Vous avez peut-être déjà vaguement entendu l'expression. Le "coaching en séduction", c'est le métier de Will Smith dans Hitch. Ou le sujet de The Game, de Neil Strauss, la bible du domaine. Dans les deux oeuvres d'une qualité discutable, on apprend une chose : toutes les femmes peuvent être séduites si on a les "bons réflexes". Et par n'importe qui. Un concept alléchant ? C'est en tout cas ce que pensent ceux qui se dirigent vers les versions non-hollywoodiennes du genre. Des hommes hétéros - principalement - qui cherchent à sortir de l'isolement social dans lequel leur personnalité, leur profession, leur situation les a plongés, et à rencontrer quelqu'une. Voire quelques-unes. Après plusieurs échecs sentimentaux, ils ont besoin d'aide pour mieux aborder de potentielles partenaires. Et les garder, ou non.
C'est là qu'interviennent les coachs. Mélange de développement personnel, de thérapie et de remise en question, la technique du professionnel souhaite permettre à son coaché d'accéder à la vie dont il a toujours rêvé. Qu'il prenne conscience de son charisme, le développe, et le mette à profit. Une sorte de relooking comportemental qui le transformerait en pro des relations en quelques sessions.
On a voulu savoir comment marchaient ces séances justement, pourquoi la séduction était si importante pour ces hommes et si généraliser les comportements hommes-femmes ne renforçait pas des stéréotypes sexistes réducteurs. Surtout, on a posé la question du harcèlement de rue déguisé en "drague opportune", et de ceux qui se plaignent "qu'on ne peut plus approcher une femme" depuis #MeToo.
"Attention, je vous préviens tout de suite : je suis un coach en séduction gentil. Je ne suis pas un méchant masculiniste", lance en ne plaisantant qu'à moitié Sélim Niederhoffer, rédacteur en chef de Artdeséduire.com (site de conseils en séduction au masculin depuis 2007) et auteur de La Méthode RDV, quand on démarre l'interview, en plein après-midi. Il sort d'une session avec "un petit jeune timide qui avait l'air très gentil", confie-t-il. Ce sont eux qui font son fond de commerce, les hommes qui n'osent pas, qui n'ont aucune idée de comment s'y prendre. "Les ingénieurs, les gamers...", liste l'expert. Des clients aux profils variés mais que l'absence de contact avec les femmes a rendus fébriles quand il s'agit de relations. Il les rencontre d'abord en vrai, puis organise un planning de séances qui peuvent se conduire à distance - par Skype notamment - toujours au cas par cas.
"Tous les hommes qui viennent me voir me disent qu'ils veulent rencontrer quelqu'un", assure Sélim quand on mentionne le côté consommation que le business nous inspire. "Ça ne les intéresse pas d'enchaîner les conquêtes sur Tinder, la réalité du marché est là. Après, les coachs qui mettent en avant le nombre de leurs conquêtes, promettent aux clients qu'ils seront admirés par leurs potes en rentrant avec une nana tous les soirs, c'est du marketing. C'est un business. Mais moi ce n'est pas comme ça que j'ai envie d'être perçu. Je suis là pour que les coachés trouvent le bonheur." Et ça marche ? Apparemment, oui.
L'expert avoue que ce qu'il préfère dans son travail, c'est quand il ouvre sa boîte mail et reçoit "des faire-parts de mariage, de naissance. Des messages qui disent 'coach, ça y est, j'ai enfin dormi avec elle tout nu !'". Il précise d'ailleurs que le consentement est l'un des mots sur lequel il insiste lors de ses interventions. Même s'il estime que parfois, ça va trop loin (il cite la scène de la série Sex Education où le protagoniste, au lit avec une jeune fille, lui demande son accord pour la toucher toutes les deux secondes). "Mais ça vaut le coup", se rattrape-t-il. "Ce qu'on perd en spontanéité et en romantisme, on le gagne en sécurité et en respect".
Une prise de conscience qui n'est pas isolée. Thomas, 27 ans, est client d'un coach en séduction dont il a souhaité taire le nom. Après des études en école d'ingénieur dont les classes étaient presque exclusivement composées de jeunes hommes, il a du mal à parler aux femmes qu'il ne connaît pas. Et sa vie sentimentale en pâtit.
"J'ai décidé de faire appel à un coach en séduction après avoir vu une vidéo de l'un d'eux sur Internet", se remémore-t-il. "Je me suis dit que ça ne coûtait rien d'essayer (150 € en moyenne, tout de même, ndlr). J'avais un peu peur du côté Dom Juan qu'on prête à leurs procédés, mais ça a été tout l'inverse. On travaillait sur mon propre comportement et comment il pouvait être amélioré afin d'intéresser réellement mon interlocutrice. Et pas de la manipuler jusqu'à ce qu'elle accepte de me revoir".
La manipulation, parlons-en. A lire des dizaines d'articles spécialisés qui prônent le "push-pull" (cette technique du chaud-froid qui consiste à être très affectueux puis plus du tout pour que la femme recherche absolument l'attention), ou le fait de dénigrer une femme pour que sa confiance en soi en prenne un coup, puis qu'elle recherche à nouveau la validation de l'homme, on se dit que manipulation et séduction sont étroitement liées. Du moins pour certains gourous du domaine. Sur Art de séduire, on est tombée sur un article qui nous a d'abord, comment dire, brûlé la rétine : Comment contrôler l'esprit d'une fille pour coucher avec elle plus vite. Un titre racoleur et douteux, dont le fond nuance cependant la forme. L'auteur insiste ainsi sur les mots "respect", "confiance", "rassurer", et écrit que si le lecteur a simplement envie de sexe, et que sa partenaire non, il n'a qu'à aller en chercher ailleurs.
Quand on évoque la publication avec Sélim Niederhoffer, le rédac-chef du site en question, il admet que le choix des mots est à revoir (il change d'ailleurs la formulation pendant l'interview, et la remplace par Comment coucher plus vite avec une fille qui vous aime bien). Les commentaires prouvent également que les visiteurs du site ne sont pas tous en accord avec cette tournure "putaclic", comme le coach la qualifie. "Je ne comprends pas l'intérêt de faire l'amour avec quelqu'un qui n'en a pas envie, peu importe la raison", signe un dénommé Fabre. "Le titre laisse un goût amer", commente à son tour Sysyphe. "Oui pour proposer mais non pour manipuler ou contrôler".
Alors quel rôle joue la manipulation dans la séduction, exactement ?
La tête d'affiche, si on écoute Tiphaine Besnard-Santini, sexologue à Paris. "L'idée de séduction est à remettre complètement en question", affirme-t-elle. "C'est une notion très problématique puisqu'elle est vraiment rattachée à l'image de l'homme qui va conquérir. Il y a d'ailleurs tout un vocabulaire de conquête autour de ce terme, qui implique de soumettre l'autre, de la dominer." Elle rappelle que "chez Freud, la notion de séduction est utilisée pour caractériser le fait d'avoir du pouvoir sur les femmes et les enfants. C'est susciter le désir alors qu'il n'y avait pas cette envie là, à la base".
C'est justement ce "pouvoir" qui serait à la source du besoin de savoir séduire essentiel à certains hommes, selon Clément Rodriguez, lui aussi coach en séduction. "C'est une compétence", assure-t-il. "Un homme qui maîtrise cette compétence aura toujours une avance sur les autres. Cela permet aussi d'avoir le choix de la partenaire avec qui on fera un bout de chemin, et de ne pas choisir quelqu'un par défaut. Un homme qui n'arrive pas à séduire va être triste, frustré. Il peut même en venir à détester les femmes en pensant que c'est de leur faute, alors que c'est de sa faute à lui ; il a juste à se remettre en question".
Si les paroles de nos deux coachs interrogés pointent dans la bonne direction - celle du respect de l'autre et du travail sur soi - on ne peut s'empêcher d'y voir une sorte de bienveillance parfois paternaliste, intériorisée ou non. Et chez d'autres professionnels du milieu, plus agressifs dans leur méthode, des schémas de drague qui perpétuent des stéréotypes de genre destructeurs.
"Dans une culture très hétéronormée comme la nôtre, être un homme, c'est être hétéro et savoir séduire des femmes qui sont féminines", atteste Tiphaine Besnard-Santini. "L'effet qu'on a sur l'autre va renforcer l'image de soi. Et puis, il y a ces groupes d'hommes qui recherchent la masculinité originelle, animale, être un homme qui ne pleure pas", qui multiplie les rencontres et les succès sentimentaux. Il existe d'ailleurs beaucoup d'exemples de vidéos "pratiques" qui décrivent la séduction comme on parle de chasse, et des femmes comme on parle de proies.
On se souvient notamment des conférences scandaleuses de Julien Blanc, qui expliquait à un parterre d'hommes comment agir avec les Japonaises. Dans un séminaire enregistré, on voit le "dating guru" suisse s'approcher de jeunes filles et leur forcer la tête vers son entrejambe. Dans la même vidéo, il conseille à ses "étudiants" (qui ont par ailleurs payé jusqu'à 3000 dollars pour l'écouter) de "ramasser" des femmes au Japon. "Au moins à Tokyo, si vous êtes un homme blanc, vous pouvez faire ce que vous voulez", se vante-t-il dans un mélange puant de colonialisme et de sexisme assumé. "Je me promène dans la rue pour ramasser des filles. C'est génial."
"Ramasser", c'est la traduction française de l'anglais "pick-up". Un terme que toute une communauté d'hommes s'est appropriée, s'auto-proclamant "pick-up artists", pour définir leur aisance à aborder des femmes dans la rue, et à obtenir un numéro ou un rendez-vous. Un acte qui ignore totalement l'insécurité dans laquelle de nombreuses femmes évoluent lorsqu'elles sont seules dehors, justement à cause de harceleurs qui les insultent, les sifflent, voire les agressent. Mais y a-t-il une différence entre les pick-up artists et les autres ?
"Non, [forcer une femme à donner son numéro ou accepter un rendez-vous] n'est pas différent du harcèlement", condamne Clément Rodriguez. Il garantit toutefois que "certaines aiment être abordées dans la rue si c'est fait avec respect, sans la déranger mais en la rassurant, et en s'en allant si elle dit non". A voir.
Sélim Niederhoffer, lui, ne pratique pas ce genre de techniques. Il estime que la rue est un espace où les femmes ne se sentent effectivement pas assez en sécurité. Il dénonce également les actes de Julien Blanc, qu'il qualifie à juste titre d'agressions sexuelles. Clément Rodriguez et lui s'accordent indépendamment sur la radicalité des méthodes américaines, qui seraient, elles, très sexistes.
Il suffit de jeter un coup d'oeil à la chaîne YouTube de Todd V, coach outre-Atlantique, pour voir que la misogynie, la notion de consentement floue et le concept archaïque de l'existence des mâles alphas (qui désigne les "meneurs") ont de beaux jours devant eux. Une référence à la loi de la "nature" qui n'est en réalité qu'un terme pour fourrer et justifier n'importe quel comportement rétrograde et souvent discriminant. Mais en France aussi, on peut rapidement ouvrir les portes de l'enfer relationnel. Sur YouTube encore, La Gouaille - qui n'est que la partie immergée de l'iceberg - promet qu'en alternant commentaire désobligeant puis compliment, on arrive à ses fins. Critique.
Tiphaine Besnard-Santini explique ces techniques par la montée du féminisme. "C'est un mouvement en réaction à l'émancipation des femmes", lance-t-elle. "Chaque fois que les femmes prennent du pouvoir, il y a une opposition". Elle indique qu'à la fin du XIXe siècle, quand les Françaises ont commencé à porter des pantalon, et donc à acquérir davantage de liberté, les caricatures étaient nombreuses. Beaucoup d'hommes se sentaient menacés par ce bouleversement d'identités des genres. Au 21e siècle, les adeptes d'un coaching en séduction réducteur se rassureraient-ils en cultivant des carcans traditionnels, qui les confortent dans leur toute-puissance ? Quoiqu'il en soit, ce n'est pas sans conséquences.
Car la sexologue dénonce l'effet destructeur que ces comportements provoquent, surtout auprès de ses patientes : "Beaucoup de femmes qui me consultent regrettent, voire sont traumatisées, d'avoir accepté de coucher par résignation et à force d'insistance avec des hommes qui utilisent ce type de moyens", déplore-t-elle.
En 2017, avec la médiatisation de l'affaire Harvey Weinstein, les femmes ont dit stop. Elles ont refusé de laisser franchir une fois de plus des limites non-négociables. Elles ont pris conscience que la culpabilité ne devait pas reposer sur leurs épaules, que "non" n'était pas une réponse qu'on peut interpréter à sa guise. Surtout, elles ont dénoncé le harcèlement qu'elles subissent au quotidien. Et elles n'ont plus hésité à s'opposer aux agresseurs, ni aux gestes qu'elles trouvaient déplacés.
De ce mouvement est né un vent de révolte justifié, mais aussi une phrase qui nous file de l'urticaire : "On ne peut plus draguer depuis #MeToo". On l'a déjà entendue de la bouche d'hommes qui auraient peur de se faire réprimander pour leurs tentatives de séduction. Et donc, si les femmes les rembarrent, ce serait de leur faute à elles. Pour les coachs Sélim et Clément, c'est très clair : "Un mec qui pense ça, c'est qu'il a une façon de draguer problématique et qu'il doit changer son comportement".
Les hommes peuvent évidemment continuer d'aborder les femmes, sans passer par la case sexisme. Tiphaine Besnard-Santini conseille simplement de "se montrer sous son meilleur jour, à l'écoute des envies de l'autre et de ne pas considérer que sa propre envie prime sur la sienne." Être dans l'honnêteté et la communication. Et ne pas non plus partir du principe qu'une femme a besoin d'être protégée. Mais quand on a compris ça, plus besoin de coach en séduction.