Culture
Nia DaCosta entre dans l'Histoire avec "Candyman", mais à la fin, c'est le sexisme qui gagne
Publié le 29 septembre 2021 à 17:56
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Malgré son succès public et critique, quelque chose cloche dans la réception du reboot du classique de l'horreur "Candyman" : la maigre considération de sa réalisatrice Nia DaCosta.
Nia DaCosta entre dans l'Histoire, mais à la fin, c'est le sexisme qui gagne Nia DaCosta entre dans l'Histoire, mais à la fin, c'est le sexisme qui gagne© Abaca
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73 millions de dollars dans le monde pour un budget de 25 millions de dollars. Voilà ce qu'a rapporté au box-office le tant attendu reboot de la célèbre franchise horrifique Candyman. C'est un succès pour le cinéma de genre de qualité, celui qui sait enlacer sens, qualité technique et exigence. Pour le producteur du film, également, Jordan Peele, connu pour sa carrière d'humoriste (le duo Key & Peele) et ses brillants passages à la mise en scène : Get Out et Us, deux films horrifiques qui furent des succès considérables.

Ce Candyman version 2021 ne dépareille d'ailleurs pas au sein de l'univers de Peele, puisque discours social et terreur visuelle s'imbriquent en un tout cohérent. Cependant, un nom s'élude dans ce rapide descriptif : celui de sa réalisatrice, tout simplement. Car si tous les regards semblent tournés vers le film original (signé par Bernard Rose en 1992), brillante oeuvre aujourd'hui redécouverte, ou vers la personnalité il est vrai fascinante du producteur Jordan Peele, bien des critiques et spectateurs semblent avoir étrangement omis la présence de Nia DaCosta. Pourtant, elle est la seule réalisatrice noire à avoir atteint la première place du box-office américain en première semaine d'exploitation.

La cinéaste de 31 ans a elle-même épinglé cette curieuse réalité.

Un cas flagrant de sexisme systémique ?

Nia DaCosta est une réalisatrice et scénariste américaine née à Brooklyn. Avant de réaliser et coscénariser Candyman, cette fan autoproclamée de Martin Scorsese s'était déjà faite largement remarquer en festivals avec son premier film, le thriller Little Woods (2019). Et si le succès de son dernier long-métrage la positionne désormais dans la très étroite cour des "maîtresses de l'horreur" à cartonner au box-office, la trentenaire avait déjà marqué l'opinion l'an dernier, en prenant les rênes du film de super-héros The Marvels.

Et pour cause, elle devenait ainsi la plus jeune cinéaste à réaliser une production Marvel. Excusez du peu.

Nia DaCosta entre dans l'Histoire, mais à la fin, c'est le sexisme qui gagne © MGM - Universal Pictures

La sortie de Candyman, dont le tournage nous renvoie au printemps 2019, ne fait que renforcer la position de force de Nia DaCosta. Pourtant, quelque chose coince. "Durant le film, il y a des gens aux côtés desquels j'ai travaillé et avec qui je pourrais dire que, si je n'étais pas une jeune femme noire, nous n'aurions pas eu ce type d'interactions. Peu importe à quel niveau vous vous trouvez, vous allez toujours être confrontée à ce genre de choses", témoigne ainsi la jeune cinéaste dans les pages du magazine GQ.

"Ce n'était pas nécessairement des remarques ouvertement racistes, mais la façon dont certaines personnes m'ont parlé en tant que réalisatrice était choquant. J'ai par exemple entendu des commentaires insensés sur mes cheveux. Durant ma carrière, cela m'est arrivée tellement de fois, souvent avec des supérieurs hiérarchiques", poursuit-elle. Comme l'énonce CBS, DaCosta aime également à rappeler que Jordan Peele était l'une des seules personnes de couleur assignées à un niveau décisionnel sur cette production.

"Dites son nom !"

Des mots loin d'être anecdotiques dans le cas de l'oeuvre dont il est question ici. Voyez plutôt : Candyman nous raconte l'histoire d'un peintre afro-américain qui va s'exercer à peindre sur toile le croquemitaine qui a hanté l'enfance de nombreux enfants des ghettos : Candyman, légende urbaine qui serait responsable de bien des frayeurs. Prononcer son nom cinq fois dans un miroir suffirait à faire apparaître cette personnification de la terreur. Sauf qu'à l'origine de ce récit, on trouve une tragédie réelle : les violences policières, responsables de l'édification du "mythe" morbide.

"Candyman", le film à succès de la réalisatrice Nia DaCosta. © MGM - Universal Pictures

Savoir que ce tournage n'a pas été sans remarques déplacées a de quoi attrister au vu de la tenue de ce projet artistique ouvertement engagé. Surtout si l'on prend en compte l'enjeu principal, à savoir la considération de Nia Dacosta en tant que réalisatrice et leadeuse. Dans le film, le protagoniste dédie une exposition à Candyman et l'intitule ironiquement "Say his name" : "dites son nom !" Or, le nom de Nia DaCosta a lui-même été minoré.

La critique insistera d'ailleurs davantage sur celui de son producteur, Jordan Peele. Une double discrimination dont souffrent bien des réalisatrices noires. Quand bien même, comme l'observe GQ, la cinéaste elle est "l'une des rares femmes noires derrière l'objectif au sein du paysage mainstream d'Hollywood", avec des artistes afro-américaines telles que Ava DuVernay (Selma, Dans leur regard).

Par-delà cette considération en demi-teinte, une chose est certaine, Nia DaCosta est l'une des cinéastes à avoir le mieux compris ce que représentait Candyman. Elle le prouve chez Collider : "Je pense que Candyman est un anti-héros. Il est multiforme. Il représente la façon dont nous transformons les gens en idoles ou en martyrs. Ce que je voulais garder, c'était sa nature romantique. C'est un personnage sombrement romantique, gothique".

Un romantisme aussi tragique que politique, à savourer en salles.

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Culture News essentielles cinéma femmes Femmes engagées sexisme racisme Etats-Unis
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