Depuis un mois, les rue colombiennes grondent. En avril dernier, une partie de la population s'est soulevée pour s'opposer à la réforme fiscale annoncée par le gouvernement. Si ce dernier a rapidement abandonné le projet, la mobilisation, elle, ne désemplit pas, réclamant des réformes du côté de la santé, de l'éducation et de la police. Et la répression est sanglante : 60 morts sont déjà à déclarer chez les civils, mais aussi des milliers de blessé·e·s. Rien de "systémique", affirme pourtant le président Ivan Duque.
L'un des derniers exemples en date de la violence des forces de l'ordre : le jeune joueur de cor Alvaro Herrera Melo, arrêté alors qu'il participait à un "cacerolazo sinfónico" (concert de casseroles symphonique) pour marquer les un mois de la protestation devant l'université Del Valle, à Cali. Des "aveux orientés" lui auraient par la suite été arrachés sous la menace et la torture, affirment ses proches. Cali est la troisième ville du pays et désormais le foyer central de la contestation. 13 personnes y ont été tuées, dont 8 par balle, rapporte Radio Classique, et l'armée y est déployer depuis samedi 30 mai.
A Bogota, la capitale, les manifestations s'organisent tout autant. Et pour tenter de protéger celles et ceux qui s'indignent, des groupes de femmes se sont créés. Elles se font appeler Madres de primera linea ("Mères de première ligne").
Auprès d'Al-Jazeera, l'une d'elle précise qu'elles ne sont pas nécessairement de la famille des manifestant·e·s, leur nom étant davantage symbolique que factuel. "Nous nous sommes réunies en tant que voisines et amies parce que nous avons vu à quel point ils (la brigade anti-émeute ou Esmad, ndlr) se battaient contre nos jeunes, y compris les mineurs", fustige La Flaca, 23 ans, mère de deux enfants, qui n'a pas voulu que son vrai nom soit utilisé par crainte de représailles. "Nous sommes toutes des mères célibataires, à la tête de nos foyers : si nous ne les défendons pas, qui va le faire ?"
Chaque jour, elles se placent juste avant le cortège, et patientent. "Nous faisons partie de la première ligne de défense", poursuit la jeune femme. "Nous n'attaquons jamais ; nous attendons qu'ils nous attaquent. Nous sommes aux côtés des manifestants pour nous assurer qu'il ne leur arrive rien, qu'ils ne les emmènent pas pour les faire disparaître." Jusqu'ici, le bilan national s'élève à 123 porté·e·s disparu·e·s, informe Radio Classique.
Aujourd'hui, elles connaissent malheureusement par coeur les réponses violentes des lignes d'en face, qui démarrent souvent au crépuscule. Notamment, le lancer de gaz lacrymogène. "La sensation de brûlure du gaz dans les yeux, c'est insupportable", décrit Johana, 36 ans, une autre mère de première ligne. "[Cela] vous donne l'impression de vous noyer." Sur le terrain heureusement, la solidarité règne. "Nous protégeons les mères et elles nous protègent. Nous sommes tous unis ici", témoigne notamment un jeune homme.
La Flaca, elle, raconte que les répercussions s'immiscent jusque dans son foyer. La veille de l'interview donnée au média international, elle confie avoir reçu un coup de fil anonyme terrifiant à 3 heures du matin. "Ils ont dit qu'ils savaient où je vivais, ils connaissaient mon nom, ils savaient que j'avais deux enfants."
Et Johana de conclure : "Nous connaissons les risques auxquels nous sommes confrontées. Lorsque nous serrons nos enfants dans nos bras, nous ne savons pas si c'est le dernier câlin que nous leur donnerons. Mais si changer ce pays doit me coûter la vie, je serai heureuse de la donner pour eux."