Société
Ces femmes qui regrettent d'avoir eu des enfants
Publié le 19 mai 2016 à 19:06
Par Hélène Musca | Rédacteur
Beaucoup de tabous pèsent sur les jeunes mères : fumer, raccourcir son congé maternité pour retourner au travail... ou tout simplement, regretter d'avoir eu des enfants. Certaines osent parler.
Qui sont ces mères qui regrettent d'avoir eu des enfants ? Qui sont ces mères qui regrettent d'avoir eu des enfants ?© Getty Images
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Il y a des mythes qui semblent traverser les siècles sans jamais s'user. Le mythe de la maternité en fait partie : dans toutes les civilisations et toutes les cultures, on sacralise la figure de la mère. La maternité est vendue comme l'expérience qui permettrait à une femme de s'accomplir pleinement et d'être vraiment heureuse. Pourtant, de plus en plus d'entre elles avouent regretter leur maternité : un sujet délicat, que l'autocensure et la culpabilisation ont rendu tabou.

"Je ne pense pas que ça valait le coup"

Tammy fait partie de ces mères qui auraient préféré ne pas l'être. "Ne vous méprenez pas, j'adore mes enfants. Mais tout ça a un prix énorme ; mentalement, émotionnellement et physiquement. Je ne pense pas que ça valait le coup", confie-t-elle anonymement sur un site féministe, The Vagenda. "Et le pire, c'est qu'exprimer tout cela honnêtement fait de moi un monstre...". De plus en plus de femmes se confient de cette manière sur les sites et les réseaux sociaux afin d'expliquer pourquoi elles regrettent d'être devenues mères. "La maternité n'est plus un rôle qui remplit à lui tout seul toute la vie d'une femme. Ça peut même passer au second plan", explique Andrea O'Reilly dans Toni Morrison and Motherhood à The Guardian. Cependant, pour elle, la maternité reste une expérience exceptionnelle qui l'a rendue meilleure : "Si vous écoutez vos enfants, d'une certaine manière, vous parvenez à vous libérer de vos bagages émotionnels et de la vanité, pour délivrer une meilleure version de vous-même, une que vous apprécierez". Voilà le stéréotype prédominant : même si les dépressions post-partum ou "baby blues" sont venues fissurer l'illusion soignée qu'on se construisait du bonheur maternel, regretter d'avoir eu des enfants demeure une aberration.

Un malaise persistant autour du bonheur que la maternité doit procurer

C'est ce que dénonce le hashtag devenu viral #regrettingmotherhood, qui démonte le cliché maternel, bâti de toute pièce par la société afin d'en garantir la stabilité. Avoir un enfant est présenté comme l'accomplissement ultime de la femme, la seule chose capable de la rendre parfaitement heureuse. Il n'y a qu'à voir les réflexions faites en permanence aux femmes qui n'ont pas d'enfants, et la méfiance que cela suscite. Une femme qui refuse d'enfanter dérange beaucoup, comme si l'on ne pouvait séparer maternité et féminité : un préjugé aux forts relents de sexisme que de nombreuses femmes se chargent de véhiculer elles-mêmes, explique à Carevox Maryse Vaillant, auteure d'Être mère : mission impossible ?

C'est justement pour en finir avec ces préjugés et que la sociologue israélienne Orna Donath a décidé de publier une étude qui laisse la parole aux femmes qui regrettent d'être devenues mères. Elle y explique que si la maternité peut être "une source de satisfaction personnelle, de plaisir, d'amour, de fierté, de joie et de contentement", cela peut aussi être en même temps "un royaume de stress, d'impuissance, de frustration, d'hostilité et de déception, ainsi qu'une arène d'oppression et de subordination". Et que si cette ambivalence est acceptée, elle ne tourne pas toujours en faveur des aspects positifs et peut amener certaines mères à regretter d'avoir eu des enfants. Le but de l'étude était de mettre en évidence le fardeau qui pèse sur ces femmes qui n'ont pas le droit à la parole, et la nécessité de leur ouvrir un espace de dialogue honnête. Ce qui, évidemment, a mis le feu aux poudrières. Le chroniqueur allemand Harald Martenstein, notamment, a attaqué au vitriol ces "mères à regret" en expliquant qu'elles se rendaient coupables de maltraitance envers leurs enfants si elles les confrontaient à leurs sentiments négatifs sur la maternité. Pour lui, regretter sa maternité est le résultat d'une vision manichéenne et naïve du monde, ainsi que le produit d'attentes irréalistes et de perfectionnisme. Rien que ça.

Abolir l'impératif idéologique d'être une mère
Blake Lively, l'image actuelle du "Mother Bliss", de la femme auréolée par le bonheur de la maternité © Getty Images

En effet, ne pas s'épanouir dans la maternité semble être vu comme de l'immaturité, voire comme un mal-être mental. La sociologue Orna Donath explique au Haaretz que les femmes qui refusent ou regrettent d'être mères sont vues comme "égoïstes, masculines, pitoyables et d'une certaine manière, défectueuses". Elle met en évidence la pression de la société, qui pare la maternité de ses plus beaux atours pour pousser les femmes à penser que leur bonheur doit passer par un enfant. Certaines femmes sont devenues mères pour répondre à cette obligation implicite ; il est logique qu'elles en souffrent par la suite et éprouvent du regret, bien qu'elles aiment leurs enfants, comme elles le précisent systématiquement au cours de l'étude.

"Mon fils est absolument adorable et mon mari m'aide beaucoup, je les adore tous les deux. Et j'ai voulu devenir mère, on ne m'y a pas poussé. J'étais amoureuse de l'idée de la maternité. Je pensais que c'était ce que je voulais. La société vous conduit à penser ce que je voulais. Mais ma vie était parfaite avant", explique par exemple une femme sur le site Mumsnet, un site où les femmes s'aident à faire le deuil de leur vie d'avant-grossesse. Elle ajoute : "Ce n'est pas une dépression post-natale. Je ne suis pas déprimée ou malade. Sans aucun doute, on ne va cesser d'essayer de me convaincre que c'est le cas, comme ces femmes à l'époque victorienne qui étaient étiquetées démentes ou dérangées lorsqu'elles étaient désespérément malheureuses des vies dans lesquelles la société les coinçait".

Voilà pourquoi il paraît primordial de lever le tabou des "mères à regret" : un dialogue honnête et ouvert est la seule solution pour abolir l'impératif idéologique d'être une mère que la société impose aux femmes, afin de les permettre de mieux comprendre leurs choix et leurs envies. Car il ne faut pas s'y tromper : la maternité peut aussi devenir un biais d'oppression.

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