balance ta bulle, par Collectif (Initié par Diane Noomin).
Editions Massot, 248 p.
Qu'est-ce qu'un drosophile ? Une petite mouche pas super sexy, "attirée par les fruits fermentés", dixit le Larousse. Ces insectes envahissent Drosophilia, collaboration aussi envoûtante que transgressive entre le dessinateur Quentin Zuttion (auteur de l'album Touchées) et de la vidéaste psy irrévérencieuse Mardi Noir. Au fil de cette drôle d'histoire qui coule comme du miel collant sur la peau, nous suivons Alex, une jeune trentenaire paumée qui vit sa vie comme une longue errance, entre songes sensuels et cauchemars éveillés.
Sorte de rencontre très graphique entre le cinéma de David Cronenberg (sexualité féminine, mutations, trucs chelous sous l'épiderme) et les canicules d'été (ce genre de soirées qui n'en finissent pas), ce récit de solitude saisit aussi bien l'horreur d'une pensée que la sensualité des corps qui transpirent. Singulier.
Drosophilia, par Quentin Zuttion et Mardi Noir.
Editions Payot, 208 p.
Au cours des mois qui précéderont cette tant attendue (ou pas) année 2021, les éditions Urban Comics comptent bien nous régaler en comic-books girl power à souhait : le second tome de Wonder Woman : Guerre & Amour, le tome "zéro" de la série Wonder Woman : Dead Earth, ou encore l'ode - célébrée - que Jody Houser et Adriana Melo ont dédié au couple Harley Quinn/Poison Ivy. Deux némésis redoutables de Batman, devenues icônes féministes au gré de réécritures.
Si le blockbuster Birds of Prey vous a enchanté, Harley & Ivy est une sortie à ne pas manquer. On y retrouve la "badasserie" d'Harley Quinn, personnage de femme meurtrie en quête constante d'émancipation. Une bad girl à la richesse psychanalytique indéniable partageant ici l'affiche avec son alliée Poison Ivy, "belle plante" vénéneuse. Toutes deux constituent encore l'un des plus iconiques couples lesbiens du monde comic-book.
Harley & Ivy, par Jody Houser & Adriana Melo.
Editions Urban Comics, 152 p.
Ces deux dernières années furent indéniablement celles de Vernon Subutex. Un an après la sortie d'une série Canal (avec Romain Duris) adaptée des romans de Virginie Despentes, et entre quelques tribunes puissantes de l'autrice (notamment suite au sacre de Roman Polanski), c'est désormais une adaptation en bande dessinée qui vient enrichir nos lectures romanesques et militantes, avec la sortie d'un premier tome très attendu.
Pour illustrer la rage d'écrire de Virginie Despentes et donner vie à son protagoniste Vernon (un ancien disquaire en pleine faillite), qui de mieux que Luz ? L'ancien dessinateur de Charlie Hebdo met en formes cet imaginaire punk pour un résultat forcément incendiaire. Transposer le style de la romancière militante, un sacré défi tant l'autrice des Jolies choses et de Baise-moi aime volontiers déborder des cases. Challenge réussi.
Vernon Subutex, tome 1, par Virginie Despentes & Luz.
Editions Albin Michel, 304 p.
Vous avez certainement découvert le coup de crayon de Cy sur le site Madmoizelle, où la jeune autrice consacrait il y a quelques années de cela une rubrique dessinée aux histoires de sexe ("Les dessins de Cy(prine)"). C'est la même énergie qui traverse son album Radium Girls. Sous ce titre très Marie Curie friendly, l'épopée d'une bande de jeunes ouvrières dans l'Amérique des années 20, dont la vie sera chamboulée par les effets du radium.
Une tragédie donc, loin d'être si vintage (les fiascos ne sont pas rares quand l'on parle de la santé, et plus encore de la santé des femmes), et d'autant plus cinglante qu'elle met en phylactères les incidences du progrès, volontiers patriarcal, sur les minorités "de l'ombre" qui en sont bien souvent les premières victimes. De ces leçons d'histoire que l'on ne lit pas dans les livres.
Radium Girls, par Cy.
Editions Glénat, 136 p.
Envie de voyager dans le Paname des années 30 ? Léonie Bischoff vous propose d'y plonger, et pas à travers n'importe quel point de vue : celui, acéré et romanesque, d'Anaïs Nin. Anaïs Nin, écrivaine américaine célébrée pour ses évocations marquantes de la sexualité (relire à ce titre son recueil de nouvelles Vénus Erotica). Mais par-delà ses mots, ou sa liaison avec le tout aussi sulfureux Henry Miller, qui était au juste Nin ?
Cette "mer des mensonges" à l'indéniable élégance graphique cherche à éclaircir le mystère en évitant avec subtilité tout ce que la romancière a du subir, durant sa carrière et même après sa mort : préjugés, raccourcis sexistes, jugements à l'emporte-pièce. Au détour d'une case, cette phrase qui au fond veut tout dire : "Bien peu savent combien de femmes il y en a en moi". Une introspections pleine de nuance(s) donc.
Anaïs Nin sur la mer des mensonges, par Léonie Bischoff.
Editions Casterman, 192 p.
Si vous n'avez jamais lu la saga romanesque de l'américain Armistead Maupin, ni même jeté un oeil à son adaptation sérielle sur Netflix, alors la transposition en bande dessinée de ce grand classique feuilletonesque de la littérature LGBTQ pourrait faire office de porte d'entrée bienvenue vers cet univers-choral.
Les Chroniques..., c'est une histoire de colocataires et de romances qui se cherchent, de songes californiens et de solitudes qui papotent. Des récits qui ont suscité un énorme engouement lors de leur publication initiale durant les années 70 et qui, renouvelées en 2020, n'en demeurent pas moins d'actualité. A redécouvrir.
Les chroniques de San Francisco, par Isabelle Bauthian & Sandrine Revel
Editions Steinkis, 122 p.