On ne vous apprend rien en disant que côtoyer certaines personnalités au bureau n'a rien d'une partie de plaisir. Il y a ce collègue (énervant) qui se plaint pour absolument tout, de la clim' au prix de la cantine, cet autre (horripilant) qui lance des petites phrases assassines en réunion ou encore celui (insupportable) qui s'entête à rendre ses propales en retard et nuit au travail de toute son équipe.
Mais il y a des collaborateurs qui, loin d'être casse-pieds ou incompétents, apparaissent au contraire avenants, souriants et efficaces mais pourrissent littéralement l'ambiance au travail en faisant du quotidien de leurs voisins d'open space un cauchemar. Leur nom ? Les "toxifiers", ou personnalités toxiques. Nommés ainsi par la psychologue allemande Heidrun Schüler-Lubienetzki, les toxifiers peuvent tout aussi bien être de simples employés de bureau que se glisser dans le costume du PDG. Ils ont en revanche un point commun : ils sont prêts à utiliser tous les moyens pour faire carrière, quitte à écraser les collaborateurs sur le passage.
Avec son époux, Heidrun Schüler-Lubienetzki s'est longuement intéressée à la personnalité des toxifiers et elle en a tiré un livre, sorti cette année en Allemagne sous le titre Persécution au bureau : des stratégies pour gérer les fauteurs de troubles. En se basant sur ses recherches dans le monde du travail, la psychologue et son mari estiment qu'environ 5% à 10% des salariés sont des personnalités toxiques.
La relative fréquence des personnalités toxiques en milieu professionnel ne rend pas pour autant leur reconnaissance facile. Au contraire, d'après la psychologue, les toxifiers seraient très difficiles à discerner. Et pour cause : très appréciés par certains de leurs collègues, ils seraient à l'inverse détestés par d'autres collaborateurs. C'est justement cette polarisation de sentiments si extrêmes que contradictoires qui doit vous mettre la puce à l'oreille. "Quand une personne suscite des réactions diamétralement opposées, qu'elle est cordialement détestée ou au contraire très appréciée, il y a des chances que vous ayez affaire à une personne toxique ", explique Heidrun Schüler-Lubienetzki au site allemand Spiegel .
Autre trait de caractère commun aux toxifiers : leur caractère imprévisible. Charmants et serviables, ils peuvent se montrer l'instant suivant cruels et sans pitié. Selon la psychologue, il s'agit généralement de personnes sensibles, qui savent cerner l'ambiance qui règne dans une équipe et en jouer à des fins personnelles. Se servant de leur sensibilité, les toxifiers n'hésitent pas à tyranniser psychologiquement leurs collègues dans le but de prendre le contrôle et le pouvoir. D'après le couple Schüler-Lubienetzki, les toxifiers sont d'autant plus difficiles à détecter qu'ils tissent généralement des liens d'amitié avec leurs victimes. Quant à leur manière intrigante d'agir, elle reste souvent inaperçue des autres collaborateurs.
N'agissant jamais au hasard ou de manière impulsive, les personnalités toxiques agissent au contraire avec préméditation dans le seul but d'asseoir leur pouvoir personnel et de récolter des récompenses comme un statut social supérieur, la reconnaissance, l'argent ou même parfois des relations sexuelles. Dans leur livre, les deux psychologues décrivent le cas d'un top manager qui lors d'une réunion, a jeté le portable de son collègue dans une poubelle parce qu'il était gêné par la sonnerie. En réalité, l'objet du litige importe peu au toxifier : il recherche avant tout le pouvoir et la soumission des autres.
Le problème, expliquent les Schüler-Lubienetzki, c'est que le monde du travail actuel, où le management par la peur ou l'absence de hiérarchie, fournissent un terreau fertile à la prolifération des personnalités toxiques. En rendant l'ambiance au bureau insupportable, les toxifiers poussent leurs collaborateurs à la démission ou au burn-out. Et tout cela a un coût, que les auteurs du livre estiment à 10 milliards d'euros de dommages chaque année. Selon eux, certains milieux professionnels souffrent littéralement d'épidémies de personnalités toxiques. C'est le cas du secteur politique, du marché de l'art, des marchés financiers et des médias où "avoir des compétences toxiques est presque essentiel pour survivre", notent les deux psychologues.