Depuis quelques années, le clitoris est sur toutes les bouches. On colle des affiches à son image dans la rue, on en parle à l'école et on milite pour qu'il soit enfin représenté correctement dans tous les manuels scolaires. Une révolution sexuelle nécessaire pour exploser le tabou autour du plaisir féminin. Mais dont le résultat ne doit pas dévier de l'émancipation sexuelle pour toutes.
"Je suis très mal à l'aise avec tout le délire 'l'orgasme est forcément lié au clitoris'" écrit Ovidie sur Twitter, le 10 avril. Selon la réalisatrice de documentaires et de porno féministe, libérer la parole autour de l'orgasme, c'est essentiel, mais attention à ne pas sortir d'une norme pour s'empêtrer dans une autre.
Car si le clitoris est une petite merveille dont les 8000 terminaisons nerveuses offrent l'une des clés de la jouissance, il n'est certainement pas le seul moyen d'y arriver. Surtout, le fait qu'il soit devenu un élément de la pop culture est à double-tranchant.
"D'un côté c'est très intéressant, car ça met fin à une invisibilisation là où le phallus est ultra-représenté dans notre univers culturel. D'un autre côté, on peut s'interroger sur le fait qu'on se serve d'un organe érectile pour rivaliser contre un autre organe érectile. La vulve, quant à elle, continue à être sous-représentée voire diabolisée", nous explique-t-elle.
Elle ajoute : "Je trouve très positif de valoriser [le clitoris], de communiquer dessus, d'informer. Mais à condition de ne pas donner de fausses informations ni de hiérarchiser les plaisirs. De cette invisibilisation, on est passé en quelques petites années à l'idée que sans clitoris, point de salut, qu'il était la source de tout orgasme. Sauf que non, ce n'est pas toujours vrai et je ne vois pas l'intérêt de faire circuler de fausses informations."
Il existe en effet plus d'une façon d'être stimulée sexuellement, et d'atteindre le sacro-saint orgasme. Et toutes ne passent pas par celui qui a désormais des peluches à son effigie ou qu'on imprime en 3D. "Depuis quarante ans, on découvre, puis jette, puis re-découvre le rôle des tétons, du col de l'utérus, des glandes de Skenes, et on re-bazarde tout à la poubelle", poursuit-elle.
"Au passage, on fiche aussi à la poubelle des années de militantisme, d'éducation populaire, de recherche de la part de toutes ces féministes qui ont travaillé sur la question de la multiplicité des sources d'orgasmes. (...) Il y a par exemple des femmes qui parviennent à l'orgasme par stimulation mammaire. Il y en a même qui ont des orgasmes-réflexes lors de l'allaitement alors qu'elles ne sont absolument pas excitées."
Et cette jouissance est bel et bien réelle, même si elle prend racine à des années lumière des organes génitaux.
Le risque de miser uniquement sur le clitoris selon Ovidie ? Que l'on essaie de mettre le désir et le plaisir des femmes dans une case, et qu'on n'accorde pas ou peu de valeur à ce qu'elles ressentent, de la même façon qu'on discréditait jadis le plaisir clitoridien : "Ce qui me chagrine c'est surtout qu'encore une fois, on explique à ces femmes que ce qu'elles vivent n'existe pas, que c'est une vue de l'esprit. On les culpabilise, on leur flanque le doute, on les plonge dans l'incertitude. On remet en question leur parole. Pire, on régresse sur certaines choses qui étaient acquises."
Suite à son intervention sur le réseau social, la réalisatrice a reçu quelques messages privés "en off" de féministes la remerciant pour sa prise de parole, "ce qui prouve bien que le sujet, censé être libérateur, est à la limite de se transformer en sujet clivant".
Plutôt que de formater plus ou moins malgré nous les esprits des générations présentes et futures sur comment ressentir le plaisir sexuel, et lequel est plus valide qu'un autre, Ovidie conclut que "comme toujours, 'il suffit d'écouter les femmes', ça reste la règle numéro 1".
Alors cessons une bonne fois pour toutes de déterminer, de segmenter et de conditionner le plaisir féminin, et vivons-le, peu importe sa source.